Berlin
Allemagne, 1954
Quelle ironie ! Revenir en Allemagne dix ans plus tard. Le temps a paru si long à Max Devereaux depuis la fin de la guerre et son engagement dans cette mission sans fin. Tout ça à cause du carnet qu'il avait découvert au Wewelsburg. S'il s'était contenté des rapines habituelles, cela ne serait jamais arrivé. Il serait rentré chez lui, dans sa librairie. Au lieu de cela, il erre, franchissant des frontières clandestinement, à la recherche de pièces de monnaie romaine magiques.
La ville a changé depuis la guerre. Coupée en deux et partagée en quatre, entre les Soviétiques, les Français, les Américains et les Britanniques, Berlin est devenue un immense marché à ciel ouvert. Entre les pilleurs de décombres, les femmes qui se prostituent pour un peu de nourriture dans les clubs qui ont rouvert dès l'armistice signé, pour le plus grand plaisir des forces d'occupation de Berlin-Ouest, et les enfants – les orphelins de guerre – dont la ville en ruine est un terrain de jeu et d'apprentissage de la vie.
À Rome, Devereaux avait pris contact avec un ancien ingénieur du cinéma qui avait conçu des caméras en son temps. Appâté par l'appât du gain et le mystère entourant l'origine de ces deniers, faisant partie de son patrimoine historique, romain qui plus est, celui-ci conçu un système permettant de convertir, d'enregistrer et de projeter l'image générée par deux deniers. La demande en énergie était importante et nécessitait plusieurs batteries. Devereaux et l'ingénieur tentèrent de se brancher sur l'alimentation de la ville, mais plusieurs quartiers furent plongés dans le noir lorsqu'une surcharge fit sauter des transformateurs.
Une fois résolu le problème de l'alimentation et le calibrage de l'image, le résultat fut au-delà de ce que Max Devereaux avait imaginé. Sous ses yeux, un bâtiment était visible. Il lui fallut un moment pour admettre qu'il devait s'entourer d'autres personnes. Sans un minimum de connaissances historiques et géographiques, il serait bien en peine d'identifier le bâtiment. L'architecture était semblable à celle de plusieurs villes. Selon lui, le bâtiment, une église en ruine, bombardée, ne permettait pas de réduire le champ des recherches aux seules villes de Paris, Berlin ou Londres. Des églises bombardées, il y en a quelques-unes.
Devereaux recruta et s'entoura de fidèles prêts à s'investir, attirés par la promesse d'un pourcentage de ce qu'ils trouveraient au bout de leur quête. Le mystère généré par les deniers était suffisant pour attirer des personnes qualifiées et déterminées. Cependant, n'ayant aucune ressource financière, il faudrait chercher des fonds ailleurs. De contact en contact, il finit par trouver des investisseurs qui croyaient au potentiel de sa découverte. Sa base se solidifia, renforçant sa détermination.
La quête de Devereaux devenait de plus en plus tangible alors que l'église projetée par les deniers fut enfin identifiée. Sans plus tarder, il se mit en route, cap sur Berlin. Le trajet en train lui procurait un certain réconfort. Loin était l'époque où il marchait, voyageait à l'arrière de charrettes grâce à la générosité des fermiers.
À son arrivée à Berlin, il fut frappé par la réalité de la guerre. La Gare d'Anhalt avait été bombardée lors de la Bataille de Berlin, laissant place à un quai provisoire qui s'éternisait. Le tunnel conduisant à la gare n'avait pas encore été dégagé et réparé, imposant ainsi un léger détour auquel les Berlinois s'accommodent malgré eux.
Arrivés en gare, Devereaux et deux collaborateurs se mirent en quête de la Jesus-Christus-von-Nazareth-Kirche, l'église Jésus Christ de Nazareth. Construite au XIIe siècle, elle se trouvait autrefois dans un parc qui n'avait pas de nom, attenant à un petit musée. Une fois orientés, ils trouvèrent facilement la Kurfürstendamm, et ils remontèrent l'avenue jusqu'aux ruines de l'église. Une partie de l'église gothique était encore condamnée, et un échafaudage servait plus ou moins à stabiliser une partie des murs endommagés. Le bombardement de la Royal Air Force (RAF) lors de la bataille de Berlin avait éventré une partie de la toiture de l'église, soufflant le narthex et la nef centrale.
