Chapitre 17 - Cleo

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Ignorer Neal au club de mots croisés se révèle aussi facile que je l'espérais. Il ne parle jamais beaucoup, ce qui aide ; et surtout pas à moi. Nous sommes forcés de nous côtoyer pendant ces réunions hebdomadaires, mais il fait de son mieux pour que nos interactions se limitent au maximum. Nous nous installons à des coins opposés du salon de Kenneth, nous veillons à ne pas partir en même temps pour ne pas être contraints de marcher l'un à côté de l'autre en rentrant à la WestConn... Cela fonctionne correctement. Parfois, je me dis que c'est du gâchis que nos mois de discussions aboutissent à cette indifférence entre nous, mais c'est pour le mieux. Au moins, cela évite qu'il me blesse de nouveau.

Un jour, Roseanne, qui se sentait d'humeur bavarde, nous a lancé :

— Hé, vous êtes à l'université tous les deux, non ? Vous vous connaissiez en dehors du club ?

— Non.

Ma réponse a fusé, incisive. Un mensonge, plus aisé à assumer que la vérité.

J'ai jeté un bref regard à Neal juste après l'avoir prononcé. Il est resté impassible. J'imagine que lui aussi préfère enterrer le souvenir de ce qui s'est passé entre nous.

À l'inverse, semaine après semaine, je me suis pas mal rapprochée de Jerry. Quand Kenneth propose au groupe un exercice en binôme, c'est presque toujours vers lui que je me tourne ; et nous avons pris l'habitude de rentrer ensemble à l'université après les entraînements. C'est rafraîchissant de discuter de ma passion avec quelqu'un de mon âge, et mon nouvel ami est intarissable sur le sujet. Il a tant d'anecdotes des compétitions à me raconter... Je les écoute avec attention, car les championnats du Connecticut ont lieu dès cet automne, et je veux m'y sentir aussi prête que possible – mon expérience se résume jusque-là à une seule édition des qualifications dans le Nebraska, ce qui ne me permet pas encore d'appréhender ce genre d'événements sereinement. Heureusement, Jerry a énormément de conseils à me donner, et il ne s'en prive pas.

Nous parlons un peu de nos études, aussi. Il est en troisième année dans son bachelor d'histoire, et m'a longuement expliqué en quoi il consiste. Bon, quand je me mets à évoquer mes cours de maths, il a un peu de mal à suivre, mais je trouve amusant de le voir hocher la tête avec sérieux comme s'il comprenait parfaitement tout ce que je lui dis. Être amie avec lui est simple, sans prise de tête. Ça ne me demande pas de m'impliquer émotionnellement, et c'est ce dont j'ai besoin. Il est celui que j'aurais voulu trouver en Neal : quelqu'un auprès de qui je peux prétendre que les tragédies qui m'ont frappée n'ont jamais eu lieu. Auprès de qui ressort une version de moi insouciante, légère. Pas la vraie Cleo, mais celle que je regrette de ne plus être.

Ça nous est arrivé une fois de discuter de Neal. C'était après un entraînement où il avait été particulièrement bon, et Jerry digérait mal de s'être fait battre, je le voyais. Alors que nous étions en route vers la WestConn, il dissertait sur les erreurs qu'il n'aurait pas dû commettre, quand tout à coup, il a changé de cap et donné une perspective beaucoup plus personnelle à ses protestations :

— De toute façon, il est bizarre, ce gars. Il ne parle jamais, et il n'a pas de vie, c'est hallucinant. Rien que de le voir, ça me met mal à l'aise. Pas toi ?

J'ai haussé les épaules sans rien rajouter. Mais sans défendre Neal non plus.

***

— Merde, je crois que j'ai mangé trop de pop-corns... soupire James, nauséeux.

— Quelle idée de finir la portion de Selena, aussi ! lui renvoie Patrizia en roulant des yeux.

My Crushing WaveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant