Chapitre 18

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Même si je ne vois pas la tête de Matthias, je l'imagine sans peine: les sourcils froncés, et la bouche grande ouverte. 

Je vois à travers les yeux de ce dernier Déva sortir complétement du buisson, avant de se débarrasser des feuilles qui sont restées collées à ses vêtements.

— Alors, Matthias, ça va comment? Je te manque? demande- t- elle, un sourire carnassier aux lèvres.

Matthias se place derrière le banc, comme pour avoir un rempart entre lui et Déva, que je ne reconnais pas; elle n'a plus rien de la jeune fille pétillante que je connaissait. Son sourire est inquiétant, et se traits semblent tirés par la fatigue.

Je me pétrifie, même si je suis en sécurité—enfin, pour l'instant. 

Déva se rapproche dangereusement de Matthias. Elle mesure chacun de ses pas, comme pour effrayer mon ami. Son comportement est étrange. Elle n'est pas elle même. On dirait presque qu'elle est sous l'emprise de quelque chose...Ou quelqu'un. Je repense à Kate. Serait-ce cette vipère qui a changé mon amie? 

Soudain, je sais pourquoi Déva est dans cet état: elle a du aller à Fourvière, et peut être qu'il y avait de la nourriture... Mais empoisonnée! Mon cerveau bouillonne. Il faut empêcher Déva de faire du mal à Matthias, je sais combien les drogues font perdre la tête!

Sans réfléchir, je sors de mon lit. Ma jambe m'élance, mais je me lève quand même. Matthias l'a parfaitement bandée, j'ai juste à prendre une arme et quelque chose qui pourrait faire office de canne. Je me mets à fouiller l'appartement, qui est plus grand que ce que je pensais. En cherchant un peu, je tombe sur une béquille. Parfait. Je la prend, glisse un revolver dans ma poche et quitte l'immeuble. Dans un coin de ma vision, je vois toujours Matthias face à Déva, qui est beaucoup trop proche de lui à mon goût.

— Matthias, j'arrive! criais- je en haletant à cause de l'effort fourni. Au diable la discrétion! J'avance le plus vite possible dans les rues de Lyon, tout en poussant des cris de douleur à cause de ma jambe.

— Elle est sous l'effet de drogues, je pense qu'elle revient de Fourvière! Surtout, ne fais rien, j'arrive! rajoutai- je, conscient que je vais mettre beaucoup de temps à arriver, d'autant plus que le chemin dans les bois est en montée. Soudain, je sens que quelque chose qui obstruait mon champ de vision s'est enlevé. Je mets plusieurs minutes à comprendre que c'est la caméra qui manque à l'appel. Matthias l'a- t- il coupé volontairement, où est- ce une erreur?

Au bout de ce qui me semble être une éternité, je parviens enfin au chemin dans les bois. C'est la partie la plus difficile de mon chemin, et je dois me reposer régulièrement pour ne pas m'effondrer de douleur et de fatigue. Qui aurait cru que c'était si dur de marcher avec une béquille? 

Matthias ne me contacte pas, je crains que Déva sois passée à l'attaque. Mes pas deviennent mécaniques, je ne pense plus à rien, et essaie d'empêcher la douleur de m'envahir. 

Je dois avoir parcouru les trois quarts du chemin, quand j'entend un cri. Je me fige, aux aguets. Autour de moi, la forêt s'est tue, elle aussi. Après trente secondes à espérer entendre quelque chose, je reprends mon chemin. Je presse le pas, même si je sais que je vais encore trop lentement. Je panique. Peut être que j'arriverai trop tard pour sauver Matthias. Et s'il se vidait de son sang en ce moment même? Je panique. Je n'arrive plus à respirer, une angoisse incontrôlable m'étreint, me serre dans ses bras. Je suis prisonnière de mes propres sentiments, enfermée dans une cage que j'ai moi- même construite. 

