Je ferme à toute vitesse la porte derrière moi, et m'effondre sur le canapé. Je ne sais même pas comment j'ai fait pour traverser un étage sans me faire prendre. Quelquefois, j'entendais des échos de bruits de pas, au loin. Cela m'a rendue encore plus prudente: si les chaussures de Sasha sont audibles, alors les miennes aussi. Je n'ai jamais monté un escalier aussi lentement. La sueur mouillait mon front, et mes mains étaient complètement moites.
Je tremble, je ne peux pas m'arrêter. C'est incontrôlable, comme si toute la peur que j'ai ressentie jusque là me revenait en pleine figure. Je me lève, mais mes jambes ont du mal à me porter. Je me sens si faible, si fatiguée. Comme si on m'avait ôtée toutes mes forces.
Je... dois... aller... jusqu'... au...lit...
Ah, ça... y est...
Je m'écroule sur les draps, sans faire attention au bruit que je fais, en me traînant à moitié sur le sol puis en m'écrasant sur le lit. Je perds aussitôt conscience, comme évanouie.
Je ne suis pas tranquille pour autant.
— Allez, Perle, tu vas le faire...
Paniquée, je sens la main de ma mère me pousser vers la forêt. Celle ci est entourée d'une simple barrière en bois, et une porte, grande ouverte, m'invite à entrer. Je suis comme attirée, je ne peux pas reculer. Je le désire pourtant, de tout mon être. J'esquisse même un geste pour faire demi-tour, mais il n'aboutit jamais. A la place, les portes de bois se referment derrière moi et une longue complainte jouée à la corne de brume retentit. Je suis terrifiée.
Devant moi, s'étalent des arbres à perte de vue. Je ne vois pas loin, il fait sombre. Je me recroqueville, comme pour passer inaperçue. Qui sait ce qui rôde dans cet endroit?
Puis, je me décide enfin à avancer. Ils ne m'ouvriront pas. Je dois rester grand maximum vingt quatre heures. Rien en apparence, mais une éternité, en réalité. Sauf si je trouve rapidement ce fichu cerf, et que je le ramène. Sans le blesser.
A ma taille, pend une corde pour emprisonne l'animal. Lourde, elle m'handicape et me ralentit. Je m'assoit en tailleur, la détache et commence à faire des nœuds, afin de former un licol, qui retiendra l'animal à moi. Je remarque au passage que mes mains sont lacérés, mais ne m'en formalise pas. Tant que ça ne me fait pas mal, je ne m'inquiète pas.
Quelques minutes plus tard, ma "laisse" est prête. Je pose le mou sur mon épaule, le reste dans la main. Désormais déterminée à trouver cet animal, il ne subsiste plus aucune trace de ma peur.
A part sur un point.
J'ai un mauvais pressentiment. Je ne le sens pas, quelque chose cloche. Ce quelque chose est là pour me mettre des bâtons dans les roues, et pas des petits. Du genre tronc, plutôt. Et peut être même qu'il m'observe là, maintenant. Cet instinct ne m'a jamais trompé. Je reste cependant calme, une vraie façade. Ce quelque chose ne doit s'apercevoir de rien. Il doit juste voir que je suis concentrée, et croire que je ne me suis pas rendue compte de sa présence. Un jeu d'enfant, en apparence. Sauf que je regarde partout autour de moi, à l'affut du moindre bruit, du moindre craquement, de la moindre feuille qui tombe. Quelquefois, les oiseaux piaillent, ce qui me fait presque sursauter. Presque. La nuance est importante. Il y a un fossé entre presque et totalement. Dans mon cas, un seul signe de faiblesse peut déclencher l'attaque du quelque chose.
Ma marche se fait plus hésitante, au fur et à mesure que j'arpente la forêt. Je ne me suis pas arrêtée une seule fois. Mais la fatigue se fait sentir. Un geste me coûte plus d'efforts, ma vue se trouble, je chancèle même. Je n'ai croisé aucun animal, même pas les moins timides. C'est anormal. J'empoigne mon arbalète, que je place devant moi. Je recule contre un tronc, et me laisse glisser contre l'écorce. L'oeil dans le viseur, je balaie la forêt du regard.
Rien ne bouge, si ce n'est que quelques feuilles. Puis, un buisson remue. Sans hésiter, je tire. Terrible erreur. Un long cri perce le calme ambiant. Je cours, pour trouver un renard, agonisant derrière les branchages. Je pousse un cri d'horreur. La flèche a percé son abdomen, du sang s'en écoule, sans s'arrêter. Il ne survivra pas, c'est une certitude. Je pose le petit animal sur mes genoux, sors mon couteau et l'égorge. Au moins, il ne souffrira pas longtemps. Je lève la tête vers le ciel, recouvert de nuages, baisse doucement les paupières et m'excuse auprès du renard. Si je m'y prends correctement, il recevra mon message.
Je dépose le petit corps sur le sol, à côté de moi, et, à l'aide de mon couteau, creuse un trou. Cela me prend une trentaine de minutes, que je ne vois pas passer. L'effort me fait tout le temps perdre le compte des heures.
Je dépose le cadavre du renard dans le trou, puis remet la terre par dessus. Une fois ma tâche accomplie, je me relève, enjambe la sépulture de l'animal et me remet en marche. Mine de rien, cet épisode m'a épuisée. Mes articulations sont douloureuses, mes os craquent. On dirait une ancienne.
Je parcours la forêt avec plus d'ardeur: le temps presse, et, pour l'instant, il ne joue pas en ma faveur. La nuit commence à tomber. Demain, à l'aube, on viendra me chercher. J'espère réussir, il en va de mon honneur et de ma réputation.
La fatigue vient fermer les yeux, faire danser des lumières étrange devant moi, mais je n'y prête pas attention. Les arbres sont plus sombres, chaque ombre est menaçante, maintenant que le soleil a disparu au loin, parti illuminer d'autres terres.
Je repousse l'angoisse, qui vient frapper aux portes de mon esprit. Elle résiste, mais je suis tenace, et ne cède pas. Je pense à ma mère, à mes amis, à mon lit douillet qui m'attend, et dans lequel je me coucherai lorsque je rentrerai.
Puis, j'entends un bruit bien spécifique, un bruit que je connais depuis que je suis toute petite. Celui des pas d'un animal sur la terre meuble. Un quadrupède, selon mes estimations. L'excitation m'enveloppe. Ce doit être le cerf...
Discrètement, je me place de manière à pouvoir observer l'animal.
Oui! C'est un majestueux cerf, qui broute l'herbe douce d'une clairière. Je dois me faire violence pour ne pas lui sauter dessus. Le moindre geste brusque le ferait détaler, et il est plus agile en forêt que moi. D'ailleurs, ça m'étonne qu'il ne m'ai toujours pas remarquée. Un pied devant l'autre, prudemment, j'avance dans la direction de ma proie. Une oreille se dresse. Je m'arrête immédiatement. Heureusement, je suis assez proche de lui pour le capturer.
Lentement, je prépare ma corde. Je ne tremble pas, mes gestes sont confiants, précis. Je les connais par cœur, après tout.
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Citygames
Science FictionImaginez vivre dans une société où tout est organisé hiérarchiquement. Imaginez vivre tout en bas de l'échelle de cette société. Imaginez que le gouvernement vous propose tout les ans un jeu pour vous sortir de la pauvreté si vous gagnez. Que ferez...