Cachée dans ma poubelle, secouée de tremblements, le souffle court, j'attends. Dehors, du vent agite les feuilles des arbres du petit parc d'à côté. Je guette le moindre bruit, mais Sasha s'est tue. Pas de cris, pas de crissements des feuilles mortes sous les pas. Rien. Seul le silence, et la brise nocturne qui agite un peu ce monde figé par la lune.
Je me demande si on me voit, de l'extérieur. Ma position est risquée, mais c'est la seule qui me parle. Même si des déchets me recouvrent. D'où ils viennent, d'ailleurs? Certainement pas des derniers habitants, la ville a été entièrement nettoyée pour accueillir les premiers candidats. Des images impressionnantes s'imprimaient sur notre télé, de véritables terrils de déchets en tout genre. Ma mère était partie, incapable de supporter cette vision d'un ancien temps. Je crois qu'elle regrette, elle a la nostalgie d'une époque qu'elle n'a jamais vécue. Les récits qu'elle me faisait de cette France glorieuse étaient toujours emplis de larmes, un trouble intérieur et visiblement profond déformait sa voix.
Quand l'odeur devient trop forte, je recouvre mon nez d'un pull, et je respire fort l'odeur de lessive qui s'en dégage. Je tente quelquefois de changer de position, mais le plastique qui m'entoure dégage un bruit qui m'apparaît aussi fort que l'explosion d'un feu d'artifice. Mes muscles me brûlent, mes articulations sont au supplice. Je serre les dents, et essaie tant bien que mal de me dégager de cette désagréable couche. Je finis par écraser mes fesses sur une banane pourrie, ce qui déclenche une odeur insoutenable de fruit pourri. Je réprime un haut-le-coeur.
Le temps se fait long. Je prends mon mal en patience, mais plus les minutes place, plus j'ai envie de sortir de ma poubelle en hurlant. Ma nuque, courbée contre un paroi, me lance. Que fait Kate? Ce n'est pas comme si Sasha se montrait discrète. Elles devraient normalement être en train de se battre. Mais c'est impossible. Elles auraient poussé des cris, ils seraient parvenus jusqu'à mes oreilles. Je dois pourtant me rendre à l'évidence: visiblement, j'ai raté le combat. Je ressens une pointe de déception. Même si la terreur aurait sans doute été affreuse, j'aurais bien aimé entendre cette bataille. Cela m'aurait diverti. Au lieu de ça, j'attends depuis ce qui me semble être une éternité dans un endroit crasseux.
N'en pouvant plus, je décide d'agir. Je me redresse avec difficulté, mes membres, habitués à être figés, aillant du mal à bouger. Prudemment, je soulève le couvercle, et passe ma tête à travers l'ouverture. La fraîcheur de l'air me frappe. Plus une chaleur suffocante, mais de l'oxygène pur. J'inspire longtemps, puis expire. Le danger m'est totalement passé au dessus de la tête.
En deux temps trois mouvements, je me retrouve debout, sur la chaussée. Je reste plantée comme un piquet, le temps de retrouver tous mes sens. La tête me tourne un peu, mes jambes flageolent. Mon ventre gargouille. Immédiatement, j'attrape mon sac et en sors une barre de céréales écrasée par mon poids. Le chocolat fondant dans ma bouche me ragaillardit aussitôt.
Je me met en marche dès que les dernières miette de la nourriture sont dans mon estomac. Mais j'hésite. Quelle route prendre? Il y a l'option un, la route, avec le risque d'être vue, mais la sécurité de la lumière des lampadaires. Et l'option deux, le petit parc, ses arbres inquiétants et sa noirceur effrayante. Mes yeux sautent de l'un à l'autre. Mon imagination crée des monstres, des créatures humanoïdes aux longs crocs et recouvertes de sang qui m'enjoignent à les rejoindre. Je les fait disparaître d'un secouement de tête. J'ai déjà assez peur, pas besoin d'en rajouter.
Finalement, je tourne à gauche, et m'engage sur le petit sentier qui traverse le parc. Ma lumière éclaire ce qui m'entoure, ce qui m'alerte et me rassénère à la fois. L'obscurité est partout autour de moi. Des frissons courent sur ma nuque. Les arbres sont menaçants, leur grande silhouette me somme de partir.
Je déambule quelques minutes dans cette forêt de l'angoisse, puis je pénètre dans une clairière. Des jeux pour enfants y trônent. Une ambiance lugubre règne. Ce lieu si joyeux la journée devient le décor d'un film d'horreur à la tombée de la nuit.
Je traverse d'un pas rapide le sol en terre battue, et rejoint la route goudronnée qui m'attend de l'autre côté. Je ne jette pas de coup d'oeil derrière moi, par peur de ce que je pourrais y voir. Mes pas me conduisent ensuite à la devanture d'un fast-food. La vitre me désespère. C'est la première fois que j'ai aussi envie de rentrer dans un restaurant. Chez moi, je les évite. Ils me rappellent ce que je rate, le fait que je suis trop pauvre pour payer une boisson de leur carte. Ceux qui correspondent à mes tarifs sont sales, et la nourriture contient des ingrédients douteux. De plus, ma mère me défend d'y poser un pied. Selon elle, ces "magasins à diabète" contiennent uniquement des matières faites pour vous rendre addicts (et vous engraisser, en prime). J'ai été biberonnée aux carottes, alors que certains boivent des sodas ultras sucrée à trois ans. Je ne l'ai jamais dit, mais j'envie ces personnes. Eux sont assez riches pour payer un cheeseburger gras. Eux sont sans doute des premiers niveaux. Eux ont un médecin qui pourra les traiter s'ils tombent malade. Tandis que moi, je mourrais sans doute, vu le prix des médicaments.
Je repousse la rage qui s'est installée, et fait demi-tour.
Pour me figer immédiatement. Au coin de la rue, une douce lueur bouge, se déplace rapidement. La panique me gagne. Cette lumière, ce n'est peut être qu'une de mes concurrentes. Sasha ou Kate. Je ne sais même pas sur laquelle des deux je préfèrerais tomber.
Vite, je dois partir, me cacher, dissimuler cette brillance qui me recouvre. Je cours, les chaussures dans les mains pour limiter le bruit des claquement de mes pas sur le sol goudronné. Je tourne, à gauche, à droite, je suis à bout de souffle. Il n'y a que moi, et la lumière des lampadaires. Exténuée, je me cache dans une boîte en carton, rabat le couvercle sur ma tête, et laisse le sommeil m'envelopper de sa douce torpeur.
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Citygames
Science FictionImaginez vivre dans une société où tout est organisé hiérarchiquement. Imaginez vivre tout en bas de l'échelle de cette société. Imaginez que le gouvernement vous propose tout les ans un jeu pour vous sortir de la pauvreté si vous gagnez. Que ferez...