11. L'odeur du bois qui craque (5/6)

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La présence de Nella, sa voix puissante, sa manière de raconter les histoires et sa bonne entente avec Lucille, tout aussi joyeuse après quelques coupes de champagne, rassurent Jade.

Il est certain que les invités passent une bonne soirée.

‒ J'adore ta sœur ! explique Nella. Elle vendrait une brosse à dent à un édenté.

‒ Tu peux parler ! Ah, ah ! rétorque Lucille en lui resservant un verre.

Nella a mis une de ces perruques, d'une couleur bleue pervenche, avec une grande mèche et des boucles en cascade, de la même couleur que son vernis. Jade remarque le regard amoureux de Jérémie pour sa belle naïade. Elle remarque moins ceux de Goran qui veut s'assurer qu'elle passe un bon moment.

‒ T'es pas mal en chemise, toi ! lance Nella à Goran.

‒ Fallait bien sortir le grand jeu pour notre mermaideuse préférée.

Jade lève les yeux au ciel et replace machinalement les manches de son pull vert sauge.

‒ Oui, faudra que tu me racontes ça ! tente Alicia. Je ne connaissais pas du tout le mermaiding.

Jade murmure une approbation.

Mais Alicia est trop loin. Trop loin pour l'entendre parmi les conversations.

Trop loin, tout court.

Lointaine, dans ce passé, dans cet Avant.

C'était sa meilleure amie, la plus fidèle, la plus intime. Mais là, chez Goran, dans cette nouvelle vie d'entraînements aquatique, de lutte pour son estime et de moments partagés avec Nella, Jérémie ou Lucille, Alicia fait tâche.

‒ Oui, d'ailleurs, vous vous êtes connue comment ? Tu fais quoi ? demande Nella à l'intention de cette amie revenue.

‒ A notre rentrée de sixième, hein, Jade, tu t'en rappelles ?

‒ On était toutes timides, on s'est dit que faire la rentrée ensemble serait plus facile, confirme Jade.

‒ Et on ne s'est pas lâchée ! On a fait tout le collège dans la même classe.

‒ C'est super, d'avoir cette amitié qui dure.

‒ Oui.

Le ton d'Alicia s'est abaissé. Elle boit une gorgée de champagne. Jade tresse une mèche de cheveux.

‒ Bref, je suis dans l'administration pénitentiaire, maintenant.

‒ Oh, c'est sérieux, ça.

‒ Alicia est quelqu'un de carré, assez stricte, précise Jade.

‒ Oui, c'est vrai, je le reconnais... j'aime quand c'est simple et concis, qu'il n'y a pas de surprise. Faut pas que ça déborde...

Elle a croisé le regard de Jade, balayé des yeux le fauteuil, machinalement.

Difficile d'interpréter le sourire qu'elles se font.

‒ Je vais fumer.

Alicia sort un paquet de son sac et passe par la porte-fenêtre que Goran lui a ouvert.

‒ Quelle prévenance, merci.

‒ Ne referme pas ! Ordonne Jérémie. On cuit là-dedans !

‒ Si déjà tu pouvais éteindre le feu...

Jade quitte à son tour la table et roule jusqu'à la terrasse où Alicia fume, avec des tics nerveux.

‒ Ça va ? demande-t-elle avec un entrain forcée.

Jade a envie de dire plein de choses. Par où commencer ?

‒ C'est... ça me fait bizarre de te voir ici.

‒ Tu m'as manquée.

Mais quelque chose est bien cassé, dans cette ligne de vie d'amitié.

‒ Où étais-tu ?

‒ Jamais loin, j'ai pensé à toi tous les jours.

‒ Pourquoi tu ne t'es pas manifestée.

‒ Je suis venue, à l'hôpital. C'était...

‒ Horrible, je sais. Tu n'es pas revenue.

‒ Tu ne voulais pas.

‒ Je ne me souviens plus très bien. C'est moi qui te l'ai dit ?

‒ Non, tu étais encore dans le coma.

‒ Tu n'es pas revenue quand j'en suis sortie...

‒ Je sais... ta sœur...

‒ Tu aurais dû insister. Toi, ma meilleure amie.

Il n'y a que de la colère dans l'atmosphère. 

‒ Je ... je sais.

Alicia écrase sa clope. Un geste sec, triste. La cigarette est tordue dans le pot de terre cuite.

‒ Je... je ferais mieux de vous laisser.

‒ Ça vaut mieux.

Alicia ravale un sanglot, marche vers Jade. Cette dernière ignore son regard. 

Elle rentre et laisse Jade à ses démons.

Perle de l'AtlantiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant