Chapitre 25

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Un étrange mécanisme semble s'enclencher à l'intérieur de la montre. J'entend le cliquetis des rouages, comme si on les tournait à toute vitesse. Puis, d'un coup, les aiguilles qui indiquent l'heure se mettent à tourner à toute vitesse, comme remontant le temps. Inconsciemment, je contracte mes muscles faciaux. 

Les aiguilles s'arrêtent finalement sur 7h00. Aucune indication, rien. Je fixe bêtement la montre pendant plusieurs secondes, mais rien ne se passe. Je la tourne et l'observe sur tous les angles, la caresse pour tenter d'atteindre une faille, une gravure, n'importe quoi qui puisse me donner un indice. 

Alors que je palpe le côté gauche de la montre, mon doigt sent une déformation. Soudain fiévreuse, je rive mes yeux sur ce côté. Une inscription y est gravée. Je me penche pour la lire:

"Le monde entier est une horloge"

Un premier temps, les questions se cognent et s'entrechoquent dans mon cerveau. A quoi cette inscription fait référence?

Je fouille dans ma mémoire: souvenirs de cours, de discussions, tout y passe. Pour enfin tomber sur un souvenir de cours de Géographie.

— Monsieur, un jour, quelqu'un m'a dit qu'on pouvait se repérer en comparant le monde avec une montre. C'est vrai?

— Je vois ce que tu veux dire. Je vais juste le reformuler pour tes camarades.

Le professeur a pris un stylo, dessiné un bonhomme au tableau, puis, en prenant ce bonhomme comme centre, a dessiné une horloge autour

— Dans le monde d'avant, les gens utilisaient l'idée d'une horloge pour donner une direction. Exemple: F, mon bonhomme, suit les indications de quelqu'un, qui lui parle dans une oreillette. Pour qu'il puisse prendre une direction correcte, la personne lui disait "va à trois heures", par exemple. Et là, F allait  à trois heures en partant de lui comme centre de l'horloge, et en admettant que douze heures était en face de lui. Ou alors il se repérait à la position du soleil, je ne sais plus trop. En tout cas, on peut se servir d'une heure pour indiquer une direction, oui.

C'est ça! La montre à gousset m'indique une direction. 

Lentement, je regarde autour de moi: en face, la fenêtre. Derrière, un peu sur la gauche, la salle de bain. A ma droite, l'espace cuisine, et, enfin, sur ma gauche, la porte d'entrée. 

Si je me tourne vers mes sept heures, je tombe sur... la salle de bain. Je me déconfit presque immédiatement après que mon cerveau fasse cette conclusion; je vais devoir entrer dans la salle de bain. 

 Non. Pas question. De tout l'appartement, c'est la salle de bain qui me répugne le plus. C'est comme si un champ de force était placé tout autour, m'empêchant d'entrer. Ou alors c'est juste mon inconscient qui me force à rester loin de cette pièce de malheur. En tout cas, une chose est sûre: je ne veux pas y entrer. Mais je vais devoir m'y résigner. Vu le regard de Simon quand il a annoncé que nous devions sortir avant 19h00, je ne présage rien de bon quand à la "surprise" qu'il nous réserve si l'on n'en sort pas.

A pas lents, presque à reculons, j'entre dans la salle de bain. La puanteur me prends tout de suite. J'avais fini par m'y accommoder, mais elle si présente ici qu'elle me donne des nausées. 

Je déplace quelques objets du bout de la main, avec une moue dégoutée. Jusqu'à ce que je trouve des gants, qui sont donc à cet instant le Graal pour moi, qui n'en espérait pas tant. 

Et c'est avec détermination que je continue mes recherches. De quoi? Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que je retourne de fond en comble la salle de bain, et que je ne trouve rien. Pas le moindre petit bout de papier, pas la moindre inscription, rien. 

