Chapitre 39

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Je reste éblouie quelques instants par la lumière qui s'échappe de la porte, habituée aux endroits sombres. Gwendoline me prend la main, et me tire brusquement dans cet étrange endroit.

Une odeur de sucré mélangée à celle de la poussière. De la lumière se déversant à travers de grandes vitres installées sur le plafond. Des planches de bois, partout. Un sol en béton, poussiéreux. Une porte orange, rouillée, en face de moi. Un grand entrepôt, en somme. Le plafond est si haut que je dois me tordre la tête pour apercevoir le ciel à travers les vitres sales. Il fait frais, pas trop chaud, pas trop froid. Une température agréable en été. 

Soudain, j'entend des pas se diriger vers nous, de plus en plus forts. Gwendoline ne bouge pas, conserve son expression dure. Les sourires auxquels j'avaient droit ont disparu. Puis, des bottes apparaissent dans mon champ de vision. Des grosses chaussures noires cirées, montantes. Au dessus de ces bottes, un treillis militaire vert, qui recouvre quasiment tout le corps de l'inconnu. Seuls dépassent ses mains, et sa tête. Ses yeux bleus glaciers nous détaillent, fouillent et analysent chaque parcelle de notre corps, nous déshabillant. Je suis presque sûre qu'il a analysé notre personnalité. Ses cheveux blonds sont recouverts de gel, aucun ne dépasse, tout est en ordre. Sa bouche est tordue en un rictus mi-méprisant mi-méfiant. Il respire un grand coup, puis fait signe de le suivre sans un mot.

Gwnedoline lui emboîte immédiatement le pas, comme si elle savait depuis le début ce qui allait se produire. Je reste figée quelques secondes, puis, remarquant que je n'avais pas le choix de suivre la jeune fille, je cours à leur suite, et me poste à côté de Gwendoline. Je lui lance un regard interrogateur, à quoi elle répond par un sourire qui se veut rassurant. Je ne peux empêcher mon cœur de s'affoler. Il cogne contre ma cage thoracique avec force, comme s'il voulait sortir. Nous passons la porte rouillée, et entrons dans un corridor étroit. La pierre à peine taillée présente de nombreuses aspérités, que je tente d'éviter en me recroquevillant le plus possible. Des flaques recouvrent le sol en terre, j'essayer de ne pas mettre le pied dedans sans succès. Mes chaussures sont trempées, maintenant. Je me retient à plusieurs reprises de soupire de mécontentement, de peur de me faire réprimander par celui que je surnomme l'officier ou Gwendoline. 

Puis, après plusieurs minutes de marche, nous arrivons dans une grande salle, meublée, cette fois ci. Des torches accrochées au mur illuminent la pièce. Mes joues se colorent immédiatement de rose: il fait chaud, dans cette salle, bien plus que dans le grand hangar. Des tapisseries recouvrent les murs en pierre, les mêmes que dans le long corridor. Je remarque immédiatement que la lumière du jour ne passe pas dans cet endroit. Je me sens aussitôt étouffée comme emprisonnée.

Gwendoline s'assoit tout de suite sur un canapé rouge vermeil, posé devant une table recouverte par une nappe avec des motifs floraux voyants. La pièce en est saturée, surchargée: il y a des vases partout, des canapés, ce que j'identifie comme un coin douche, des plantes, et, au plafond, un conduit pour renouveler l'air. Mes yeux sont agressés par ce panel de couleurs, toutes plus éclatantes les unes que les autres. Ma compagne de voyage s'allonge, et ferme les yeux. L'officier, lui, est sorti et a refermé la porte, toujours sans ouvrir la bouche. Je reste au milieu de la pièce, mon sac, sur le dos, ne sachant que faire. J'hésite à réveiller Gwendoline pour lui réclamer des informations, mais je décide finalement de la laisser se reposer. J'aurai bien le temps de poser des questions après. Posant mon sac contre un sofa, je manque de buter contre une boule de poils noire. Je me retiens à une plante, les yeux agrandis par l'adrénaline. La chose au sol lève la tête, et je reconnais un chat. Il miaule doucement, avant de se lever et de se frotter contre mes jambes. Attendrie, je le caresse, provoquant des ronronnements bruyants. Je somme à l'animal de ronronner moins fort, mais il continue. Alors, je pars vers la douche, décidant de me laver afin d'enlever les odeurs et les saletés accumulées tout au long de la journée. Une autre grotte, plus petite, sert de coin douche. Un trou dans la roche sert sans doute à acheminer l'eau. J'enlève mes habits, les dépose sur le renfoncement sans doute prévu à cet effet, et ferme le rideau qui sépare la salle de bain du reste de la "maison".

