Perle de l'Atlantique

12. Floride, Baby ! (3/4)

Chaque matin, Goran entraîne Jade pendant que Jérémie s'occupe de Nella. Ils revoient toutes les épreuves, dans toutes les conditions. Parcours en mer, parcours en piscine, essais avec différentes perruques, travail de pose, du sourire, et endurance dans les sessions d'apnée. 

Goran met aussi l'accent sur les déplacements de Jade, améliorant encore et encore ses ondulations. Ils vérifient chaque coup de nageoires, chaque déhanché. Comme dans l'élite des gymnastes, elle doit être gracile et conserver une esthétique du corps sans faille, du bout des doigts à la nageoire.

‒ Imagine la fluidité des algues dans les courants, ou d'un voile aussi léger que le vent.

Il lui remontre les postures, et Jade ne s'est jamais sentie si concentrée. Elle est comme en transe, à pourchasser la performance, le dépassement de soi.

S'oublier.

Embrasser l'eau.

Penser comme l'eau. 

Elle n'est plus « en dehors », comme le lui disait sa grand-mère, ou comme le lui disait son cœur. Pas pendant ses sessions où l'adrénaline, la rigueur, la beauté, la créativité s'entremêlent, lui faisant oublier les heures, l'effort, les autres ennuis, les pilules et son accident.

Le soir, à l'hôtel, les soirées sont une succession de moments de joie. Au bord de la piscine, les merfolks se retrouvent, partageant leurs anecdotes, mais surtout, ils sont unis par un lien invisible, puissant, qui va plus loin que les verres de cocktails qui s'entrechoquent sous les lumières.

Jade, bien qu'elle ait des difficultés à suivre toutes les conversations, ne s'est jamais sentie aussi à l'aise. Une tablée improvisée vient d'attaquer quelques verres au contenu aussi bariolé que leurs tenues et queues de sirènes. Nella rit à gorge déployée face à Jérémie qui essaie une de ses perruques, quand d'autres jeunes qu'elle n'a encore jamais vu font connaissance.

‒ Eh, mais, c'est toi « Perle de l'Atlantique » ? lui demande un jeune québécois aux dreadlocks argentés.

‒ Euh, oui...

‒ Awesome ! Tu sais que tu deviens un mystère dans la communauté ? 

‒ Moi ?

‒ Mély, SeaWill ou encore Goran ont partagé des trucs sur toi. Ça nous intrigue trop. Chapeau, franchement ! Je suis honoré. Tu vas avoir des spectateurs pendant ton show !

‒ Oh... Euh, faut pas. Enfin, merci... euh ?

‒ Moi, c'est Dominic. Et mon nom triton c'est King Dom.

‒ Enchantée.

Ils se serrent la main avec chaleur.

L'alarme du portable du jeune homme vibre.

‒ Ah, c'est mon rappel pour ma prise d'hormones !

Nella, qui l'a entendu, lui lance :

‒ Attention aux bouffées de chaleur !

‒ T'as connu ça avant moi, bitch !

Elle lui envoie un baiser, puis se retourne vers Jérémie qui s'est levé pour l'embrasser et lui susurrer un mot à l'oreille.

Jade bloque sur Nella. Elle ne lui a jamais parlé de sa transidentité. Elle trouve si beau, si émouvant cet intermède qu'elle seule remarque : Jérémie se redresse, Nella sourit, pose sa main sur le bras de son amant, puis ils se regardent, avec amour. Elle l'observe s'éloigner vers le buffet, admirative, puis retourne à une autre conversation.

Le reste de la soirée est tout aussi bon. Jade ne parle pas beaucoup, limitée par la maîtrise de la langue. Mais même si elle ne les comprend pas, ils ont pourtant un langage commun. Celui des laisser-pour-comptes, des excentriques, des marginaux, ceux qui ont osé aller au bout d'un rêve compris seulement d'eux.

Quelque chose d'indescriptible, qui émane dans chacune de leur prestation et fait rêver ceux qui les regardent.

Elle comprend tout.

Elle comprend pourquoi elle a choisi le mermaiding. Ou plutôt, pourquoi le mermaiding l'a choisie.