Chapitre 57

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Quand j'atterris lourdement sur le sol, mes genoux s'entrechoquent et ma vue se brouille pendant quelques secondes. Ce n'est pas étonnant. Je viens de sauter plus de deux mètres d'un balcon, celui du premier étage. Avant de me cacher dans un endroit sûr, je prends le temps de vérifier si Sasha n'est pas à une fenêtre. Je la connais, elle est capable de me suivre. Ce que je ne veux absolument pas, étant donné que mon but est de m'éloigner le plus possible d'elle. 

Je me baisse, et presque accroupie, me dirige le plus vite possible en direction d'un appartement, que j'espère inhabité. Mon rythme cardiaque s'est accéléré, je sens mon muscle de vie tambouriner contre ma cage thoracique. L'adrénaline circule dans mes veines. Je suis parée, prête à partir en trombe au moindre problème. 

Une fois que je sens le contact froid du bâtiment contre ma paume, je me redresse et longe le mur, le dos collé à la paroi. Je suis désormais hors de vue de Sasha. Je peux respirer. Cependant, pas tout à fait rassurée, j'empoigne mon couteau habituel pour me donner un sentiment de sécurité. Ce n'est qu'un écran de fumée, bien sûr, une illusion, mais je ne peux m'empêcher de me sentir plus confiante. 

Je déambule dans les rues de Lyon, qui sont d'un silence assourdissant. J'entend juste le claquement de mes bottes contre les pavés. Une véritable ambiance de fin du monde. Je scrute, méfiante, les fenêtres, voit des silhouettes là où il n'y en a pas. Une vraie paranoïa. Je ne sais pas où m'installer. Chaque fois que je me plante dans une cage d'escalier et écoute, des milliers de bruits invisibles parviennent à mes oreilles. Je prends peur, et pars. C'est systématique. Presque une maladie. 

Mais je ne vais bientôt plus avoir le choix: la zone où nous sommes parqués n'est pas si grande que ça, j'aurai bientôt écumé tous les appartements, ou la nuit m'arrêtera. Le soleil, qui était si haut dans le ciel, tombe peu à peu. Je ne veux pas prendre le risque de rester coincée dehors, je l'ai déjà fais une fois, et l'expérience à été tout sauf agréable. 

Cette peur de finir bloquée hors d'un immeuble, dehors, m'effraie suffisamment pour me faire rentrer dans le premier appartement venu. Pas très sage, mais efficace. Je ne me savais pas si craintive. Mais bon, on en apprend tous les jours. Comme dirait ma mère "tu te coucheras moins bête". Si on considère que savoir qu'on est peureux nous rend plus intelligent. 

Le bois craque, créant une désagréable mélodie, mais je m'en moque. J'ai l'esprit ailleurs. Sur mon estomac, pour être précise. La faim me tiraille. Mon ventre émet des espèces de gargouillis, dont je suis assez familière, mais qui ont toujours le don de m'agacer. Cela fait longtemps que je marche sans pause, et mon corps réclame du repos, ainsi que de l'énergie. Ma machine est rouillée. 

Je grimpe jusqu'au premier étage, n'ayant pas la force de monter plus. Mes jambes flageolent. Je pousse la première porte que je trouve, et, comme dans un rêve, m'enferme à double tour dans l'appartement. Je m'écroule sur un fauteuil, une barre de céréales à la main. Au chocolat, en plus. Parfait. 

Je m'endors dès les dernières miettes de la barre avalées. Mon siège est inconfortable, mais je m'en fiche. Je suis en sécurité.

Ce sont des bourrasques de vent qui me réveillent. Je grogne, et me redresse difficilement. La porte-fenêtre du salon est grande ouverte, et des vents forts la font battre. 

Immédiatement en alerte, je me retourne et va la fermer. Je suis presque sûre qu'elle était close quand je suis arrivée, mais j'étais si fatiguée... Sans doute une erreur de ma part. Je hausse les épaules, indifférente.

Je ne vois pas le danger arriver.

J'ai juste le temps de voir une silhouette me sauter dessus, m'empoigner le cou et se placer derrière moi. Elle — enfin, il, possède un poignard. Je sens sa mai trembler, une main que je connais bien. Celle de Matthias. Le jeune homme m'attache les poignets par derrière, et me pousse sur le fauteuil, avant m'accrocher au meuble.

Je le regarde, furieuse. Un seul mot franchit finalement la barrière de mes lèvres, les autres restent coincés derrière:

— Pourquoi?

Matthias, l'air de culpabiliser, passe une main dans ses cheveux, et, avec une moue pleine de remords, s'explique:

— Je suis désolé, en fait, je t'ai vue entrer, je ne pensais pas que c'était toi, sinon je ne serai pas venu! Je devais passer à l'action, je me suis dit qu'il valait mieux éliminer quelqu'un maintenant. Je ne devais pas laisser passer ma chance. Je suis grimpé par l'extérieur, il y avait un arbre juste à côté de ton balcon. Ta fenêtre étai déverrouillée, du coup, je l'ai ouverte. Sans prendre le temps de te regarder, je me suis caché dans la salle de bain. Quand j'ai entendu que tu te levais, je n'ai pas réfléchi, j'ai agi. Bref, je suis désolé...

Il enchaîne tout son discours d'une traite, si vite que j'ai du mal à comprendre, et doit prendre quelques secondes de réflexion pour assimiler ce qu'il vient de me dire.  Mon ancien ami se triture les doigts, la tête baissée. Je décide de profiter de son état d'esprit. Les paroles de Gwendoline me reviennent en tête. Si je ne fais rien, je vais subir. Je dois être l'actrice de mon propre film. Il est temps que je prenne mon jeu en main. Je ne le veux pas, mais si j'élimine Matthias, ce sera un ennemi en moins. Je ne dois pas le tuer, juste le blesser suffisamment pour être certaine qu'il déclare forfait. Je répète cette phrase dans mon esprit comme un mantra, pour me déculpabiliser, et me convaincre de mettre mon "plan" à exécution. 

— Tu peux me détacher, s'il te plaît? demandai je doucement. Devant son air indécis, je n'hésite pas à enfoncer le clou pour qu'il croie que je ne lui veut pas de mal:

— Je ne t'en veux pas, tu sais, affirmai je en regardant Matthias droit dans les yeux. Je vois le doute se promener dans ses iris marrons, puis il abaisse ses paupières, et capitule. 

Il se rapproche de moi, tremblant. Il semble redouter le moindre mouvement de ma part. Une fois libérée, je me masse les poignets, feignant la douleur. Je n'ai pas mal, je veux juste le faire culpabiliser un peu plus, pour faire tomber ses barrières. Matthias est ce genre de garçon qui pense aux autres avant lui, et qui n'hésiterait jamais à se sacrifier pour autrui. C'est triste, et je m'en veux, mais je dois aujourd'hui exploiter cette faiblesse. Je parie que toutes les caméras sont tournées vers nous, et que ma mère m'observe en ce moment même. 

— Je suis désolé... s'excuse-t-il, presque au bord des larmes. Je ne peux m'empêcher d'être énervée: il ne va pas pleurer pour ça, quand même? Ce n'est pas comme s'il m'avait torturé!

— C'est pas grave! lançai je d'un ton enjoué, un grand sourire rassurant collé sur le visage.

Discrètement, je me déplace vers le plan de travail, où est posé mon poignard. Matthias ne semble pas s'en apercevoir, il regarde ses chaussures, avec l'expression faciale d'un homme qui va être abattu. 

Une fois l'arme en main, je la place dans ma poche arrière, et me rapproche de mon ami. Dans un accès de gentillesse (feinte, bien évidemment), je frotte son dos. Matthias frissonne, et sursaute un peu, mais ne bouge pas. C'est le moment, je le sais, il n'en n'y aura pas d'autre.

Je sors la couteau de ma poche, et, une seconde à peine plus tard, il se retrouve fiché dans la cuisse du jeune homme. Il hurle de douleur, puis s'éloigne instinctivement de moi. Mais je ne vais pas le laisser s'en tirer comme ça. Matthias est persévérant, un seul coup ne le fera pas abandonner. Mon arme, désormais un prolongement de mon bras, se fiche dans son épaule droite, puis dans le bras, ainsi que les jambes et les flancs. Je ne le plante pas dans les parties vitales. C'est trop risqué, je ne veux pas avoir un mort sur la conscience. 

Matthias est à terre, allongé sur le sol. Du sang s'écoule de ses plaies. Beaucoup trop. Je commence à prendre conscience des conséquences de mes actes. Je panique. Le jeune homme me regarde. Etrangement, aucune rage n'assombrit son regard. Juste de l'incompréhension. 

— Je suis désolée... je murmure, les larmes roulant sur mes joues. Je n'avais pas le choix... c'était pour le jeu...

— Je... comprends... articule difficilement mon adversaire, en tentant de sourire. Sourire qui se transforme en grimace de douleur. Je vide les placard, en recherche d'une fusée de détresse. Je finis par en trouver une dans les tiroirs d'un buffet. Je cours vers mon ami, et la fourre dans sa main.

— Je suis désolée...

— Bon... courage... pour.... la su...ite... 

Je ne réponds pas, presse juste un dernière fois sa main. Et, comme je sais si bien le faire, je fuis.

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