Prologue

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Elle va mourir. Elle n'a pas le moindre doute là-dessus.

Elle n'a plus aucune notion du temps qui s'est écoulé depuis son enlèvement, tout ce dont elle est sûre, c'est qu'elle va mourir aujourd'hui. Ce sera son dernier acte conscient, celui de décider quand elle va mourir.

C'est le froid qui la réveilla. Tout son corps était parcouru de frissons. Elle se sentait nauséeuse. L'obscurité ne fit qu'accroître sa frayeur. Elle gisait sur le ventre, sur une surface plane et métallique. Elle se força à garder son calme et tenta de se lever. Elle reprit pleinement conscience quand elle réalisa que des entraves bloquaient ses poignets et ses chevilles, la maintenant bras et jambes écartées. Paniquée, elle se mit à se tortiller désespérément dans tous les sens. Son cœur battait la chamade. La peur de mourir est le déclencheur de l'instinct de survie, un héritage de nos ancêtres, alors qu'ils n'étaient pas encore en haut de la chaîne alimentaire, qu'ils venaient juste de descendre des arbres pour courir s'abriter dans des cavernes.

Elle voulut appeler à l'aide, hurler pour signaler sa présence, mais le bâillon qu'elle avait dans la bouche étouffait le moindre son.

À force de tirer sur ses liens, la chair de ses poignets était à vif, mais elle continuait de bander ses muscles jusqu'à s'en rompre les tendons dans un ultime effort désespéré, qui lui permettrait de relâcher ses entraves afin qu'elle puisse se détacher. En vain, bien évidemment.

Depuis, son temps est partagé entre de brèves périodes de lucidité et de nombreux moments où elle est évanouie. C'est une lumière aveuglante qui la réveilla. Celui qui la retenait captive lui avait retiré le bandeau sur ses yeux. Elle papillonna des paupières le temps que ses yeux s'adaptent à l'éclairage.

Son regard avait du mal à faire le point, effet des drogues qu'on lui avait injectées avant de se retrouver ici. Malgré les balancements de sa tête qu'elle avait du mal à garder droite, elle vit un cathéter piqué dans une veine à un bras. Le contenu du soluté se limitait à peu de choix, soit une solution de thiopental sodique – un barbiturique à effet anesthésiant et hypnotique vendu dans toutes les bonnes pharmacies sous le nom de Penthotal, le célèbre sérum de vérité – soit une solution nutritive permettant à son corps de recevoir de la nourriture, lui enlevant toute possibilité de savoir depuis quand elle est là.

Elle regarda son environnement. Elle reposait sur une table chromée. Était-ce un hôpital ? Un restaurant ? La pièce, du sol au plafond, avait été blanche. Seule la poussière indiquait que l'endroit était désaffecté. La panique s'empara d'elle. Un bruit ne fit qu'accroître son angoisse. Quelqu'un approchait. Elle prit conscience de sa nudité à l'instant où un éclair de pure douleur lui zébra le dos, lui lacérant la chair. La douleur fit remonter un flot de bile, mais avec le bâillon, ne faisant que bloquer l'orifice naturel de sortie, elle tenta de réprimer son envie de vomir, mais une petite quantité se fraya tout de même un passage vers l'extérieur en passant par les voies nasales, lui laissant une désagréable sensation de brûlure dans le nez. L'intensité de la douleur lui avait arraché des cris étouffés, des larmes s'écoulant sur ses joues et, pour pallier la douleur, son esprit vacilla, puis capitula, et elle s'abandonna au néant, évanouie.

Une fois de plus, elle est brutalement réveillée par la brûlure piquante du sel saupoudré sur ses plaies, comme cela s'est répété d'innombrables fois depuis le début de cette interminable séance de torture. À présent, son dos n'est qu'une plaie béante, la peau labourée en lambeaux, du sang séché laissant d'immenses croûtes. Sa vessie s'est vidée plus d'une fois, la plongeant dans son propre urine. Elle empeste, mais elle est au-delà de cela.

Le bâillon ne lui entrave plus la bouche. Elle passe sa langue sur ses lèvres gercées, notant le goût du sang séché dans sa bouche et son odeur dans ses narines. Certaines côtes lui font mal, chaque inspiration est pénible. D'un côté, elle n'entend plus, mais ressent toujours la douleur après que la lame affûtée lui ait tranché l'oreille il y a quelques jours.

« Où sont-ils ? »

La seule question qu'elle entend, encore et encore, inlassablement, à laquelle elle ne répond pas, à laquelle elle ne veut pas répondre, et pour laquelle elle sait qu'elle va mourir attachée sur cette table. Elle tente de garder le contrôle, de rester le plus calme possible, de ne pas pleurer pour ne pas lui donner une satisfaction sadique. Règle numéro un : demeurer forte et cacher ses émotions.

Elle repense à l'image qu'elle avait reçue sur son téléphone, l'image qui l'a précipitée entre les mains de son tortionnaire. Une pièce tenue entre le pouce et l'index, accompagnée d'un lieu et d'une heure de rendez-vous. Une pièce rare, dans un état de conservation exceptionnel. La pièce de monnaie est bien moins usée que son ancienneté ne le laisserait supposer, ce qui lui a fait savoir qu'il s'agissait d'une pièce originale et non d'une vulgaire reproduction. Sinon, elle n'aurait pas été contactée. Elle s'en veut de s'être fait avoir si facilement. Elle se remémore la scène lorsque, étudiante finissante en histoire de l'art, elle fut approchée pour rejoindre le Musée des Beaux-Arts. Un poste de rêve pour une jeune fille passionnée, avant qu'elle ne découvre que ce n'était qu'une façade pour le véritable travail pour lequel elle avait été sélectionnée. Jusqu'à ce qu'il l'enlève, car forcément ce ne peut être que Lui. Elle le regarde alors qu'Il se tient devant elle. Même s'il est dans l'ombre, elle ne voit que son pantalon et des chaussures. Elle cache difficilement tout le dégoût qu'Il lui inspire et en même temps la fascination.

Une nouvelle zébrure ramène son esprit au moment présent. Bien qu'elle soit une femme d'apparence frêle, elle est plus forte qu'elle n'en a l'air, comme toutes les femmes, car après tout, aucun homme ne supporterait la douleur de l'enfantement. Mais au final, la peur, la torture et les privations tant sensorielles qu'alimentaires drainent toute sa volonté de survivre. On l'avait prévenu que l'anticipation de la douleur était une torture en soi. Et encore maintenant, à chaque son, chaque mouvement, chaque silence, elle se prépare au coup qui viendra marquer son dos.

« Où sont-ils ? »

La langue claque d'impatience sur le dernier mot. Alors qu'elle trouve encore l'énergie de s'amuser de cette irritation, elle décide de pousser l'insulte jusqu'à se mettre à rire, le dernier affront qu'elle puisse se permettre. Pour toute réponse, elle reçoit un puissant coup de poing sur la tempe. Éblouie un instant tandis que des larmes inondent ses yeux, sa bouche se remplit d'un goût métallique et sa vision se trouble.

Le bas du corps de son bourreau apparaît pour la première fois dans son champ de vision. Elle redresse la tête afin de voir son tortionnaire et écarquille des yeux. « Toi ? » demande-t-elle, incrédule. Son regard s'arrête sur son visage souriant. Elle a soudain honte de s'être fait berner et accepte l'inéluctable finalité.

Enfin, elle sent la lame libératrice tant attendue posée sur sa gorge. Pendant les quelques secondes de conscience qu'il lui reste, elle ne peut s'empêcher de penser au mensonge qui l'entoure. Elle ferme les yeux et se laisse emporter, priant pour que son bourreau ne les trouve jamais. Elle a réussi à se libérer en choisissant elle-même quand elle allait mourir.

C'est aujourd'hui que je meurs, pense-t-elle alors que tout s'obscurcit.

Pourvu qu'il ne les trouve jamais...

It ends with usOù les histoires vivent. Découvrez maintenant