Chapitre 51

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Je reste quelques secondes figée, comme si mon cerveau croyait encore voir mon amie à l'écran. Puis je me ressaisis, et réfléchit.

Je fixe la lune, par la fenêtre du salon. Elle fine, mais brillante, et sa lumière inonde discrètement le séjour, éclairant timidement la pièce, plongée dans la pénombre. Je me remémore les paroles de Gwendoline: selon elle, je serai juste à côté de Sasha, et Kate sera celle qui me donnera le plus de fil à retordre. Pas étonnant. Mon seul espoir est désormais que sa première cible sois Sasha, afin qu'elles se blessent mutuellement, et, par conséquent, qu'elles deviennent faciles à éliminer. Kate n'est pas bête, mais elle est audacieuse. Alors pourquoi ne pas tout de suite débuter avec un coup d'éclat? La favorite, mais également son adversaire la plus sérieuse, si j'en crois Gwendoline. La faire perdre serait comme dégager un arbre qui entrave une route: accéder à sa destination finale, c'est-à-dire la victoire, serait plus facile, voire même inratable. Mais elle n'est pas seule. Et le fait qu'elle me voie comme une petite créature faible et peureuse est sans aucun doute mon plus gros avantage. Le sprint final est lancé, et je compte bien être la première à franchir la ligne d'arrivée. 


Il me faut un plan. Un bon, un solide, un qui tienne solidement sur ses deux pattes. Pour ça, je prend une feuille blanche trouvée au fond d'un placard, et un stylo en état de fonctionner. Je n'ai pas l'habitude d'écrire, j'utilise surtout des ordinateurs, à l'école, donc ma main tremble. Les signes qu'on appelle alphabet, qui se tracent au gré de mes vas et viens sont mal réalisés, et, au lieu des belles courbes agréables à regarder de mon professeur, on voit des lignes tremblotantes, à peine lisibles. Je grogne. Tant pis, je n'ai pas le choix. Je ne peux pas conserver ce plan dans ma tête, il s'échapperait, tel un chat un peu trop indépendant. Je dois le noter, même si j'y passe trois heures et que j'y gaspille ma nuit. De toute façon, celle ci est déjà fichue. L'adrénaline circule dans mon sang à toute allure, et plus aucune trace de fatigue ne subsiste.

Je me mets au travail immédiatement. Ne pas perdre de temps, surtout pas. Je viens de réaliser à quel point il est précieux. Mes lignes ne sont pas droites. Cela m'importe peu, voire pas du tout. J'oublie où je suis, concentrée sur ma tâche. C'est à peine si je peux sentir la sueur dégouliner le long de mon front. 

Quelques heures plus tard, j'ai enfin terminé. Je me lève de la chaise, et grince des dents en dépliant mon dos, courbaturé d'être resté plusieurs heures dans la même position, courbé. Les souvenirs de cette nuit sont flous, un peu comme quand on se réveille pour aller boire un verre d'eau. C'est irréel, un peu comme si du brouillard cachait mes souvenirs. Je me souviens m'être levée uniquement pour me faire une couette, mes cheveux ne cessant de tomber devant mon visage. 

Mais je tiens la feuille recouverte d'écritures presque illisibles. La sensation du papier rugueux contre mes doigts est bien là, elle. Je l'ai fait. 

Je regarde par la vitre. Le soleil se lève, rayonnant. Quelques nuages subsistent dans le ciel orangé, mais ils partent à toute allure, poussés par un vent... déchaîné. Quand j'ouvre la fenêtre, une bourrasque me repousse en arrière. Je rentre immédiatement à l'intérieur, et m'appuie contre le mur, les yeux encore exorbités par la surprise. Aujourd'hui ne va pas être de tout repos. Je me demande si cette véritable tempête est un coup des techniciens, où si c'est juste naturel. 

Désormais totalement réveillée, je regarde l'heure. 7h23. Je vais bientôt pouvoir sortir. Alors, je me prépare. J'enfile une écharpe, enfouis mes cheveux dedans, m'engonce dans un pull et dans deux grosses bottes, remplis mon sac de nourriture et de vêtements. Je suis prête. Mais, alors que je m'apprête à ouvrir la porte, une des paroles de Gwendoline me revient. "Je te conseille de garder en permanence une arme sur toi: couteau, pied de biche, peut importe tant que tu peux te défendre". J'ai complétement oublié de prendre de quoi assurer ma sécurité. Vite, pas une seconde à perdre. Je retourne dans la cuisine, mes bottes claquant sur le parquet. On repassera pour la discrétion. Je fouille à toute vitesse les tiroirs, sortant sans ménagement les couverts inutiles de leur cachette. Puis, un couteau qui doit mesurer environ quinze centimètres selon mes estimations se retrouve dans ma main. Je souris. J'ai trouvé ma défense. Je ne prends pas la peine de ranger, en sortant. Quelqu'un d'autre le fera. 

Dès que je pose le pied dans la rue. Un hologramme apparaît devant mes yeux. Surprise, je recule, et rentre dans la cage d'escalier. L'hologramme disparait aussi vite qu'il est arrivé. Curieuse, je plisse les yeux et sors. 

L'étrange hologramme revient devant moi. Cette fois, je l'avais anticipé, et je ne fuis pas. Je détaille plutôt la femme qui flotte devant moi, au niveau de ma tête. Une version miniature d'une adulte aux cheveux blonds grisonnants, et aux rides aux coints des yeux, comme si elle avait trop souri. Son visage en ovale est pâle, et ses yeux marrons éclatants contrastent avec ce visage effacé. Elle porte un pull rayé, et un jean troué à plusieurs endroits. Je crois que c'est la mode, à l'Elite. Nous, on ne peut pas se le permettre, le tissu est trop précieux. Et il serait impossible à porter l'hiver, ce qui le rend inutile aux yeux de toute la population des Bas-Fonds. 

— Salut! Tu ne me connais sans doute pas. Je m'appelle Joséphine, et je serai ton guide jusqu'au nouveau périmètre des jeux, m'explique énergiquement la dénommée Joséphine. 

— Tu ne peux pas le voir, mais j'ai devant moi une tablette qui affiche une carte de Lyon, avec ta position et le trajet à suivre. Il sera donc plus facile pour moi de me repérer pour t'aider. Actuellement, nous sommes à plus d'une heure de marche de la direction à atteindre! enchaine elle, d'une traite, sans reprendre son souffle. Je ne réponds pas, trop occuper à assimiler les informations.

— Tu es prête? Pas de questions? Alors allons y, ne perdons pas de temps, le périmètre est fermé à midi pile. 

— Euh, attends! Est ce qu'on risque de croiser quelqu'un? ne puis je m'empêcher de demander, les sourcils froncés. Autour de moi, la ville s'éveille peu à peu. Les oiseaux commencent à piailler. Mais, aujourd'hui, je trouve le silence assourdissant.

Remarquant mon expression inquiète, Joséphine me sourit avec bienveillance:

— Ne t'en fais pas, les trajectoires de tout le monde ont été calculées pour qu'à aucun moment vous ne vous voyez! me rassure elle, avant de me faire un signe de la main. Allez, en marche. 

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