Chapitre 54

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Je sens mon cœur s'arrêter. Une vague de terreur, non, plusieurs, une tempête de terreur s'abat sur moi. Je ne peux plus bouger, je suis pétrifiée par l'angoisse. Ce qui devait être mon moteur se retrouve à être mon frein. Un frein puissant, si puissant que je ne peux même pas bouger un orteil. Je retiens ma respiration, de peur que l'intrus ne l'entende. Mes mains, toujours appuyées sur un buffet afin de le pousser contre un bureau pour empêcher l'entrée dans l'appartement se crispent. Je vois la tension dans mes bras, les muscles tendus, prêts à partir, mais qui n'en font rien. Je crois que je veux fuir. Mais je ne veux pas. Ma peur est tellement forte que je préfère rester ici. L'humain n'aime pas l'inconnu. J'ai besoin de savoir qui est derrière cette porte. 

La bouche grande ouverte, les yeux écarquillés, je dois faire peur à voir. Je suis comme une poupée de cire, j'attends qu'on s'occupe de moi. Je ne suis pas capable de le faire moi même. L'air commence à me manquer, mes membres s'atrophient, mais je ne peux rien y faire. Je ne suis plus maitresse de mes mouvements, un autre s'est approprié mon corps.

Puis, soudain, cet autre part, la pression se libère, l'adrénaline se déverse par torrents dans mes veines. Mes mains s'écartent du meuble, mes jambes me font faire demi-tour. J'empoigne mon sac, prends une grande goulée d'air. Celle qui me manquer. Je ressens un vide, mais il est peu à peu comblé par l'oxygène. Je n'ai jamais autant apprécié respirer. Sans me soucier du bruit, j'ouvre la baie vitrée. Aussitôt, un vent puissant me fait rebrousser chemin. Les cheveux dans l figure, je cherche une autre échappatoire. Une trappe, n'importe quoi qui puisse me faire quitter cet endroit, qui sera mon dernier appartement si je laisse entrer mon adversaire.

Celui ci tambourine désormais contre la porte. Je ne sais pas comment, mais je sens son impatience. Iel ne veut plus attendre, iel, veut entrer. Et le bois pas si solide que ça est en train de céder aux violents coups répétés. Paniquée, je reste plantée au milieu du séjour, une main agrippant désespérément la lanière de mon sac, l'autre pendant dans le vide, se balançant au rythme de mes halètements. Je suis une bête traquée, une proie.

J'avise un arbre, un pin, à côté de la fenêtre. Si près... Je me jette sur la vitre, et, sans réfléchir, sors sur le balcon. De puissantes rafales me balayent. Elles me forcent à plisser les yeux. Ma visibilité réduite, je suis plus faible, je n'ai plus une vision périphérique de mon environnement mais des fragments de couleur, minuscules. 

Dans ce qui me semble être le chaos, je distingue une branche, pas très éloignée de la rambarde. Un mètre de distance, peut être. Rien. Et énormément. Car le vide qui me sépare du sol est bien présent, lui, et j'ai plus que jamais conscience de lui. 

Un craquement me décide. Un simple craquement, celui du bois qui plie, abandonne sous la contrainte. Un cri étouffé de douleur. Je me retourne. Mon regard croise celui de Sasha, plus sombre que jamais. 

Je saute. Sans hésiter. Ma chute me paraît si longue, et si rapide. Ma main cherche la branche, le contact rugueux d'un arbre, les épines des feuilles. Elle fouette l'air, puis rencontre avec violence un objet que je ne distingue pas. Immédiatement, je m'y agrippe avec l'énergie du désespoir. Je m'accroche, ma main gauche rejoint la droite.

 Mes pieds balayent le vide, essayent de trouver une surface sur laquelle s'appuyer. Au final, je croise le jambes, sur la même branche que celle que mes mains tiennent. Je fais le cochon pendu sur un arbre à quinze mètres de haut. Je rirais si je ne risquais pas de mourir. 