S'introduisant dans l'église en ruine, ils se dirigèrent vers l'autel et le tabernacle, suspectant que c'était là que se trouvait l'objet qu'ils recherchaient. Mais à leur grande déception, il ne restait rien. L'autel avait été détruit, les boiseries arrachées, probablement utilisées pour le chauffage dans ces temps difficiles. Incertains, ils longèrent le déambulatoire, jusqu'à ce que Devereaux décide d'emprunter l'escalier qui conduisait à la crypte. Tenant les deniers en main, il descend prudemment les marches, les deniers ne réagissent pas. Éclairant chaque mur, chaque recoin avec sa lampe torche, Devereaux cherchait une pierre descellée, une fausse pierre qui sonnerait creux lorsqu'il frappait dessus.
À trois, ils frappèrent et étudièrent chaque pierre, jusqu'à ce que l'un d'eux remarque un son différent. Dans le doute, ils tapèrent plusieurs fois sur une pierre voisine pour comparer, puis sur la pierre qui les intriguait. La différence de son était clairement perceptible.
« Je crois que j'ai quelque chose », annonça l'un d'eux.
Devereaux se précipita pour vérifier à son tour le son émis par la pierre.
« Descellons-la », dit-il en sortant son couteau et commençant à gratter le mortier autour de la pierre suspecte.
Avec une coopération rapide et efficace, ils travaillèrent à deux pour retirer le mortier, tandis que le troisième les éclairait. Enfin, la pierre fut dégagée, ne mesurant que cinq centimètres d'épaisseur, et révélant une cavité qui renferme un coffret. Devereaux le saisit et fait sauter la serrure d'un coup du bout du manche de son couteau. Parmi les objets qu'il trouva à l'intérieur, il y avait des parchemins qu'il tendit à ses collaborateurs, ainsi qu'une bague qui datait manifestement du XIIIe ou XIVe siècle. Mais ce qui attira vraiment leur attention fut une petite boîte qui réagit immédiatement lorsque Devereaux en ouvrit le couvercle. Il s'agissait d'un boîte en plomb cachant le précieux denier.
« Nous l'avons, mes amis ! » s'exclama-t-il avec enthousiasme.
Après avoir soigneusement récupéré tous les objets du coffret, ils les rangèrent rapidement dans une sacoche. Devereaux remit ensuite le coffret vide dans sa cachette, replaçant la pierre pour masquer la brèche et comblant le mortier brisé avec la poussière du sol. Ils quittent discrètement l'église et se dirigèrent vers la maison qu'ils avaient louée pour leur séjour. Sans perdre de temps, ils montèrent dans un taxi et indiquèrent leur adresse au chauffeur, regardant silencieusement le paysage défiler, chacun perdu dans ses pensées, dans l'expectative du prochain lieu où les conduira Dieu. Certains d'entre eux voyaient une manifestation divine dans leurs découvertes. Comment expliquer autrement ce qui se produisait sous leurs yeux avec les deniers ? Pour eux, c'était une mission sacrée, ils se sentaient choisis par le Divin pour cette quête.
Cependant, des tensions commençaient à émerger au sein du groupe de Devereaux. Bien que leur objectif commun soit de retrouver les deniers, les motivations de chacun différent. Certains développent une foi, d'autres sont animés par le désir de s'enrichir, tandis que certains aspirent au pouvoir que leur apporterait la possession des trente deniers. Quant à Devereaux, il voulait tout pour lui-même. Son intention était claire : une fois qu'ils auraient récupéré le salaire de Judas Iscariote dans son intégralité, il comptait éliminer tous les membres du groupe, afin de garder les deniers pour lui seul.
Dans une ambiance quasi religieuse, l'ingénieur ferma tous les rideaux pour plonger la pièce dans l'obscurité totale. Avec précaution, il plaça le denier sur son support et mit la machine en marche. Dans un silence presque sacré, ils attendirent avec une impatience contenue. Les secondes s'étiraient, les minutes semblaient interminables, mais enfin, devant leurs yeux émerveillés, une image commença à se matérialiser.
Tous étaient captivés par l'apparition, chacun perdu dans ses pensées. Les croyants se signent discrètement, imprégnés de la force et de la signification sacrée du moment. Les autres, quant à eux, avaient avant tout le désir de décrypter l'image, de percer le mystère de l'emplacement du bâtiment et de la ville associée. Le jeu de piste continuait, et l'excitation grandissait parmi les membres du groupe.
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It ends with us
Mystery / ThrillerLe Lieutenant Fogelberg se retrouve confronté à des crimes aussi horribles qu'insaisissables : une femme pendue dans un parc, un homme crucifié dans un motel... Aucun indice ne permet de mettre la main sur les coupables, et l'enquête semble s'enlise...