Je tire une chaîne pendue au plafond, ne sachant que faire, et de l'eau me tombe dessus. Je laisse échapper un petit cri de surprise, et me réfugie devant mes habits, où le liquide glacé ne m'atteint pas. Je prends le temps de me réchauffer, puis mets timidement une main sous le jet. L'eau est toujours froide. Je devine qu'elle ne se réchauffera pas, alors je me résigne et, après une longue inspiration, me place sous le jet d'eau. 

Mon rythme cardiaque s'accélère, tente de me réchauffer, sans grand succès. Je dois remuer en permanence mes membres glacés par l'eau froide. Je reste trois minutes sous la douche, puis sort à toute vitesse et me sèche vigoureusement pour me réchauffer. Enfin propre, je sors de la salle de bain, et retrouve Gwendoline assise sur le canapé rouge, le chat sur ses genoux. Elle a une tête de déterrée, comme si on venait de la sortir du sommeil en plein milieu de la nuit. 

Je cours vers elle, elle m'assoit à ses côtés. Elle tourne lentement la tête vers moi, et j'ouvre la bouche pour poser les questions qui me trottent dans la tête, mais Gwendoline fait non de la tête. Je l'interroge silencieusement, et elle me fixe en retour. 

— Gwendoline, pourquoi on est ici? Qui est cet homme, qui nous a amené jusqu'ici? Comment connaissais tu cet endroit?

Mon alliée hausse les épaules, et prends une grande inspiration.

— Dans mon appartement précédent, j'avais trouvé une carte. Elle indiquait un entrepôt, qui comportait un appartement. Apparemment, il fallait que je m'y rende quand Simon Lotte se montrerait sur une plage. Alors, quand il est apparu, je n'ai pas hésité. En plus, la carte mentionnait un certain danger évité grâce à cette pièce. On doit y rester trois jours, selon les indications.


Gwendoline

Je regarde Perle, et voit ses sourcils se froncer au fur et à mesure que je lui raconte l'histoire de la carte. Elle ne comprends pas, c'est normal. Je ne lui ai pas tout dit, pour l'inquiéter. La vérité, c'est que le danger était indiqué bien précisément sur la feuille que j'ai trouvée. 

C'était un jour normal, sans vagues. Je m'ennuyais, alors j'ai décidé de passer un coup de balai dans l'appartement où je me trouvais. En dépoussiérant un coin (envahi d'araignées, par ailleurs) , j'ai trouvé glissé entre meubles un papier, plié précautionneusement. Curieuse, je me suis contorsionnée pour l'attraper. Et je n'ai pas été déçue quand je l'ai ouvert.

Il contenait un plan, avec une entrée entourée en rouge. Quelques rues étaient indiquées autour, et l'adresse était recopiée au-dessus, afin que je me repère dans Lyon, je suppose. Je l'ai retournée, et une suite d'indications étaient marquées.

Il fallait que je me rend à cette adresse quand je verrais une annonce de Simon Lotte. Mais pas n'importe laquelle: celle où il serait sur une plage, et où il parlerait de se baigner dans de l'or. Sur le moment, j'ai ri et rangé le papier dans ma poche, pensant à une blague ou un canular. Mais une pointe de méfiance restait toujours coincée dans ma poitrine. Et si tout cela était bien réel? Et si ce papier avait été déposé exprès, laissé à l'attention des joueurs les plus minutieux. 

J'ai finalement classé cette feuille dans un coin de ma tête, et je n'y ai plus pensé.

Mais, quand l'annonce de Simon Lotte est arrivée, avec ses paroles qui résonnaient en moi, j'ai déplié le papier, et décidé de m'y rendre le plus vite possible. Quelque chose dans ma tête, peut être mon instinct, m'ordonnait de me cacher dans cet entrepôt, que ces indications n'étaient pas erronées.  

Alors, je suis sortie le plus tôt possible, et ai entrainé à toute vitesse Perle, en prétextant que nous nous dirigions vers le parc de la Tête d'Or. Spoiler: absolument pas. La pauvre, je voyais bien qu'elle souffrait, mais je n'avais pas de temps à perdre. La feuille précisait bien que la salle était pour le premier arrivé, les suivants n'auraient rien. 

Heureusement, nous sommes arrivées les premières, et l'agent de Simon Lotte nous a guidées ici, on nous devons rester trois jours et trois nuits. 

Perle sait tout cela, mais, ce que je ne lui ai pas dit, c'est le danger évité. Un danger qui me fait frissonner, et faire des cauchemars. Des créatures dangereuses, rapides, affamées, et avec de longues dents capables de déchiqueter la peau la plus dure. Un animal monstrueux, créé par les ingénieurs. Et ils doivent être lâchés ce soir dans la ville. 

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