Chapitre 25 - Cleo

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Si je n'avais pas pu venir à la compétition, je n'aurais jamais su ce que je manquais. Mais maintenant que j'y suis, je réalise à quel point j'avais besoin de ce week-end, à quel point il est exactement ce que j'attendais.

Les mots croisés sont une activité essentiellement solitaire. Tous les autres jours de l'année, nous sommes en tête à tête avec nos grilles, à nous battre contre nous-mêmes et le chronomètre qui défile. Voir autant de passionnés réunis tous ensemble – un peu plus d'une centaine – est euphorisant. C'est encore différent des entraînements du dimanche après-midi : ici, à Hartford, il se dégage de notre nombre une énergie et une force incomparables. Je ne connais pas tous ces gens, mais je m'y sens connectée. Quelque part, je retrouve un peu du lien que je partageais avec ma mère. Lorsque nous résolvions des grilles ensemble, elle m'insufflait un engouement similaire.

Elle me manque ce week-end encore plus que d'habitude ; et en même temps, un peu moins. J'imagine que c'est le signe que mon deuil évolue. Il ne me quittera jamais complètement, mais il prendra des formes diverses avec les mois, les années qui passeront.

Même si je suis plutôt contente de moi jusque-là, je me fais peu d'illusions quant à mon résultat final. En moyenne, j'ai résolu les deux tiers des grilles dans les différentes épreuves. Je devrais réussir à me classer dans la première moitié des participants, si le niveau de la compétition du Connecticut est similaire à celui qu'il était dans le Nebraska. En sortant une super performance demain, je peux même avoir l'espoir d'atteindre le premier quart – en tout cas, Angie et Salma y croient : elles m'ont couvertes d'encouragements sur notre conversation WhatsApp hier soir, lorsque je leur ai raconté ma première journée.

La victoire est hors de ma portée, mais ce n'est pas cela que je suis venue chercher. C'est l'ambiance qui règne ici, et le sentiment de me donner à fond pour faire de mon mieux. L'euphorie de découvrir des challenges spécialement conçus pour les championnats, aussi. Tout cela, je l'ai déjà trouvé. Quel que soit mon total de points au bout du compte, je serai satisfaite.

J'ai eu un coup de mou pendant la troisième épreuve de la journée, de quinze à seize heures. J'ai tenté de lutter, mais je sentais mes forces m'abandonner – exactement comme l'an dernier. Alors je me suis résolue à manger la barre chocolatée que Neal m'a offerte, même si j'avais pris la résolution de la lui rendre dès que j'en aurais l'occasion. Je voulais lui répéter qu'il ne me doit rien, qu'il n'a plus à se préoccuper de moi ; j'ai cependant été forcée de constater qu'il avait eu raison d'avoir cette petite attention à mon égard. Je suis surprise qu'il se soit souvenu de ce détail de ma compétition précédente, et qu'il ait pris l'initiative d'agir en conséquence. Je pensais qu'il avait compris, comme moi, que nous enterrerions notre passé commun pour aller de l'avant chacun de notre côté. Il est venu me chercher ce matin, certes, mais c'est parce que personne d'autre n'était en mesure de le faire. J'étais persuadée qu'il s'y sentait obligé. Maintenant... je me demande s'il regrette ce que nous avions. Je ne peux pas oublier la manière dont il m'a rejetée quand je suis arrivée à Danbury, mais je revois un peu du garçon que j'avais appris à apprécier.

Dommage que je sois désormais consciente que sa douceur est trompeuse. D'un coup, la dureté peut la balayer, et je ne m'y laisserai plus tromper. J'ai souffert une fois, je suis méfiante à présent. Je me sens m'attendrir malgré moi, mais je tiens la bride à ce que j'éprouve. Rester prudente m'évitera d'être de nouveau déçue.

J'ai d'autres choses auxquelles penser, de toute façon. Les épreuves de la journée terminées, tous les participants à la compétition ont été invités à passer dans une autre partie du centre de conférences pour manger ensemble autour d'un copieux buffet. Installée près de Roseanne et Lara ainsi que de quelques autres candidates venues d'autres clubs du Connecticut – New Haven, Bridgeport, Stamford...–, je me laisse porter par la conversation enjouée. Étant donné que c'est ma première participation, les autres convives se font une joie de me raconter les anecdotes les plus croustillantes des années précédentes. Je les écoute avec plaisir, emballée tant par le fond de ce qu'elles me dévoilent que par l'enthousiasme avec lequel elles me partagent leurs petites histoires.

My Crushing WaveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant