1950
Le Caporal Devereaux vient de s'engager à nouveau.
Une nouvelle guerre vient d'éclater dans l'ancien royaume de Corée. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'ancienne colonie japonaise est partagée entre les États-Unis et l'URSS. Le nord du pays, connu sous le nom de République démocratique populaire de Corée, est dirigé par le secrétaire général du parti des travailleurs, Kim Il-Sung, soutenu par la République populaire de Chine et l'URSS. Tandis que le sud du pays, appelé République de Corée, est dirigé par Syngman Rhee, un vieil homme de soixante-quinze ans, chef du gouvernement en exil depuis 1920.
La nuit du 24 juin 1950, jour de la Fête de la Saint-Jean, marque un tournant dramatique lorsque 600 000 soldats nord-coréens franchissent le 38e parallèle pour envahir le sud et prendre la capitale, Séoul. Une guerre meurtrière éclate alors, plongeant le pays dans le chaos.
Face à cette situation critique, le général MacArthur, malgré ses soixante-dix ans, prend les rênes d'un corps expéditionnaire destiné à débarquer en Corée. Il recherche des vétérans, des soldats aguerris, et son appel est entendu par Devereaux.
Pour Devereaux, cette situation est une véritable aubaine. La Corée sera son point de départ pour se rendre en Mongolie, puis discrètement en Sibérie, plus précisément au nord du lac Baïkal, là où, selon les informations du carnet, se trouve son objectif.
Dans l'ombre des conflits et du chaos, il voit une opportunité de poursuivre sa quête.
Ses recherches en Allemagne avaient été couronnées de succès, d'une certaine manière. Mais sur le chemin de la richesse, ses plans d'avenir ont pris un tour inattendu. Depuis lors, son humeur a changé, ses nuits sont peuplées de cauchemars et de crises d'angoisse.
L'auteur du carnet, un dénommé Hans-Karl Hoffmann, était un homme organisé et consciencieux qui avait noté une adresse en Suisse, là où il avait fait expédier ses livres et ses recherches. L'homme avait codé certaines parties de son journal, mais en pensant en scientifique et non en cryptographe. Il avait utilisé un simple code de substitution pour préserver la confidentialité de ses écrits. Pour lui, c'était un moyen de divertissement, mais pour Devereaux, décrypter ces pages était un défi personnel. Il n'avait pas l'intention de montrer ce carnet à quelqu'un pour qu'il l'aide. C'était son trésor et il voulait le conquérir lui-même. Il était déterminé à résoudre le code par ses propres moyens.
Pourtant, Hoffmann devait avoir peur d'oublier son propre code, aussi simple soit-il, car il l'avait inscrit à l'endos de l'adresse. Cette simple inscription était la clé qui ouvrait les portes du mystère. Pourtant, il lui fallut tout de même un an à Devereaux pour percer ce code. Il s'en voulait tellement quand il réalisa à quel point le code était simple. Mais comme on le dit souvent, la solution semble évidente une fois qu'on l'a trouvée.
Ainsi, dans un coin de la page était inscrit :
C. Iulius Caesar
Ce qu'il avait pris pour un C se révéla ne pas en être un. Pendant des mois il scrutait les pattes de mouche de l'écriture d'Hoffmann pour s'apercevoir que le C avec son petit trait n'était pas une barre pour partir le tracé du C, mais correspondait à la façon d'écrire Guimel, la troisième lettre de l'alphabet hébreu, en lettres cursives.
Cette découverte débloqua tout.
Devereaux avait déjà deviné que C. Iulius Caesar correspondait à Caius Julius César, Jules César. Le code de chiffrement par décalage, le code de César. Il ne manquait plus que la clé de déchiffrement, à savoir le nombre de lettres de décalage.
En comprenant que le C ne correspondait pas à Caius, mais à Guimel, il avait son code. À travers la lecture du journal d'Hoffmann, il découvrit la Kabbale, qui semblait beaucoup intéresser le Professeur. Ses recherches pour en savoir plus lui permirent de découvrir un monde dont il ignorait tout, celui des interprétations mystiques juives permettant de trouver la voie menant à Dieu.
Guimel, donc, avait pour valeur 3.
Dès qu'il essaya le code de César en décalant les lettres de 3 espaces, un nom apparut : Saas-Lünd. Hoffmann n'avait pas fait beaucoup d'effort, heureusement, et utilisa simplement le code tel que César l'avait créé près de 2000 ans plus tôt.
Cherchant dans un atlas, il écarquilla les yeux lorsqu'il vit que le village de Saas-Lünd en Suisse existait vraiment. Devereaux se leva d'un coup et ne put s'empêcher de crier sa joie, avant de se baisser aussitôt pour regarder par la fenêtre, s'assurant que personne ne l'observait. Le trésor n'est que pour lui, pas question d'attirer l'attention. Résolu, il boutonna sa veste et sortit de son logement. Son engagement avait pris fin et il était resté en Allemagne. Il avait trouvé un petit appartement et faisait des petits boulots avec des camarades restés comme lui, qui avaient monté une lucrative petite affaire de marché noir.
D'un pas rapide, il se rendit à la gare pour obtenir les horaires des trains en partance pour la Suisse, plus précisément le canton du Valais. L'employé de la gare l'avertit que le trajet serait long, de Berlin jusqu'à Brugg, où il devrait ensuite se débrouiller pour rejoindre Saas-Lünd, situé à une vingtaine de kilomètres de là.
Avec son billet en poche, il regagna son domicile et commença à préparer son paquetage en vue de son périple vers l'adresse indiquée.
Si Devereaux trouvait le trajet en train long et inconfortable, ce ne fut rien comparé au périple depuis la gare de Brugg. Les vingt kilomètres assis à l'arrière d'une charrette avec des chèvres, tirée par un vieux canasson, tout vaillant qu'il soit, n'était plus de la première jeunesse et menaçait de s'effondrer raide mort à tout instant.
Le chemin semblait s'étirer à l'infini, et chaque secousse de la charrette lui rappelait à quel point il était malmené par ce voyage. La présence des chèvres autour de lui ajoutait une touche pittoresque, bien que l'odeur ne fût guère agréable. Cependant, il était résolu à poursuivre sa quête, quoi qu'il en coûte.
Alors qu'il commençait à se demander si le trajet n'en finirait jamais, il sentit qu'on lui tirait la manche, et une voix gutturale lui parla. Il ouvrit les yeux pour découvrir le visage broussailleux d'un vieux paysan le regardant avec curiosité, puis pointant dans une direction en disant "Saas-Lünd, Saas-Lünd".
Se redressant tant bien que mal, courbaturé et sentant l'odeur de la chèvre imprégnée dans ses vêtements, il sourit et remercia son taxi improvisé. Avec un geste de la main, il salua l'homme qui lui rendit le salut, puis se dirigea vers le centre du village, déterminé à trouver une brasserie où il pourrait demander son chemin.
À nous deux, Hans-Karl Hoffmann !, pensa-t-il en souriant.
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It ends with us
Mystery / ThrillerLe Lieutenant Fogelberg se retrouve confronté à des crimes aussi horribles qu'insaisissables : une femme pendue dans un parc, un homme crucifié dans un motel... Aucun indice ne permet de mettre la main sur les coupables, et l'enquête semble s'enlise...