Chapitre 38

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Cela fait désormais plusieurs heures que nous marchons. Ma jambe me brûle, et mon pied hurle de douleur. Mon membre bionique, lui, remplit sa fonction: il me fait marcher, sans ployer, triste perfection. Je grimace quelquefois, mais tente de le cacher à Gwendoline, qui conserve un air déterminé, sans paraître le moins du monde fatiguée. 

Nous arpentons les rues de Lyon d'un pas rapide, presque en courant. Je dois faire peine à voir avec mes joues rouges, mes cheveux emmêlés, et mon souffle rapide dû à l'essoufflement. Les paysages défilent, sans que je puisse les détailler. A chaque fois que j'essaye d'articuler un mot, m gorge sèche m'en empêche. Au bord de l'évanouissement, le larmes coulant sur mon visage, la chaleur rougissant mes bras, j'agrippe avec l'énergie du désespoir le bras de Gwendoline. Celle ci se retourne, et son visage dur se métamorphose quand elle me voit; une moue de pitié et de remords s'affiche sur sa face.

— Oh mince, excuse moi, j'avais pas vu que t'étais comme ça! Je suis désolée! s'excuse t elle en m'asseyant sur un banc. Elle sort rapidement une gourde de son sac, qu'elle s'empresse d'ouvrir, pour me faire avaler le liquide transparent. 

Au contact de l'eau, le feu qui s'était allumé dans mon cou s'éteint, laissant place à une fraîcheur réparatrice. Je soupire de bonheur, et replace derrière mes oreilles les mèches qui s'étalaient sur mon front, collées par la sueur. 

Je reste assise quelques temps sur le banc bouillant. Le soleil brille dans mon dos, et la chaleur ambiante ralentit ma réflexion. Je veux juste m'allonger, et dormir, longtemps. Je vois trouble, les couleurs se mélangent, j'ai l'impression que le sol est recouvert d'une couche de chaleur palpable. Les piaillements joyeux des volatiles ont disparus, remplacés par un silence écrasant. Il n'y a pas de vent, pas la moindre brise, rien. Comme si les rues étaient vidées de leur vie, et que nous étions les seules à vivre, ici.

— Elle est bizarre, l'atmosphère, non? s'inquiète Gwendoline, sa main en visière sur le front pour protéger ses yeux du soleil. Ceux ci fouillent le paysage, préoccupés. 

— Oui. Comme si la ville était... vide. J'ai vraiment l'impression qu'on est les seules êtres vivants. Ca m'angoisse.

— C'est comme si on était... en canicule. Ma mère m'avait montré un vieux film, un jour, du monde d'avant. C'était un reportage, qui expliquait cette grande chaleur. Les rues étaient vides, les volets fermés, et on entendait pas un bruit. Même le vent était absent.

— Attends, tu penses que les températures augmentent de plus en plus?

— Oui, c'est ce qui me fait peur. En plus, il est presque 16h00, l'après midi, le moment le plus chaud de la journée. Je pense qu'on peut encore marcher un peu, puis rentrer dans un appartement. On aura pas le choix, de toute façon. Allez, on y va, avant que ça empire! m'ordonne-t-elle, tout en me prenant la main pour m'aider à me relever. 

Nous empruntons uniquement les rues ombragées, fuyant le soleil comme la peste. Nous portons un vêtement sur notre tête, pour protéger notre crâne. La chaleur résonne dans ma tête, et me donne des nausées. Des traces rouges parcourent également mes bras et ma jambe, et, dès que je les touche, je ne peux retenir un cri de douleur. Gwendoline appelle cela un coup de soleil, j'appelle cela une claque du soleil. Quelquefois, je passe ma main sur les pierres froides des appartements, histoire de me rafraîchir. 

L'astre du jour poursuit sa course, et nous marchons, toujours. Pourtant, des traces roses commencent à apparaître dans le ciel azur, et la température devient plus supportable. Je peine à tenir le rythme de ma camarade, qui va toujours aussi vite, malgré les kilomètres accumulés qui alourdissent nos jambes. La fatigue me guette, sournoise.

Puis, soudain, sans prévenir, Gwendoline oblique sur la gauche, et entre dans un petit immeuble, situé dans une étroite ruelle obscure. Les pavés sont irréguliers, et je dois surveiller où mes pieds touchent le sol pour ne pas tomber.

