Chapitre 44

15 5 12
                                    

Je me réveille en sursaut, la tête perdue dans une brume étrange qui empêche mon cerveau de fonctionner. Je mets plusieurs minutes à me rappeler où je suis, persuadée d'être allongée sur un lit de paille, les étoiles pour toit et la chaleur des corps qui m'entourent pour couverture. Immédiatement, je regarde mes bras. Ceux ci sont vierges de tout tatouages, des grains de beautés répandus sur ma peau pour toute décoration. Le soleil perce à travers le rideau écarlate, baignant la pièce d'une étrange lueur rouge. Celle ci est encombrée par de vieux cartons remplis de bibelots, recouverts de poussière. Gwendoline les avait fouillés dans l'espoir de trouver des denrées alimentaires ou des médicaments, mais il n'y avait rien de tout cela dans les boîtes.

Avec plus d'assurance que les autres jours, je pose les pieds sur le sol dur et glacé, et, sans m'appuyer sur le matelas, me poste sur mes deux jambes. Je vacille, alors mon bras valide dessine de grands cercles dans l'air pour me stabiliser. Je vais ouvrir les rideaux, et, ainsi, m'ouvrir au monde. C'était un rituel chez moi. Quand je séparais les deux morceaux de tissus, je montrais aux autres que j'étais éveillée. Il n'était plus question de faire semblant. Ce simple geste a pour moi une importance capitale: il représente le début de ma journée, la parenthèse entre mes heures de sommeil. 

Cette action capitale, j'abaisse délicatement la poignée de la porte, pour ne pas réveiller Gwendoline. Je marche sur la pointe des pieds jusqu'au salon. Sur le canapé, les draps de mon amie sont défaits, il n'y a personne. Elle est partie. Sur la table de la cuisine, un mot griffonné sur un papier m'attend, comme chaque matin quand elle part alors que je ne suis pas levée. 

"Je suis allée chercher des armes et de la nourriture, on commence à en manquer.                               A tout à l'heure                                                                                                                                                                        Gwendoline"

J'apprécie son écriture, grande et élégante. Elle est soignée, impressionnante, tout comme celle qui la possède. Je repose le bout de papier sur la table, et sort du placard un bol, que je remplis de céréales. Tout cela avec une main. C'est maintenant que je réalise combien avoir deux mains est pratique. Je mange en silence, avec pour seul bruit ma bouche mastiquant la nourriture. Charmant. J'ai l'impression d'être vide, incomplète. Entendre constamment quelque chose était imprimé dans mon quotidien, j'ai même oublié ce bruit omniprésent, avec le temps. Il comblait les silences. J'avais fini par considérer comme un ami celui qui est si énervant en apparence. Maintenant, son absence me choque, me perturbe. Mon esprit est en alerte constante, cherche la moindre chose à écouter, pour se raccrocher à la routine. C'est angoissant, déroutant. Je me raccroche désormais à la voix de Gwendoline, aux mouvements bruyants, et pourtant si doux qu'elle effectue. A son rire si clair, qui s'envole jusqu'à la lune. A ses soupirs, lorsque quelque chose l'irrite. Une base solide, dans ma vie faite de papier. 

Quand mon alliée rentre de ses "courses"(plutôt un pillage), je suis étalée sur le lit en étoile de mer, occupée à regarder le plafond. J'ai parfois l'impression que quelque chose cloche, que tout ceci n'est qu'une illusion. C'est trop étrange pour être vrai, un peu comme un rêve. Quand j'en parle à Gwendoline, celle ci me rassure en me disant que tout est réel, et que mon impression est parfaitement normale: quand notre cerveau à du mal à intégrer une information, il invente une excuse, pour se protéger. Admettre que je suis dans une ville ancienne, à jouer à un jeu qui pourrait changer ma vie est sans doute trop lourd. Puis, la tirade de la jeune fille terminée, je plaisante en disant que je viens sûrement de Dehors, et que je suis plongée dans un long coma. Nous inventons alors ma vie extraordinaire de chasseuse, remplie d'aventures et de dangers. Nos rires se mélangent, et forment une belle mélodie, qui remplit l'appartement entier. Puis, mon amie redevient sérieuse, et prends mon bras blessé:

— Bon, ça va mieux là dessous? demande-t-elle en tapotant le simulacre de plâtre, constitué de foulards. 

— A vrai dire, je ne sais pas. Peut être que dans une semaine, je réussirai à le bouger! espérai je, optimiste. 

Gwendoline hausse les épaules, puis m'offre un sourire qui se veut rassurant.

— Ne t'inquiète pas, ça va aller! Je suis sûre que, dans une à deux semaines, ton bras pourra bouger! Et ensuite, on pourra changer de maison! Je ne sais pas toi, je commence à me lasser de celle-ci, plaisante-t-elle. 

— Pareil! J'en ai marre de ce plafond, je le connais par cœur, ris-je. 


Deux semaines plus tard, alors que je tente de cuisiner avec une seule main, le miracle tant attendu se produit: dans un reflexe, j'avance mon bras blessé vers la spatule pour remuer la pâte, et celui ci bouge. Je hurle et bondis de joie. Une douleur a irradié dans mon bras, et est part dans résonner dans tout mon corps, mais je n'y prête aucune intention. L'important, c'est que mon membre me répond. Après des semaines d'ennui, je vais enfin pouvoir recommencer la rééducation! Gwendoline, interpellée par mes cris soudains, me rejoint dans le coin cuisine. Je me jette dans ses bras, tout en criant "Ca marche, Gwendoline, mon bras bouge!", les larmes aux yeux. D'abord surprise, mon amie met plusieurs secondes à réaliser. Puis ses cris rejoignent les miens, et elle me rend mon étreinte. 

Nous restons plusieurs minutes les bras dans l'une de l'autre, à entendre nos respirations s'accorder. Puis je me dégage, et pars m'asseoir sur le canapé.

— Bon, on la commence quand, cette rééducation? lançai- je, le sourire tellement grand qu'il menace de sortir de mon visage. 

— Maintenant, si tu veux! propose Gwendoline, tout en me rejoignant. Bon, je ne connais absolument pas les exercices de rééducation, mais je suppose que le but est de te réhabituer à faire des mouvements simples et complexes! Donc, pour commencer, tu vas essayer, simplement, de bouger ton bras. 

J'acquiesce, et, la langue entre les dents et les yeux plissés (signes de concentration intense chez moi), j'essaie de bouger le membre blessé. Malheureusement, rien ne se passe. A croire que le miracle de tout à l'heure n'était qu'éphémère, que jamais il ne se reproduirait. Mais, invaincue, je réessaie, encore et encore. Le heures passent, mais rien ne se produit. 

Jusqu'à ce que l'impossible se produise: un mouvement imperceptible, quasiment impossible à détecter. Mais, à l'affut du moindre millimètre gagné depuis bien longtemps, je le remarque. Immédiatement, la douleur s'invite, mais je la repousse aux portes de mon esprit, et la sens à peine. Je pleure de joie, et bouge mon bras droit, encore et encore. Gwendoline vient pour assister à ce miracle, et nous nous attelons sur le champ à un travail d'une grande ampleur: pouvoir bouger complètement mon membre supérieur droit. 


CitygamesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant