Chapitre 52

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Mon visage, exposé à l'air frais du matin, est glacé. Je suis prête à parier que mes joues sont rougies par le froid. Mon souffle se métamorphose en petites volutes de fumée, qui s'évaporent rapidement. J'enfouis mes mains sous mon pull, tentant de réchauffer mes extrémités engourdies. Je tourne la tête vers le soleil, qui, peu à peu, se lève. Le ciel est strié d'orange et de rose, magnifique tableau d'une nouvelle journée. 

L'hologramme de Joséphine est devant moi, ses petites jambes passant l'une devant l'autre pour donner l'illusion que cette dernière marche. Mais je sais bien qu'elle consulte la carte, et mon trajet, m'indiquant parfois de tourner à droite ou d'emprunter telle rue. 

Cela fait uniquement une vingtaine de minutes que je marche, et je m'ennuie ferme. Regarder l'architecture des bâtiments, ça va bien pendant dix minutes, mais après c'est juste lassant. Alors, je décide d'engager la conversation avec ma guide. Peut être qu'en parlant, le temps s'écoulera plus vite. 

— Joséphine? je lance timidement. 

Son avatar se retourne, pour me faire face, tout en continuant de marcher. C'est assez déstabilisant, étant donné qu'elle ne me dépasse pas, reste à ma hauteur, malgré le fait que ses jambes s'activent.

— Oui, Perle? Tu as une question? s'enquiert-t-elle, prévoyante. Elle m'offre un petit sourire, qui ne la quitte que lorsque je réponds:

— Quel âge as-tu? la questionnai je, pas le moins du monde gênée par le ton direct de ma demande. Joséphine abandonne son son éternel visage réjoui, pour se réfugier dans une moue plus sérieuse, presque contrariée. 

— Oh, tu sais, je ne suis plus toute jeune... Mais pas assez sénile pour te perdre dans Lyon, si c'est ça qui te tourmente!

— Non, non, pas du tout! démentis je. Je voulais juste savoir, c'es tout! C'est comment, la vie à l'Elite? 

— Comment tu as deviné que...? commence elle. Mais, voyant mo air déterminé, elle se dépêche de répondre:

— Tout n'est pas que fête. Cependant, je dois avouer que je ne vis pas si mal.

 Je me retiens de lever les yeux au ciel. Evidemment qu'elle ne vit "pas si mal", elle est à l'Elite! Quel culot... 

— Je possède un petit appartement d'environ 250 mètres carrés, dans le centre. Tout est cher, la vie est de plus en plus difficile là-bas, soupire Joséphine.

Au fur et à mesure qu'elle m'explique à quel point sa vie est malheureuse (restaurants étoilés uniquement les samedis, dimanches et lundis, domestiques qui ne sont pas dégourdis, voiture éraflée à faire réparer...), je sens l'énervement monter en moi. Elle ose se plaindre? Alors qu'elle habite dans le quartier le plus riche de la ville? 

— En plus, je finis le travail à 17h00, c'est tellement tard... 

Là, j'explose. Ma colère ne peut être contenue plus longtemps.

— Moi, ma mère rentre de la maison à 20h00, et des fois elle part la nuit, quand un voisin est malade. Je n'ai pas d'eau chaude, des drogués se baladent en permanence dans la ville, et j'ai à peine la place de m'asseoir sur mon lit dans la chambre. Et je travaille un peu, aussi, quand on arriver plus à payer les impôts et qu'on a tellement faim qu'on pourrait manger du bois. 

Joséphine se déconfit pendant ma tirade. J'espère lui avoir ouvert les yeux sur la réalité des Bas-Fonds. On n'as pas juste "pas d'argent et d'éducation", on a tous les inconvénients avec. Tous le monde pourrait tuer plusieurs fois pour arriver à avoir un appartement dans l'Elite.

— Oh, ma pauvre! Je comprends totalement ta situation, si tu savais!

— Non, tu ne peux pas comprendre, justement. Tu ne sais pas ce que ça fait de se coucher, la faim tenaillant le ventre, de se doucher à l'eau froid une fois tous les trois jours parce que sinon, l'eau revient trop chère. Tu ne sais pas ce que c'est, la peur de se faire accoster par un toxico déglingué, l'angoisse de ne pas réussir à payer les montagnes de factures. Toi, tu as quelqu'un pour préparer ton repas bien garni, tu as de l'eau chaude à volonté. Ton lit fait sans doute le triple du mien, et tes draps ne sont pas troués. Donc non, tu ne comprends pas la souffrance des populations pauvre. Passe un an dans les Bas-Fonds, et peut être que tu verras. 

— Je... je suis désolée, Perle... Je ne voulais pas te mettre en colère.

Je ne prends pas la peine de la rassurer. Au fond, je sais que ce n'est pas sa faute. Elle a vécu toute sa vie dans l'opulence, elle n'est pas méchante, juste désespérément innocente. Mais je ne peux m'empêcher d'être énervée. Elle représente ce genre de riches, qui ferment les yeux sur la misère qui se trouve à leurs pieds, uniquement pour ne pas avoir à culpabiliser. Ses petits malheurs, tout les habitants des Bas-Fonds aimeraient pouvoir les ressentir. 

Je marche d'un pas rapide, le reste du trajet, mes bottes claquant avec force contre les pavés défoncés qui parsèment de bosses la rue. Joséphine affiche une mine contrite, le regard baissé sur le sol. Ses yeux remuent, sans doute pour vérifier le chemin.

Enfin, j'arrive devant un immeuble décoré par des graffitis. Ma guide s'arrête brusquement:

— Nous y voilà! Je te laisse entrer dans l'appartement que tu veux! Bon courage! 

Elle s'incline, et disparaît. Je suis toute seule, maintenant. Je m'attendais à ce que le départ de ma guide me soulage, mais, au contraire, je me sens nue, sans protection. Sa présence me rassurait, inconsciemment, je me disais que rien ne pourrait m'arriver avec elle. Mais Joséphine est partie. La prochaine personne que je verrai sera sans doute Kate, ou Sasha. 

Je pénètre dans la cage d'escalier, semblable à toutes les autres que j'ai déjà rencontré. Des marches recouvertes de poussière, un ascenseur rouillé. La seule particularité de cette pièce, c'est qu'une forte odeur d'urine y est accrochée.

Je bouche mon nez, et me hâte de grimper les escaliers, gravissant les marches trois par trois. Je m'arrête au deuxième étage, dans ou souci de discrétion: avec un peu de chance, mes concurrents penseront que je suis au dernier, ce qui me laissera le temps de fuir. Je parcours rapidement le couloir, et m'arrête devant une porte au hasard. A mes pieds, un paillasson avec inscrit dessus "Home, sweet home!" avec une élégante calligraphie. Je respire un bon coup, et appuie sur la poignée, avant d'ouvrir la porte.


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