Je pénètre enfin dans la clairière. Il n'y a personne, pas même un moineau. Seul le silence m'entoure, me cajole. Je me demande où est passé Matthias. J'ai à peine le temps de chercher une explication que ce dernier déboule en courant dans la clairière, et me prend dans ses bras.

— Tu aurais du rester à l'appartement! Ta jambe va mettre encore plus de temps à se refermer, maintenant!

— Matthias, lâche moi, grommelai je en le repoussant de mes mains. 

Il me repose par terre, mais me tiens quand même la main pour que je puisse m'appuyer sur lui.

— Je m'inquiétais, la caméra s'est arrêtée de marcher car elle n'avait plus de batterie! J'ai eu peur qu'il ne t'arrive quelque chose avec ta jambe blessée! explique- t- il.

— Matthias, c'est moi qui ai eu peur! Tu étais seul avec une fille qui est sous l'emprise de drogues, je ne pouvais pas rester allongée sans rien faire! protestai je, agacée qu'il tente de me protéger comme s'il était ma mère.

— Oh, Déva! Je me suis mis à courir un peu après que la caméra se soit éteinte. Elle a essayé de me suivre à travers les fourrés, mais son état l'en a empêché; elle s'est évanouie, alors je l'ai porté et mise dans un appartement un peu plus loin. 

— Ouf. Je pensais que c'était toi qui criait! dis-je, rassurée.

Matthias fronce les sourcils, perplexe: 

— Un cri? Je n'en ai entendu aucun!

— Mais si, il y a dix minutes! J'étais déjà dans la forêt, je m'en souviens très bien! je soutiens, persuadée d'avoir entendu un cri.

— Il y a dix minutes, j'étais encore en ville! J'ai du ne pas l'entendre! En tout cas, ça signifie que nous ne sommes pas seuls...

— On fais quoi maintenant?

— On se rend à Fourvière, mais on ne touche pas à la nourriture s'il y en a! Par contre, je sais que la vue peut nous donner un avantage stratégique. Il me faut juste un appareil photo!

Je plisse les yeux, peu convaincue par son argument:

— Tu es sûr que ce n'est pas dangereux? Il pourrait y avoir d'autres drogués, et comme tu me l'a fait remarquer, je suis blessée! On ferait mieux d'attendre demain!

Les traits de Matthias se durcissent:

— Non. Demain, il y aura d'autres dangers. Nous devons y aller maintenant, je le sens! dit-il  avec un ton où perce l'urgence. Je soupire, puis accepte à contrecœur. Nous reprenons alors notre chemin. Heureusement, nous allons plus vite car Matthias m'aide à marcher. Arrivés en haut, nous nous retrouvons face à face avec un immense bâtiment en pierre, que je devine être la cathédrale. Elle est tellement magnifique que je m'immobilise pour mieux la regarder. Matthias me tire le bras pour me faire comprendre que nous n'avons pas le temps d'admirer une cathédrale.

Nous fouillons les appartements les uns après les autres, si bien que la nuit tombe petit à petit. Je commence à perdre espoir, quand tout à coup Matthias pousse un cri de triomphe. Je boîte vers lui en le félicitant. Dans ses mains repose un petit appareil noir.

— Il n'a pas l'air d'être de très bonne qualité, mais ça fera l'affaire! déclare Matthias, avant de s'élancer vers la porte.

— Hé, tu m'oublies? Je ne peux pas courir, bêta! le disputai- je en serrant les dents pour résister à la douleur.

— Oh, désolé! s'excuse il avant de me prendre pour me mettre sur mon dos, ce qui m'arrache un cri de douleur.

— Aïe! Mais qu'est- ce que tu fais, idiot?

— On ira plus vite si je te porte: il fait bientôt nuit, or je veux arriver au point de vue avant que le Soleil ne disparaisse complétement! Sur ce, il fonce vers la porte, sors de l'appartement et parcours en rien de temps la forêt qui nous séparait de la cathédrale. En découvrant la vue, je suis tout de suite subjuguée par la beauté de Lyon.

— Wouah... soufflai je.

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