Chapitre 53

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Je lâche une exclamation quand je vois mon appartement final. Car c'est bien le dernier, oui, il n'y en aura pas d'autre. Je le sens au fond de moi, comme quand on sait quelque chose, qu'on en a la certitude, sans avoir aucune idée de ce qu'il en est réellement. L'instinct. 

Ca sent fort le produit nettoyant. On dirait que quelqu'un a nettoyé l'habitation de fond en comble, et est parti il y a à peine dix minutes. Etrange. Savaient ils que mon choix se porterait sur le numéro 25?

Je hausse les épaules pour moi-même. Au fond, on s'en fiche. Seule compte la discrétion de l'endroit. Je me dirige tout droit vers la fenêtre, ne prenant même pas le temps de poser mon sac, dont le poids tire sur mes épaules. Je colle mon visage contre la vitre, mon souffle formant de la buée. Les immeubles d'en face sont proches, mais pas trop non plus. En me concentrant, je peux apercevoir les meubles entreposés. Mes yeux balaient le bâtiment, à le recherche d'une silhouette. Rien. Soit il n'y a personne ici, soit mon voisin se montre discret. Et je devrais en faire de même, au lieu de rester si proche de la fenêtre. Une ouverture vers l'extérieur, c'est fantastique, mais aussi très dangereux. Un risque de plus, parmi la multitude de contraintes. Je dois veiller au bruit de mes pas sur le sol. Si je m'appuie trop fort, on pourrait l'entendre. Les froissements de papier sont également à éviter, ainsi que le raclement des chaises sur le parquet, et le cliquetis des couverts. Je ne sais pas si l'immeuble est bien isolé, autant être prudente. 

Je m'écarte de la baie vitrée du salon, hésite, puis ne ferme pas le rideaux. C'est trop suspect. J'éviterai de passer devant les fenêtres, c'est tout. Je pars dans la chambre, y pose mon sac, puis vérifie la vue: si elle est trop révélatrice, je  dormirai ailleurs. Heureusement, mon lit est contre un mur, presque invisible selon mes calculs. Je veillerai à me baisser lorsque je traverserai la pièce. 

A part le petit bémol qu'est le vis-à-vis, je trouve mon nouvel appartement plutôt agréable: il est assez grand, le lit est confortable, la salle de bain spacieuse (avec une baignoire, en plus!), la cuisine bien équipée, et, la cerise sur le gâteau, les placards sont pleins. 

Je décide de bien commencer la finale en entamant une tablette de chocolat, encore entière. La nourriture fond dans ma bouche, et je me retiens d'ouvrir celle ci en grand de bonheur. Je ne pense plus qu'au goût de l'aliment, délicieux, qui régale mes papilles gustatives. Au contraire des légumes, qui m'ont toujours dégoutée au plus au point. Surtout les carottes. Je déteste les carottes. 

Un bruit me tire de ma rêverie. Un choc sourd, comme si on lâchait quelque chose de lourd, très lourd. Je me fige, toute mon énergie déplacée dans mon ouïe. La peur m'enveloppe, par ondes, pareille au remous de l'eau. 

Vite, je dois me dépêcher. J'enlève mes bottes pour faire moins de bruit, et, sur la pointe des pieds, je colle mon oreille contre la porte. Mon cœur bat à toute allure. Je tente de calmer mon souffle, accéléré par l'angoisse. 

Soudain, une idée fuse à travers mon esprit recouvert du voile de la terreur. Et si je fermais à clé toutes les portes du couloir. Je m'exalte, transportée. L'intrus ne serait donc pas en capacité de découvrir où je suis précisément. Mais une contrainte se pose: il me faut les clés. Or, je n'ai que celles de chez moi.

Mais...

Et si une servait à le fermer toutes?

Je me précipite dans le couloir. Dès que je ferme délicatement la porte, le silence m'envahit. Je me  sens écrasée, comme si la pression avait augmenté, d'un coup. 

Je vais sur ma droite, vers les escaliers. Tends l'oreille. Rien. Passe la clé dans la serrure. Instant décisif, je retiens mon souffle. Tourne... Petit à petit, doucement, silencieusement. Ferme les yeux. Déclic. Soulagement. Ouvre les yeux. Abaisse la poignée. Fermée. Victoire. Puis, faire de même avec tout le couloir. Et mon propre appartement. Confiance. 

Et si je faisais de même avec l'étage du dessus. Je ne sais pas si j'aurais le courage... Bon, allez. Au pire, je m'enferme dans un appartement, le mien est clos. 

Pas à pas, je monte les escaliers, m'arrêtant à chaque marche pour déceler le moindre bruit dans le silence ambient. Rien. A croire que l'intrus s'est volatilisé, s'est fondu dans une plante. Ma méfiance grandit. Les clés serrées contre mon corps, je tente de ne pas les faire cliqueter. 

Malgré tous mes efforts, je finis par faire la plus grosse erreur que je pouvais faire: je rate une marche. Mon pieds, rencontrant le vide, part je ne sais où, et je lâche le trousseau pour éviter que ma tête ne touche le sol. Je m'effondre dans un vacarme effroyable, les clés se cognant entre elles. 

Prostrée, je ne réagis pas tout de suite. Puis la panique me rattrape, me relève et me force à courir. Je ne me soucie plus de la discrétion. Je suis sans doute repérée. Le plus important, c'est de me mettre en sécurité. Il n'y a pas une seconde à perdre. 

Je ne me vois pas entrer à tout vitesse dans un appartement choisi au hasard, j'entend juste le martèlement dans mes temps, tel un tambour qui me forçerait à avancer. Je tremble, lorsque je dois fermer la porte. Je mets plusieurs secondes à entrer la clé dans la serrure. Mes larmes brouillent ma vue. Ces secondes durent trop longtemps, s'étirent en heures. J'imagine mon poursuivant, une ombre noire à forme humanoïde monter les escaliers crasseux, ne se pressant pas: il sait que sa proie est piégée. Il arrive devant la porte, toque, comme dans les légendes d'horreur. Puis il entre, et ma vie s'arrête. 

Heureusement, ce scénario ne se produit jamais. Je m'adosse à un mur, et laisse mes larmes couler. Silencieusement. Dernière précaution, même si j'ai brisé absolument toutes les règles que je m'étais créées. 

Et, enfin, je reprends mes esprits, et place des meubles (toujours silencieusement) dans l'entrée, pour bloquer la porte. J'ai du mal à respirer. Je crois que je fais une crise de panique. 

Ce qui m'achève, c'est le bruit.

Toc, toc.

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