La tête pendue, je regarde autour de moi. Ma position est précaire, il faut que je rejoigne le tronc, là où les prises seront plus solides. Ni une ni deux, je me rapproche, petit à petit. Je n'ai pas de temps à perdre, je suis sûre que Sasha est à ma poursuite. Les jambes, une main, deux mains, et rebelote. Encore et encore. Je m'enfonce dans l'arbre, les feuilles du pin, acérées, me lacèrent et griffent les bras. Je serre les dents, ce n'est pas ça qui va me décourager. J'avance, jusqu'à buter contre une chose dure.

Le tronc. Je soupire de soulagement, puis pivote pour m'asseoir dos contre l'écorce. Je dois m'y reprendre à plusieurs fois, car mes muscles sont raidis par l'effort. Mais je n'abandonne pas. Si je reste dans cette position, je vais tomber.

Enfin, je suis assise. C'est un tel soulagement, et, à part mes cuisses contractée pour me retenir, je n'ai mal nulle part. J'ose jeter un coup d'oeil vers le balcon, que je distingue à peine. Une silhouette y est penchée, semblant chercher quelque chose. Mon sang se glace dans mes veines. Moi, elle me cherche moi. J'avais raison, elle ne lâchera pas l'affaire. Malgré le fait que nous étions amies. Elle est prête à tout pour gagner. Ça me fait presque froid dans le dos.

Mais je suis tout de même soulagée. Son comportement révèle qu'elle ne m'a pas vue tomber, et c'est bon signe. Elle devait être trop occupée à se dégager du fatras de meubles que j'ai poussés devant la porte. En revanche, je dois me détourner de l'immeuble, sinon Sasha finira par me remarquer. Je regarde autour de moi, examinant les autres branches, évaluant leur solidité. Oui, uniquement à l'oeil. C'est très risqué, je sais. Cependant, je n'ai pas vraiment d'autre alternative. 

Mon choix se porte finalement sur une épaisse ramification, de l'autre côté du tronc. Lentement, je me redresse. Je pose un pied sur une branche, une main sur une autre, respire un bon coup, et, mon sac toujours sur le dos, transpose tout mon poids sur la surface arrondie. L'écorce craque, alors je me dépêche d'atterrir sur celle voulue. Quand je me retourne, je ne vois pas le balcon, le feuillage est trop épais. Tant mieux. 


J'attends plusieurs heures, changeant plusieurs fois de positions afin d'éviter les raideurs. Ma vessie me presse, mon ventre gargouille. Et le soir ne va pas tarder à arriver. Je dois partir. Délicatement, je descends, me faisant des milliers d'éraflures aux bras et au visage. Je manque plusieurs fois de chuter, mon cœur rate une pléiade de battements, mais je pose enfin le pied par terre.

Un soulagement indescriptible m'envahit. Je suis tentée de m'allonger sur les racines et de dormir, mais la peur qui veille sur moi me ramène à la réalité: si on me trouve ici après 19h00, je suis fichue. 

Une question se pose désormais: dois-je retourner dans mon ancien appartement, au risque d'y croiser Sasha, ou dois-je marcher encore et me reloger ailleurs? Je choisis la première option. Avec un peu de chance, ma concurrente est partie et je ne la reverrai pas. Dans tous les cas, je suis sûre qu'elle s'attend à ce que je courre le plus loin possible. Anna me disais souvent "cache toi là où l'ennemi t'attends le moins". Je vais l'écouter, pour une fois. 

Après avoir vérifié que ma "prédatrice" n'étais plus à son poste, je sprinte jusqu'à une entrée, courbée, pour passer inaperçue. 

L'étape la plus difficile m'attend: les escaliers. Il n'y en a qu'un seul. De plus, il est bruyant: le claquement de mes pas contre les marches se réverbère. Si je croise Sasha, je suis fichue: elle est plus forte que moi, plus rapide, plus maligne...

Je respire un bon coup, et pose un pied sur la première marche. 

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