Chapitre 33

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C'est la soif qui me réveille. Ma gorge sèche crie, me somme de boire, appelle à l'aide.  Dans une espèce de demi- conscience, je me lève, un brouillard enveloppant mon cerveau. Ma gourde est vide, je n'ai pas bu depuis deux jours. Je titube jusqu'au robinet, avant de me rappeler qu'il ne faut en aucun cas boire. Puis, alors que la brume m'empêche de voir correctement, je trébuche contre je ne sais quoi, et m'étale de tout mon long par terre. La douleur abrutit mon cerveau, et une chappe de brouillard s'abat sur mes yeux, s'ajoutant à celle causée par la soif. Désormais, privée de ma vue, de mes repères, je suis comme un animal pris au piège, qui sais que la fin est proche.

Je ne sais pas combien de temps je reste étalée là, contre le carrelage froid de la salle à manger. Mon corps s'est imprégné du sol, en fait partie intégrante, tel un caméléon. Mes idées sont brouillées, et créent une incessante cacophonie dans mon esprit. Elles se battent, ses bousculent, pour ne former qu'une bouillie informe et incompréhensible. 

Puis, soudain, une lumière se fait dans mon esprit. Je la suis, butant contre mes pensées. Cette lumière, c'est la détermination, l'espoir. Elle m'appelle, m'attire, veut que je survive. Quand je l'atteins, je m'y jette à corps perdu. 

Et, enfin, le brouillard s'écarte, mes pensées se réordonnent sagement. Ma tête m'élance encore, mais c'est désormais une simple migraine, rien de plus. 

Je reste quelques instants étalée sur le sol, laisse mon cœur se calmer. Il s'était accéléré, craignant pour ma vie. Je prends de grandes goulées d'air, que j'avale goulûment. 

Petit à petit, je me lève. D'abord un bras, dont je me sers pour m'appuyer au sol. Puis le deuxième. Une pause. Je me mets à genoux. Je m'agrippe à une chaise, et me mets sur un pied. Une pause. Je me mets sur mes deux pieds. J'attends que mon corps s'habitue au fait d'être debout. Puis, je mets un pied devant l'autre. Je suis comme un nouveau-né, j'apprends la vie. 

Passé cet instant magique, la réalité, brutale, me rattrape. Ma gorge me rappelle à l'ordre. Alors, suivant aveuglement ses directives, j'empoigne mon sac — après avoir vérifié que tout est dedans bien sûr — et sors dans l'air froid du matin. 

Ce dernier me prend au visage, s'y loge et ne me quitte plus. Bientôt, mon nez coule abondamment, et je peux à peine remuer mes lèvres ainsi que mes doigts. Ceux ci sont d'un bleu inquiétant.  Afin de ne plus les voir, je les enfouis dans mon manteau. Je croise quelques flaques d'eau, gelée. A leur vue, je fronce les sourcils. Il fait si froid? Quelque chose cloche, ici. Il faisait bon, hier, pourquoi tout a gelé en une nuit? Est ce seulement possible? Avec le réchauffement climatique, je n'avais jamais vu de neige, et, pourtant, il commence à en tomber. Mes dents claquent, s'entrechoquent toutes seules. Je suis transie de froid. 

Instinctivement, je me dirige vers la neige, et met dans mes mains, et l'avale. Après tout, c'est de l'eau! Ca ne me soulage qu'à moitié, mais ça me soulage, alors je continue, en enfourne toujours plus, jusqu'à ne plus sentir ma bouche. Alors seulement mon cerveau me rappelle à l'ordre, me fait lever, et entrer dans un luxueux immeuble. 

Automatiquement, je monte les marches lustrée, propres. Quand j'arrive au dernier étage, une seule porte me fait face, encadrée par deux plantes qui semblent briller. Tout respire le luxe ici. Retenant ma respiration, je m'attends au pire en passant la porte. Mais ce que je vois alors dépasse mon imagination: le salon fait la taille de mon appartement, et il y a au moins cinq portes qui l'entourent. Des plantes et fleurs sont disposés aux quatre coins de la pièce. Du lierre entoure un immense écran plat fixé au mur, qui fait face à un énorme canapé bordeaux neuf. Dans le fond de la pièce, une table, illuminée par des lampes qui doivent être hors de prix. Une baie vitrée donne accès à un balcon, d'où on aperçoit un fleuve. Des tapis décorent la pièce, ainsi que des photos de famille, où tous posent, sérieux, sans sourire, portant des habits luxueux et des bijoux plus que rares.

