Judas observait les allées et venues de Fogelberg alors qu'elle sortait de l'école où enseignait le Romain. Il avait toujours aimé ça, donner des leçons, se sentir important, avoir de la valeur et laisser une trace de son passage. C'était son obsession. Lui-même comprenait les obsessions, car il en avait une, une seule : récupérer son argent. On l'avait payé trois fois rien pour livrer son ami. Cela ne serait jamais arrivé si Yeshoua l'avait écouté dès le début. Mais lui aussi était borné. Lui et son idée fixe d'inciter le peuple à cesser de s'agenouiller devant l'envahisseur Romain et la complaisance du Sanhédrin. La rébellion pacifique, quelle blague ! Trente pièces d'argent, ce n'était rien, un pourboire pour quelqu'un comme lui. Il venait d'une famille aisée et était heureux avec sa femme. Mais Yeshoua ne comprenait pas que l'argent ne poussait pas sur les arbres. Pour en avoir, il fallait en gagner, ce à quoi il se refusait, promouvant le détachement des biens terrestres. Comment trouverait-il son héritage aujourd'hui ? Les prêtres, évêques et papes, qui, en son nom, avaient bien profité de l'argent des pauvres. Trahir son ami avait été pénible, mais puisqu'il voulait devenir un martyr, Judas l'avait aidé. Yeshoua se retrouva sur la croix grâce à lui, et Saül avait propagé l'idéologie, mais ensuite le mouvement avait déraillé, perdant de vue l'objectif premier.
Un des deniers manquants intriguait Judas plus que les autres, et il commençait à soupçonner qu'au cours des époques passées, quelqu'un avait, d'une manière ou d'une autre, trouvé un moyen d'altérer son denier. Même protégé sous une chape de plomb, l'appareil de Sayyid ibn Mahmud parvenait à les localiser, bien que la lecture n'était pas fiable à cent pour cent, une image était néanmoins visible. Cependant, pour le dernier denier manquant, la lecture était fluctuante, ne montrant pas un bâtiment religieux, mais une iconographie représentant un Saint. L'archange Saint-Michel. Judas ne comprenait pas le message. Était-ce un avertissement ? Mais son Dieu n'était pas celui des chrétiens, son ancien ami, le Galiléen, n'était pas son Dieu. Alors, quel rapport ? Si Judas avait prêté plus attention aux signes, il aurait compris depuis longtemps où se trouvait ce denier et qui l'avait en sa possession. Le Saint patron de Caere était San Michele Arcangelo. Judas aurait alors compris que Joseph détenait le denier manquant. Et que cela ne pourrait finir que d'une façon. L'un terrassant l'autre.
Les pensées de Judas revinrent se focaliser à nouveau sur l'instant présent. La juive était une belle femme, et Judas comprenait que le Romain soit attiré par elle, mais elle, pourquoi ? Elle savait qui il était, ce qu'il avait fait, ce qu'il avait fait à son peuple. Il était présent sur place à l'époque, asservissant ses ancêtres. Comment pouvait-elle supporter ne serait-ce que de se tenir dans la même pièce que lui ?
Tout chez Fogelberg dénotait une certaine volonté, de par sa démarche assurée, son attitude et sa gestuelle. Elle était une femme forte, une bonne juive, bien que sa foi semblait vaciller. Pourtant, ne devrait-elle pas être renforcée justement par lui, Judas ? N'était-il pas la preuve vivante de la puissance de Dieu ?
Se déplaçant dans l'ombre, il la surveilla alors qu'elle sortait de l'école et montait dans un taxi. Rapidement, il démarra et prend soin de la suivre discrètement. Son esprit bouillonnait, échafaudant un plan pour l'enlever et ainsi forcer le Romain à retrouver son argent pour lui. Il savait qu'elle était rarement seule. L'enlever alors qu'elle était consciente et en voiture s'était révélé infructueux la dernière fois. Cette fois-ci, il devait anticiper ses réactions, car il savait qu'elle avait de la ressource. Cependant, c'était ce genre de femmes qu'il appréciait le plus : déterminées et capables de se défendre. Il devait donc se méfier et l'immobiliser du premier coup, la débarrassant de tout ce qui pourrait représenter une menace pour sa propre sécurité.
Une fois qu'elle sortit du Commissariat et monta dans un autre taxi, Judas la suivit à nouveau à distance. Puis, l'occasion tant attendue se présenta : Fogelberg s'arrêta pour faire des achats dans un supermarché. Judas en profita pour faire le tour et se garer près du quai de déchargement, laissant les portes de sa voiture débarrées, prêt à partir.
VOUS LISEZ
It ends with us
Misterio / SuspensoLe Lieutenant Fogelberg se retrouve confronté à des crimes aussi horribles qu'insaisissables : une femme pendue dans un parc, un homme crucifié dans un motel... Aucun indice ne permet de mettre la main sur les coupables, et l'enquête semble s'enlise...