Chapitre 13

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Après quelques discussions futiles, Anna part et je me retrouve seule. Je me prends la tête entre les mains. Suis- je vraiment prête?

De toute façon, tu n'as plus le choix, me glisse une petite voix. C'est vrai. Je vais devoir faire avec. Je pense à ma mère, qui doit se faire un sang d'encre pour moi. Qu'est-ce qui m'a pris de l'abandonner alors qu'elle a besoin de moi? Et puis, d'un autre côté, elle va gagner de l'argent. Je dois rester le plus longtemps possible pour elle, pour lui assurer une meilleure fin. 

Le soir, je mange encore seule. J'aperçois Maya, Déva et Sasha. Elles rient ensemble. Elles ont l'air de m'avoir totalement oubliée, comme si je n'existais pas. Cette pensée me fait ressentir un pincement au cœur, et je sens les larmes me monter aux yeux. Alors je me ressaisis, parce que je n'ai pas à pleurer pour des filles qui m'ont trahie. 

Ma soirée se passe tranquillement. Je ne sors pas de ma chambre, de peur de croiser les filles. Vers 21h00, je les entends traverser le couloir jusqu'à leurs portes respectives. Je pousse un soupir de soulagement quand j'entends toutes les portes se refermer— je n'ai pas envie de les voir, encore moins de leur parler. 

Je lis un peu, puis éteins ma lumière. Malheureusement, le sommeil se fait attendre et je tourne dans tous les sens, agitée. Les pensées s'entremêlent dans ma tête, parfois cohérentes et d'autres fois non. C'est demain que je pars. Je devrais aller m'excuser auprès des filles. J'ai peur. Non, c'est de leur faute. Anna n'est pas fière de moi. Ma mère me manque. Est- ce que mon père me reconnaîtra? 

Je finis par prendre un somnifère pour atténuer mon mal de crâne, qui s'amplifie au fur et à mesure des minutes passées à cogiter. Alors je repense à ce que Simon Lotte nous a dit: avant notre départ, nous allons ingurgiter une boisson qui servira de somnifère. Nous dormirons le temps du trajet, et nous nous réveillerons dans un appartement avec notre sac à dos, et une tablette. Anna est sensée venir me réveiller à 8h00, pour petit- déjeuner seule avec moi. Je ne dois avoir aucun contact avec les autres candidats, sinon je peux être disqualifiée. Après le petit- déjeuner, Anna va m'emmener dans une pièce spéciale pour me préparer ( habillage, coiffure...), et, à 10h00, je monte dans un avion et bois cette mystérieuse boisson. 

Au bout de quelques instants, ma migraine diminue: le médicament doit faire effet. Je m'apaise, et finit par atterrir dans le monde des rêves.

Je suis dans une magnifique vallée: l'herbe est verte, des papillons volettent par-ci par-là, et le soleil diffuse une douce chaleur. Je me met à marcher, convaincue par je ne sais quel instinct que je dois me diriger dans cette direction J'en suis sûre, c'est ma destinée. Tandis que je marche, je suis apaisée. Les oiseaux chantent, le vent est doux et la terre est agréablement meuble sous mes pieds. Mais l'environnement change petit à petit. La terre est trop meuble, je m'enfonce dedans. Le vent est plus insistant, plus froid. On ne voit plus le soleil, recouvert par de menaçants nuages noirs. Les oiseaux chantent, mais d'une manière désagréable, dérangeante. Il se passe quelque chose. Paniquée, je tente de m'enfuir mais je m'enfonce dans le sol. J'essaie de me dégager de cette maudite terre, mais mes pieds ne répondent plus. Et, inlassablement, je m'enfonce. Je ne peux plus respirer. La terre est rentrée dans ma bouche. Je sens la vie qui grouille, mais moi je veux juste sortir de ce guêpier. Soudain, je respire. Je me rends compte que je suis en réalité sous terre, dans une grotte. Il y a des stalactites et es stalagmites. De l'eau goutte, dans un ploc ploc qui pourrait être apaisant si je n'étais pas tombée dans une grotte. A ma gauche, se trouve un lac. Il est transparent au bord, mais l'eau au centre est noire, inquiétante. Tout comme avec la plaine, je suis attirée par le lac. Mais mon esprit refuse, sens que c'est encore un piège. Malgré tous ces efforts, la raison de mon rêve est la plus forte: j'ai à présent de l'eau jusqu'aux chevilles. C'est un eau glaciale, qui mord sans ménagement mon corps à mesure que je m'enfonce dans le lac souterrain. 