La porte en bois grince quand ma concurrente entre. Tout de suite, j'éternue, à cause de la poussière accumulée dans la cage d'escalier. Celle ci forme une couche grise sur le sol et les meubles qui jonchent le sol. Une ampoule pend au plafond, mais quand Gwendoline essaye de l'allumer, celle ci grésille, s'allume puis s'éteint. Tant pis. La pièce est plongée dans une semi obscurité, et il y fait une douce fraîcheur, apaisante. Ni une ni deux, Gwendoline emprunte les escaliers qui mènent au sous sol.

Les marches sont elles aussi recouvertes de poussière, que nous soulevons en posant les pieds dessus. Mon nez coule, désormais, et mes yeux me grattent. J'éternue toutes les deux marches, et le bruit résonne, brisant l'atmosphère inquiétante de l'endroit.

En arrivant en bas, je m'attends à tomber sur un vieux parking, ou une grande pièce en béton avec des néons au plafond, accompagnée, d'une odeur nauséabonde, mais il n'en est rien: c'est un grand débarras, que des centaines de meubles brisés remplissent.

Nous nous frayons un chemin à travers ce capharnaüm, et Gwendoline finit par ouvrir une petite porte, qui donne sur un autre escalier, qui descend encore plus profond sous terre. Je fronce les sourcils, mais ne dit rien et suit la jeune fille. Cette dernière a sorti une lape torche de son sac, qu'elle enfile et allume. 

Un long couloir est allumé, qui descend si bas que je ne vois même pas le fond. Une odeur d'humidité et de moisi se renforce alors que nous dévalons les marches à toute vitesse. Je peine à voir où mettre les pieds, et manque plusieurs fois de basculer vers l'avant.

Gwendoline se retourne parfois, pour me demander si tout va bien. J'acquiesce, puis elle se retourne et continue sa course.

Les murs sont recouverts de champignons et de mousse, et je vois à plusieurs reprises des formes sombres courir entre mes jambes et sur les murs. Des sueurs froides coulent sur mon dos. Je ne me sens pas à l'aise, j'étouffe, mon instinct m'avertit que quelque chose va se passer, et ce ne sera pas positif.

Gwendoline, imperturbable, ne diminue pas le rythme. Elle me distance, et l'obscurité m'entoure. Je dois me tenir aux murs humides pour ne pas tomber. Sa lumière est de plus en plus loin. Mais, d'un coup, sans prévenir, elle arrête de bouger. Puis j'entends mon prénom.

Je dévale les marches à toute vitesse, et retrouve mon alliée en bas des escaliers interminables, devant une porte en bois. Sa main est posée sur un heurtoir, qu'elle frappe contre le bois en me voyant. 

Gwendoline tape trois coups, qui résonne dans la pièce. Malgré mon expression que je tache de conserver neutre, je suis morte de peur. L'obscurité nous entoure, et j'ai l'impression que des créatures tapies dans l'ombre peuvent nous attaquer à tout moment. Il n'y a aucun bruit, sinon un petit sifflement, à peine imperceptible. De l'air frais passe sous la porte, qui rafraichit la pièce et renouvelle l'oxygène. Mon cœur tape contre ma poitrine, demande qu'est ce qu'il se passe, pourquoi la peur envahit mon esprit, façonne les ombres, et interprète les moindres bruits. Les odeurs sont celles d'une bête sauvage, immense, menaçante, et affamée. Qui vient nous chercher dans l'ombre, au moment où nous sommes le plus vulnérables, petites humaines faibles et sans défenses. Mes yeux effrayés détaillent l'endroit, et s'arrêtent sur les escaliers, qui disparaissent dans la nuit. La mousse et les champignons sont présents sur les murs, conférant au couloir un aspect effrayant, qu'on retrouve uniquement dans les livres d'horreur, quand le personnage descend dans la cave de son immeuble car il a perdu un pari. Après, il croise un tueur en série, ou une créature surnaturelle, qui le dévore vivant. Ces histoires me faisaient toujours frissonner, excitant mon cerveau en quête d'adrénaline. Je restais réveillée la nuit, guettant les moindres signes d'une présence autre que la mienne et celle de ma mère dans notre appartement.  

Soudain, la porte s'ouvre, et la lumière qui en jaillit m'aveugle. 

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