— À vos marques.
J'ajuste ma position sur le plot de départ, un pied en arrière, mains au bord du bloc. Un instant plus tard, le signal du début de la course retentit, et je m'élance dans le bassin.
200 yards de brasse devant moi. Un peu plus de deux minutes. Je ne parviendrai sans doute pas à gagner cette course, mais meilleure sera ma position d'arrivée, plus je rapporterai de points aux Dolphins dans notre duel contre les Corsairs de Dartmouth, la première des confrontations qui nous attend dans la saison. Je suis concentré, déterminé.
Je sors de la coulée qui suit mon plongeon, enchaîne sur les mouvements de grenouille caractéristiques de la brasse. La compétition d'aujourd'hui, comme la plupart des compétitions universitaires, se nage en petit bassin, si bien que le bout de la première longueur arrive très vite. Je pivote, pousse sur le mur. J'en profite pour jeter un regard à ma droite et à ma gauche. J'ai fait un bon départ : à vue de nez, je suis à la deuxième place à ce stade, sur les talons de Grant, mon coéquipier de troisième année. La course est encore longue, cependant : je dois maintenir mon effort. 200 yards, mine de rien, c'est une distance conséquente. Il faut savoir la gérer pour éviter de se griller d'emblée. On travaille ça à l'entraînement avec le coach, je suis capable de maîtriser mon tempo pour employer mes forces aussi efficacement que possible.
50 yards avalés, deuxième virage. Je trouve ma vitesse de croisière. L'effort se prolongeant, mon corps commence à transmettre des signaux de protestation à mes synapses : l'adrénaline initiale s'est dissipée. Je me focalise sur les cris des supporters qui me parviennent à chaque fois que ma tête sort de l'eau pour trouver la rage de continuer sur ma lancée. Je n'entends pas mon nom, mais je devine celui de la WestConn être scandé. C'est un meeting par équipes : cet après-midi, nous sommes tous des Dolphins, unis sous notre bonnet frappé de son logo orange.
75 yards. L'électricité communiquée par le public me porte. Il me semble que je nage actuellement dans le trio de tête. C'est frappant de réaliser à quel point, par comparaison, les compétitions de mots croisés sont calmes. Personne pour hurler des encouragements pendant que je résous mes grilles. En même temps, je détesterais ça : ça m'empêcherait de réfléchir convenablement.
Il me suffirait d'une chose pour me galvaniser : que Cleo lève le pouce pour me manifester son soutien juste avant que nous nous installions à nos tables respectives. Mais ça, ça n'arrivera pas, même si nous serons dans la même pièce lors des championnats du Connecticut la semaine prochaine.
Merde.
100 yards. J'ai encore la moitié de ma course à faire, et je sens que quelque chose dans ma concentration s'est cassé malgré moi. D'un coup, je suis ailleurs – déjà projeté vers ce qui m'attend dans quelques jours –, alors qu'il faudrait que je me focalise sur ma nage. Je tente de m'y contraindre, serre les dents. Je passe le virage des 125 yards, puis celui des 150 yards, luttant pour tenir le visage de Cleo à distance. Mes poumons me brûlent, mes bras menacent de me lâcher. Pourtant, c'est dans mon cœur que j'ai le plus mal.
175 yards. Plus qu'une longueur.
Sa voix enjouée me revient, enthousiaste face à une proposition qui n'était pas la mienne.
Ce serait super ! Merci, Jerry, c'est très gentil de ta part.
Pourquoi est-ce que je repense à ça maintenant ? Pourquoi est-ce qu'au moins dans l'eau, les sentiments qui me tourmentent ne peuvent pas me laisser tranquille ? Mon corps n'a donc pas assez à faire avec l'effort que je lui impose ?
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My Crushing Wave
Storie d'amoreS'il y a bien une chose à laquelle Neal ne s'attendait pas en faisant sa rentrée en troisième année à l'université de Danbury, c'est à voir débarquer Cleo devant lui. Oui, passionnés de mots croisés tous les deux, cela fait des mois qu'ils se parlen...