Chapitre 59

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La terreur me submerge. Non, ça ne devait pas se passer comme ça, ce n'était pas dans mes plans! Toute mon organisation s'écroule, et, derrière les ruines de ce château, il n'y a rien. Rien que le vide, que je tente de remplir avec mon imagination. Tous mes efforts sont vains. Aucune idée ne me viens, ma feuille reste désespérément blanche.

Même si je suis en grande partie déconcertée, une partie de moi s'y attendais. J'ai juste choisi de faire m'autruche, d'étouffer cette voix qui me criait la vérité. J'ai bouché mes oreilles, n'ai écouté que des paroles rassurantes. Je paie maintenant le prix de ma lâcheté. Si j'avais paré à cette éventualité, je serais prête, pas comme ça, sur le sol, à pleurnicher, les yeux larmoyants.  

Je me relève, les rouages de mon cerveau tournant à toute vitesse. Je ne veux surtout pas me faire attraper. Sasha et Kate sont bien plus fortes que moi, je n'ai aucun doute là-dessus. Je ne cherche pas à ruser, cette nuit, mais juste à survivre. Tenir jusqu'à dix heures, puis me calfeutrer. Avec un peu de chance, ma seconde peau lumineuse aura disparu. 

Tentant tant bien que mal de recouvrir les moindres parcelles de ma peau pour atténuer ma visibilité — ce qui ne marche pas, puisque la lumière est trop puissante —, je me couvre d'écharpes, de pulls sombres et de joggings ébènes. 

Une fois fin prête (enfin, autant que je puisse l'être), j'enclenche la poignée d'une main tremblante, la respiration saccadée. Je me calme, je refuse de me faire prendre parce que je soufflais trop fort. 

Dans le couloir, je divise mes mouvements en dix, les décompose. La résonnance du couloir est bien supérieure à celle de mon appartement. Je suis déjà un panneau lumineux, je ne veux pas non plus être une radio qui grésille dans tous les sens. 

Le vent nocturne, frais sans pour autant être giflant, m'accueille. Dans les rues, un silence compact, solide. Plus d'animaux, d'oiseaux, rien. La ville s'est endormie, et je suis celle qui va la réveiller. L'air est froid, sans le soleil. 

Mes pas résonnent, claquent. Je n'ose pas avancer trop vite, peur de l'inconnu. Déambuler seule la journée était déjà angoissant, mais, une fois la lune levée, c'est encore pire. Un syndrome de l'imposteur m'envahit. Je ne devrais pas être là. La nuit me refuse, je n'ai pas le droit de troubler la tranquillité des lieux. Je ne suis qu'une intruse, une étrangère. Ce n'est pas mon monde, pas mon univers. Pas ma vie. Je me sens épiée par les créatures de l'obscurité, je sens leurs longs doigts griffus se promener au-dessus de mon dos, leurs yeux passer et repasser sur mon corps. J'entends leurs murmures, glacials, des chuchotements réprobateurs qui me jugent, me jaugent, m'évaluent. Je tressaillis, des frissons se baladent le long de ma colonne vertébrale. 

Je fais fi de ces impressions sordides, qui m'angoissent encore plus, et me concentre sur mes chaussures. Le seul avantage avec cette peau lumineuse, c'est que je vois autour de moi. Mais je ne suis pas dupe: si je me vois, on me voit. Un point cependant me rassure: si quelqu'un tente de m'observer caché, je la verrais immédiatement. Nous sommes toutes dans le même panier, autant en tirer des avantages. 

Je me rappelle brusquement du couteau de cuisine qui sommeille dans la poche latérale de mon sac. D'un mouvement brusque, je l'empoigne. Je le tiens à deux mains, tendu devant moi. Je dois avoir l'air ridicule. Un petit rire m'échappe, que je réprime aussitôt. Mon visage s'enflamme. J'ai fait une lourde erreur, qui risque de me coûter ma place si on l'a entendu. 

Je rase les murs, vaine tentative de paraître inaperçue. Je ne suis pas dupe, ça ne sert à rien. C'est uniquement psychologique. Je suis à l'affut d'une cachette. Laquelle? Je ne sais pas exactement. Juste quelque chose d'assez opaque pour qu'on ne puisse pas me distinguer de l'extérieur. Ce qui est compliqué, puisqu'il fait nuit noire, et que je brille autant qu'un écran géant de l'Elite.  


Mon regard se porte vers ce que j'identifie comme être une poubelle. Pas très ragoûtant, mais, maintenant, c'est le meilleur endroit du monde. Je jette un rapide coup d'oeil autour de moi, et cours à toute vitesse vers la boîte en plastique. Sans réfléchir, je me jette dedans. Une odeur immonde me submerge. Je regarde mes mains. Elles sont recouvertes de détritus. J'ai un haut-le-coeur. Bon, tant pis. Je ne peux pas sortir maintenant, je serais visible et vulnérable à cause de mon odeur. 

L'adrénaline de ma course se déverse en torrents dans mon corps. Allongée en position fœtale sur le côté, j'attends que ma respiration se calme. Et je guette. Je guette les sons. Les voix, les bruits de pas. Les tissus qu'on froisse. Les armes qu'on frappe contre un matériau dur. Les feuilles qu'on dérange. Les objets déplacés. 


Enfin, après plusieurs heures d'attente, alors que mes muscles protestent de toute leur force, j'entend un bruit. Immédiatement, je me redresse, à l'affut. C'est une voix, humaine, plutôt grave. Le timbre de Sasha. Je me demande ce qui guide son imprudence. Cette fille est trop perfectionniste et organisée, jamais elle ne parlerait alors que le but est de ne pas se faire repérer.

Les rouages de mon cerveau s'activent, tournent à toute vitesse. Pourquoi, pourquoi? Je n'ai que ce mot à l'esprit, il me tourmente. Mais une idée vient me trouver, et se révèle petit à petit. 

 Sasha n'a aucune raison de parler à voix haute, elle n'a même que des inconvénients. Sauf si c'est son plan, justement. Elle est intelligente. Je suis prête à parier l'argent que j'ai gagné grâce aux Citygames qu'elle a étudié tout les participants. Son travail se déroule principalement dans l'ombre, puis elle attaque. Elle sait qui va venir, à coup sûr, sans réfléchir, sans se poser de questions. Kate. Appâtée par la promesse d'une proie stupide, celle-ci accourra, ne sachant pas qu'elle vient de tomber dans un guet-apens. Sasha l'attendra sans doute, surarmée. Le duel des cruelles. Ensuite, quand Sasha aura éliminé Kate — car je ne doute pas qu'elle gagnera, elle est plus maligne, et n'a aucun remord à l'idée de blesser quelqu'un —, ça sera mon tour. Je dois me préparer. Elle me connaît, elle sait qui je suis.   

Les cris se rapprochent, se font de plus en plus distincts. Mon ancienne amie chante une chanson, d'une façon pour le moins surprenante. Sa voix est chancelante. On dirait qu'elle a bu. Mais oui! Si Kate pense que son adversaire est affaiblie, elle ne se méfiera pas. Ce qui donne un effet de surprise à Sasha, qui pourra donc facilement la déstabiliser. C'est malin, très malin. Mon Instructrice doit être contente. Je l'imagine, face à la télé, poussant des sifflements admiratifs. Je sais qu'elle apprécie les  stratégies. Je pense qu'elle va être servie. 


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