Chapitre 58

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Je ne cours pas loin, la nuit est sur le point de tomber, et je n'ai pas mis autant de temps à trouver un nouveau "chez-moi" pour le quitter dès le premier problème survenu. Prostrée, chaque épaule touchant un mur, coincée dans ce coin de pièce, j'attend l'arrivée de l'équipe qui prendra Matthias en charge. Je m'en veux tellement. Cependant une partie de moi exulte: nous ne sommes plus que trois. J'ai pris les choses en main, même si ce n'était pas prévu initialement. 

Tout de même, je ne peux m'empêcher d'être inquiète. Notre lutte a sans doute fait beaucoup de raffut (encore plus dans une ville déserte et quand tous les concurrents sont rapprochés), sans parler de l'arrivée des secours qui ne se fera pas sans bruit. Je redoute ce moment, leurs voix dévoilant sans précaution le voile de silence qui a recouvert la ville, les pales de l'hélicoptère qui déchireront la toile de tranquillité, les cris de Matthias qui casseront en deux le bâton de calme que les immeubles gardent si précieusement. 

Le visage enfoui dans mes bras, le tissu frottant désagréablement contre mon nez, j'entends soudain le bruit de l'hélicoptère. Je lève la tête. Les pales, brassant l'air, font bouger les feuilles des arbres. Je me trouve seulement un étage au dessus de l'appartement où est étendu mon ami. Mon premier reflexe est de me précipiter sur le balcon, mais je me retiens. Les secouristes attirent dangereusement l'attention, se mettre à découvert résume à se balader dans les rues avec un micro en hurlant "Je suis là, venez me chercher!". 

Je m'approche quand même prudemment de la fenêtre, me plaquant contre le mur en papier peint bleu. Je ne peux m'empêcher de penser que cette variante de bleu est tout à fait immonde. En tendant l'oreille, je peux discerner la voix d'un homme, recouvrant à peine le bruit du moteur. Matthias lui, répond par un gémissement. Nouvelle morsure de la culpabilité. 

Je ne perçois plus aucune parole, maintenant, j'en déduis que Matthias est dans l'hélicoptère, entouré de médecins compétents qui sauront le soigner. 

Ma tablette vibre. Inquiète, je la pose sur mes genoux (mes mains sont occupées à éplucher une vieille poire qui traînait sur la table du séjour). L'écran s'allume tout seul, et le fond noir avec le logo des Citygames laisse place au visage qui m'est désormais bien familier de Simon Lotte. Je pousse un long soupir de désespoir. Souvent, il ne nous contacte que pour nous annoncer des nouvelles difficultés. Et vu son air mi réjoui mi satisfait, cette fois ne fera pas exception à la règle. 

— Bonjour, chères finalistes! Nous y voilà, la finale! Plus que trois concurrentes! Je vous félicite. Arriver jusque là n'a pas été facile, vous êtes toutes très fortes. Mais trêves de politesses. J'ai quelque chose à vous annoncer.

Je crains le pire. Inconsciemment, j'ai porté mes ongles à ma bouche, et je les ronge frénétiquement, comme si c'était la seule chose que j'avais à manger. 

— Cela fait longtemps que les Citygames durent. Et je crains que rien ne se passe. Je pense que vous comprenez: pour les spectateurs, ce serait très dur de regarder des jeunes filles rester cloîtrées dans un immeuble sans sortir, en attendant que les autres se fassent éliminer. Ce jeu est non seulement une opportunité pour les participants, mais aussi un jeu télévisé. Un show. Il faut de l'action! dit-il, une lueur qui ressemble à s'y méprendre avec de l'excitation. Je tressaille. Il fait peur, avec cette tête là. 

— C'est pourquoi j'ai décidé de plonger la ville dans un noir perpétuel. Une nuit infinie. Et vous, mesdemoiselles, serez les étoiles qui illuminerons le ciel.

L'écran s'éteint. Je vois mon reflet interloqué, la bouche grande ouverte. Je ne comprends rien. Comment l'organisation des Citygames peut elle influer sur la course du soleil? Je ne vois qu'un seul moyen, c'est de nous enfermer sous un dôme. Peut être recouvert d'écrans dernière génération pour simuler le ciel. Rien que penser à cette idée me fait frissonner. Je hais le fait d'être coincée sous quelque chose, sans moyen de sortie. Même si l'illusion est réussie, je me sentirai au piège.

Sa dernière phrase me perd encore plus. Et vous, mesdemoiselles, serez le étoiles qui illumineront ce ciel. Que cela peut-il bien signifier? Il va nous suspendre au plafond, et notre tâche sera de nous libérer? Non, trop tordu. Je dois penser plus simple. Une étoile, c'est quelque chose qui brille. Qui émet de la lumière. Et que fait de la lumière dans le noir? Elle attire le regard. 

Les rouages de ce plan se mettent en place dans ma tête. Je ne veux pas y croire. Je repousse l'évidence, mais elle s'accroche. Et se greffe sur moi, parasite. Nous serons illuminés. Comme des lucioles. Comme des lampes torches. Se cacher sera encore plus dur. 

Le pire sera le début. Enfin, je ne serai pas la seule à avoir un désavantage. Nous serons toutes déboussolées, perdues. Le mieux que je puisse faire, c'est me préparer. Enfiler des habits sombre (et prier pour que ce ne soit pas eux qui s'illumineront), s'enfermer dans une pièce sans fenêtre, un couteau à la main, un autre accroché un peu n'importe comment à la ceinture. 

J'installe un matelas dans la salle de bain, pose dans un panier des fruits, une bouteille d'eau et beaucoup de gâteaux. J'emporte également des livres (le temps risque d'être long), empruntés dans la chambre principale. Promis, je les remets à leur place après. 

Heureusement, pour moi, la porte possède un loquet, que je ferme soigneusement. Puis, je m'assois — après avoir vérifié trois fois que le verrou était fermé —, rabats la couverture sur mes jambes, prends un livre et me prépare à passer beaucoup de temps là dedans. 

Je me réveille brusquement, aveuglée. J'ai la main dans la figure. Au début, je ne comprends pas. Je n'ai pas pris de lampe, qu'est ce qui émet de la lumière? Je finis par comprendre. 

C'est quoi ce bordel?

Ma main luit, comme mon bras, d'ailleurs. Et mes jambes. Et mon visage. Je brille littéralement. C'était ça, le message de Simon Lotte. J'avais vu juste. Mais comment diable ont ils fait pour faire briller ma peau? Si on m'avait touchée, je me serais réveillée, j'en suis sûre et certaine. Pourquoi je me suis engagée dans ce jeu. Au lieu de cette situation, je pourrais être installée dans mon lit, à faire mes devoirs pour le lendemain (enfin, pour le jour même, puisqu'il serait plus de minuit), après avoir passé une soirée à regarder la télé avec ma mère.

Une voix sort soudain de nulle part, me déclenchant un sursaut ainsi qu'un petit cri que j'étouffe aussitôt en plaquant ma main sur ma bouche.

"Chères participantes, vous êtes priées de sortir dans la rue et d'y rester jusqu'à demain dix heures, sous peine d'élimination instantanée."

CitygamesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant