Perle de l'Atlantique

19. Lille flottante (3/3)

La blancheur de la croix de pierre tranche sur le ciel bleu.

Devant une tombe impeccablement préservée, Jade et Lucille déposent un bouquet de fleurs. C'est celle de leurs parents, dont les noms en lettres d'or commencent à perdre leur éclat.

‒ C'est tellement étrange, murmure Jade. Je n'arrive toujours pas, après toutes ces années, à me dire que leurs corps sont en-dessous.

‒ Et pourtant...

‒ Tu crois qu'ils seraient comment, aujourd'hui ?

Lucille s'immerge dans des pensées nostalgiques.

‒ Je pense que maman viendrait me voir toutes les semaines. Prétextant faire une courses dans le coin, me ramenant une pousse de rosier que je ne planterais pas, elle me servirait le thé. Elle serait toujours aussi belle. J'adorais quand elle mettait sa jupe plissée, tu t'en souviens ?

‒ Oui... mais tellement ! Et papa ?

‒ Oh, bah lui, il regarderait nos smartphones d'un mauvais œil ! C'est sûr ! T'imagines, qu'il me voit en train de matcher des mecs sur photos ?

‒ L'horreur ! Quand Basile est venu te voir pour aller au ciné, en troisième, on aurait cru qu'il allait sortir son fusil.

‒ Oh, Basile... l'avait presque oubliée celui-là. Tu t'en souviens ?

‒ Un peu ! Pas trop sa tête, mais je me souviens que j'avais hâte d'être grande et belle comme toi, pour voir les garçons s'intéresser à moi et venir me chercher à la maison pour une sortie, malgré l'air renfrogné de papa.

‒ Ah mais ses filles, il ne fallait pas y toucher !

‒ Oui...

Leurs yeux rougis ne coulent pas encore.

‒ C'est terrible de penser, poursuit Jade toujours murmurant, que c'est peut-être mieux qu'ils n'aient pas vu ce qu'il m'est arrivé.

‒ Je pense qu'ils t'ont protégée, Jade. Ils ont été là, pour toi, pour moi. Quand j'étais au plus mal, j'y pensais. Si fort. Tu as survécu, alors que t'avais une chance sur des millions. Je suis certaine que ce sont eux, les anges gardiens qui t'ont sauvée.

Silence d'amour.

Au loin, feuilles et oiseaux mélangent le vent.