Je suis à présent complètement immergée, en apesanteur. Etrangement, je me sens bien. Je n'ai pas besoin de respirer. Je reste figée quelques instants, puis j'entrevois une lueur du fond du lac. Quelques poissons me frôlent, mais je n'en fais aucun cas. Je suis calme, tranquille. En un mot: bien. Je pourrais rester dans ces lac, ce sanctuaire pendant des jours et des jours. Je suis au-dessus de l'agitation du monde, de mes problèmes. Problèmes. Ce mot seul déclenche en moi une tempête: je suffoque, je dois respir...

Je me redresse, en sueur. Ce n'était qu'un maudit rêve. Un de plus. 

J'ouvre mes rideaux: ma fenêtre donne sur le jardin. On y voit le soleil se lever progressivement. Mon réveil indique 7h33: ça ne sert à rien que je me couche, Anna arrive dans moins de 30 minutes. Je prend un bain pour me détendre. Quand il 7h50, je sors et me sèche, puis attend Anna. Celle-ci arrive pile à l'heure, avec un plateau de nourriture.

— Ah, tu es déjà levée! Tant mieux! Je reviens, là je n'ai pris que ton petit déjeuner, je vais chercher le mien. 

J'acquiesce et me rapproche de mon plat, qui dégage une délicieuse odeur. Il y a des croissants, pains au chocolat, fruits secs, tartines de pain, thé, chocolat chaud, jus d'orange... Je remarque qu'il y en a largement assez pour nous deux. Pourquoi Anna va-t-elle chercher un plateau pour elle, je ne pourrais jamais manger tout ça!

Quand Anna revient, je le lui fait remarquer:

— Ah, c'est juste que je n'ai pas le droit de manger la même nourriture que toi! me répond elle

— Quoi? Mais pourquoi?

— Je ne sais pas. En tout cas, ce que je sais, c'est que tu as faim. J'entend ton ventre gargouiller d'ici, dit-elle en pointant mon ventre du regard. Elle a raison. Cela fait une demi heure que je l'attend, une demie heure que mon ventre grogne, désespéré. Alors je lui obéis, non sans enthousiasme: je prends un croissant et enfourne dans ma bouche la moitié de ce dernier.

— Alors, prête?

— Ch pas che manche là, répondis je la bouche pleine. Anna rit devant mon expression concentrée. Je finis ma bouchée avant de lui répondre:

— Je ne sais pas. A vrai dire, j'ai très peur, je suis morte de trouille même, mais je suis impatiente.

— Impatiente? Tu es la première à me dire ça! rit Anna, mi- amusée mi- étonnée.

— Oui, j'ai hâte que ça se termine, mine de rien. J'en ai marre d'attendre l'échéance sans rien faire. 

— Bon, alors tu dois être contente puisqu'on y est!

— Oui. Pourquoi je n'ai pas le droit de parler avec les autres?

— Tu en poses des questions, dis donc! Anna marque un temps d'arrêt, puis répond:

— Je ne sais pas. On ne me l'a jamais dit. On ne confie pas grand chose aux Instructeurs, tu sais.

— Ah bon? C'est nul!

— En effet, mais je ne vais pas me plaindre: ce job est assez bien payé pour que je puisse vivre sans travailler le reste de l'année.

Mes yeux s'agrandissent sous l'effet de la surprise:

— Mais c'est super bien payé! Et tu habites dans les Quartiers?

— Oui, j'ai une petite maison que je partage avec mon mari.

— Tu es mariée?

— Oui.

— Il est gentil?

— Très. Il me prépare à manger, m'aide pour ce travail. Il cuisine vraiment très bien! J'ai de la chance de l'avoir!

— C'est génial, je suis trop contente pour toi!

Nous bavardons encore un petit moment tout en mangeant, puis Anna déclare:

— C'est l'heure.

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