J'ose à peine entrer, et salir l'endroit. Bouche bée, je pose mon manteau sur la patère fixée au mur sur ma droite, et qui me paraît être en or.  Je me déchausse, et pose mes chaussures dans un panier que je devine fabriqué afin d'y déposer ses souliers. Les miens (des bottes trempées) détonnent dans ce décor de luxe. Moi même, je suis une intruse, ici. Pas à ma place. Je dois résider dans des appartements étriquées, pas dans d'immenses villas dont je ne veux même pas connaître le prix.

Je m'assois sur le canapé, après avoir vérifié que l'eau soit potable, et bu de tout mon soûl. Mon corps se réchauffe au fur et à mesure que la chaleur me rencontre. Curieuse, je prends un thermomètre et le pose dix minutes sur le balcon. Puis, je le reprends. Il affiche 0 degrés Celsius. Je frissonne. Pas de doute, c'est l'oeuvre des techniciens. Une nouvelle épreuve, un nouveau problème. Une complication. Qui ne serait pas si contraignante que ça si nous ne devions pas sortir dehors chaque jour.

Je somnole sur le canapé — qui est d'ailleurs beaucoup trop confortable pour que ce soit normal — alors que la télé s'allume, si lumineuse que j'ouvre les yeux, dérangée. Face à moi, Simon Lotte, souriant, en costume impeccable derrière un mur recouvert de plans et de calculs mathématiques. 

— Bonjour, chers candidats! J'espère que vous passez un bon séjour à Lyon! Je suis désolé de vous apprendre que la météo baisse de cinq degrés chaque jour... Je vous conseille de prendre des habits chauds pour sortir! Ah, et, petit changement, vous nous excuserez: désormais, vous devrez passer au minimum deux heures dehors! Sinon... je n'aimerais pas être à votre place! Et pour les petits malins qui pensent pouvoir tricher, sachez que des détecteurs sont placés sur les portes, et, que, quand un de vous passe une entrée, votre traceur émet un signal qui prévient les techniciens. Ainsi, le temps que vous passez dehors est contrôlé! Eh oui, chers candidats, pour vous, on utilise une technologie de pointe! Allez, je vous souhaite une bonne journée!

L'écran s'éteint, tandis que je jure. Deux heures dehors, avec ce froid! Le public s'ennuie, ou quoi? Tant pis, je n'abandonnerai pas. 

Déterminée, je vais fouiller dans les pièces. Je trouve une cuisine, une salle de bain, une chambre, une deuxième et une salle cinéma. Dans la première chambre, une fenêtre sans aucune trace sale, un lit immense fait au carré, des plantes çà et là, et un dressing, mais qui comporte uniquement des habits pour adultes, c'est-à-dire trop grands pour moi.

La deuxième contient un lit deux place, une bibliothèque qui prend tout un mur, un bureau appuyé en dessous d'une fenêtre, une balançoire accrochée aux poutres du plafond et, ô miracle, une pièce remplie par des vêtements uniquement. Deuxième miracle: ils sont à ma taille. Je prends les plus chauds, et les enfile tout de suite: deux pantalons, un tee shirt à manches longues, une polaire et un manteau ultra chaud. Me voilà parée pour affronter le froid. 

Mais, avant de partir, je vois mes doigts, qui, eux sont dévêtus. Alors, je retourne à toute vitesse dans le dressing, prend une écharpe, un bonnet et enfile des gants. Ainsi habillée (c'est-à-dire ne pouvant faire le moindre geste), je sors, et affronte l'extérieur. Là où des flocons de neige tourbillonnent dans l'air, et où l'on ne voit rien à plus de cinq mètres. 

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