Mon regard se rive alors sur les toilettes, complètement bouchés par la crasse. J'ai deux révélations en les voyant. La première: j'ai terriblement envie de faire pipi. La deuxième: je n'ai pas cherché là, putain. Je ravale un haut-le-coeur en comprenant ce qui m'attend. Je vais devoir fouiller ces toilettes, enlever la crasse pour trouver un indice. Mais mon corps m'interdit de bouger: en effet, j'ai si envie de faire pipi que mon corps me fait sentir qu'au moindre mouvement, je risque de me faire dessus, comme une enfant de quatre ans. 

Lentement, précautionneusement, je me dirige vers un petit coin de la douche. Pas question que je me soulage dans les toilettes, je vais les fouiller après!

Enfin libérée, je m'attaque à la tâche immense qui m'incombe: déboucher ces fichus toilettes. Je ramasse un premier bout de crasse, mélange de nourriture, boue, et quelque chose d'autre que j'identifie comme être des déjections. C'en est trop pour mon nez, je vomis. Je décide alors de mettre la crasse sur mon vomi — autant essayer de camoufler cette odeur, tant pis pour l'hygiène. 

Au fur et à mesure, les toilettes se vident, et je désespère. J'ai donc sali mon amour propre — et mon t-shirt — pour rien? Au final, j'aurais juste débouché des chiottes absolument immondes?

Malgré ce manque d'entrain, je continue. Mes efforts payent: j'arrive à la fin de ce débouchage, le tas de crasse m'arrive à l'épaule, et je vois une petite bouteille. Je la récupère comme si c'était une relique sacrée, et la regarde, émerveillée. Je n'aurais jamais cru être aussi heureuse en voyant une bouteille. 

Je sors de la salle de bain, fatiguée, crasseuse, puante, mais heureuse. J'extirpe le papier de sa prison de verre, puis le déplie scrupuleusement. 

Un mot y est inscrit.

Nettoies l'évier, et la solution apparaîtra 

Tout ma détermination nouvelle s'effondre, tour de papier soufflée par une tempête. Je vais encore devoir nettoyer quelque chose. Je commence à croire que les techniciens ont crée cette épreuve seulement pour nous faire nettoyer leurs appartements.

Je regarde ma tablette: trois nouveaux abandons, 12h58 du matin. Sans le savoir, j'ai passé toute la matinée à chercher des indices. Je vais devoir me dépêcher, si je veux sortir avant 19h00.

— Jade, est ce que j'ai fais la moitié de l'escape game?

Oui, mademoiselle. Vous venez de finir la troisième épreuve sur six, soit la moitié du jeu puisque la moitié de six e...

—Jade, stop, je connais mes cours de maths.

Je m'assois sur une siège à moitié cassée, récupère mon sac et en sors quelques fruits, et un morceau de chocolat. Il y a bien une boîte de thon sur le plan de travail de la cuisine, mais vu l'état du studio, je doute que ce soit comestible. 

Je profite de ce temps de pause pour réfléchir: que fait Matthias en ce moment? Peut être qu'il est déjà sorti, lui. Vu comme il est débrouillard, ça ne m'étonnerais pas.  Et Sasha? Pareil, c'est une battante. Maya et Déva, peut être un peu moins mais je connais le sens de l'observation de Maya, et la détermination inébranlable de Déva. Elles sont plus armées que moi, ça c'est sûr. Et peut être que ma mère me voit à la télé en ce moment même, en train de manger, sale, la fatigue affichée en grand sur le visage. Je cherche alors la caméra susceptible de me filmer.

Mes yeux balaient tous les recoins de la pièce, des gonds usés de la porte aux moutons de poussière sur le sol, en passant par les peluches éventrées, les vases renversés, la vaisselle brisée et la boue maculant le carrelage blanc, pour enfin se poser sur une mouche, à l'aspect inoffensif. Celle ci est tournée dans ma direction, me fixant de ses yeux noirs. Je souris. J'ai trouvé la caméra.

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