― Chapitre 2.

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Catelyn n'avait jamais aimé ce bois sacré. C'est qu'elle était née Tully et là-bas, loin vers le sud, le bois sacré vous offrait des airs riants et ouverts de jardin. De grands rubecs y dispensaient une ombre diaprée sur l'argent sonore d'eaux vives, mille chants cascadaient des nids invisibles et l'atmosphère était toute épicée du parfum des fleurs. 

Certes, ils étaient moins brillamment lotis, les dieux de Winterfell, dans les ténèbres primitives de cette forêt. Le rubec, ici, ne poussait pas. Un bois, cela ? Les troncs se touchaient, noirs, massifs, sombres...

Pourtant Catelyn était sûre, ce soir, d'y trouver son mari. Chaque exécution capitale ramenait invariablement dans le bois sacré son âme altérée de paix. Elle était certaine de le trouver au centre du bosquet, à l'arbre-cœur. Un barral gigantesque, auquel son écorce blanchâtre conférait un aspect d'os rongé tandis que son feuillage rougeâtre évoquait des myriades de mains tranchées. Sculptée dans le tronc, une figure longue aux traits mélancoliques vous lorgnait, du fond de ses orbites vides et rougies par la sève séchée, d'un air de vigilance étrange.

Elle trouva Ned assis là, comme prévu, sur une pierre moussue, Glace en travers de ses genoux. Il en nettoyait la lame avec cette eau plus noire que la nuit. Catelyn fut étonnée d'y trouver également la plus âgée de ses filles, sa jolie louvette serrée contre elle.

Serena se tenait aux côtés de son père, le regard dans le vide, les bras croisés, sûrement pas en train de se repentir. Au plus grand désarroi de Ned, elle n'avait jamais réussi à croire en ces dieux, même si les yeux sanglants du barral se tenaient attachés à elle. Lady Stark comprit vite que la brunette ne faisait que tenir compagnie à son père, comme elle l'avait toujours fait.

"Ned ?" appela Catelyn d'une voix douce. Les deux se redressèrent, perturbés par cette drôle d'attitude. "Je suis désolée, mon amour." 

Sur ces mots, elle étendit son manteau sur le sol et s'assit au bord de l'étang. 

"Un corbeau en provenance de Port-Réal vient d'arriver. Navrée, mon amour, Jon Arryn est mort, emporté par la fièvre."

Il plongea les yeux dans les siens, et elle lut toute la détresse qu'elle redoutait.

Serena se rapprocha un peu plus de son père, abîmant ainsi sa robe contre le bois. Elle savait ce que cet homme représentait pour lui, un second père. 

"Ta sœur et leur fils, la lettre les mentionne ?" demande finalement Eddard, les yeux baissés vers l'étang.

"Ils vont bien, bénis soient les Sept. Mestre Pycelle en personne n'a pu le sauver, juste lui faire absorber du lait de pavot." Une piètre consolation pour Ned.

"Ce n'est pas tout," poursuit Catelyn, au plus près de son mari et de sa fille. "Le roi vient à Winterfell, avec la reine et toute sa suite." 

Après un moment de stupeur qui lui dérobait jusqu'au sens des mots, le regard de Ned s'éclaira. "Il n'y a qu'une raison pour qu'il vienne jusqu'ici," déclara Serena, arrachant ainsi les mots de la bouche de son père.

"Tu peux toujours refuser de devenir sa Main," reprend Catelyn, les yeux rivés sur son mari. 

"Père, Mère," interrompit la voix paniquée de Serena. "Je ne veux pas me marier à Joffrey ou à Tommen. Et encore moins au lutin. Je ne veux pas unir nos Maisons."

"Ma fille, je te l'ai déjà dit. Je t'ai déjà promis que tu te marierais à l'homme que tu désires. Je ne referais plus jamais les mêmes erreurs, je te le promets." 

Sur ces mots, Père glissa sa main froide sur l'épaule de Serena, ce qui eut le don la faire frissonner. Une goutte de sueur coula de son front à ses joues et une drôle de sensation lui vint dans le dos. 

"Personne ne te fera plus jamais de mal. Tu choisiras ton mari. De plus, les enfants de Robert sont bien trop jeunes pour toi et Tyrion Lannister est plus âgé."

"Je vais aller préparer la réception. Ben voudra être de la fête, je prierai mestre Luwin de choisir son meilleur oiseau." C'est sur ces derniers mots que Catelyn se leva afin de quitter le bois sacré, se sentant de trop dans cette conversation. Étonnamment, Serena n'avait jamais parlé de cet incident avec sa mère, seulement avec son père, l'homme en qui elle avait le plus confiance. 

"Ton dos, comment va-t-il ?" poursuit Eddard d'un regard réconfortant.

"Père, je t'en conjure. Je ne veux plus jamais entendre parler de cette histoire. Tu m'as promis de ne le répéter à personne, n'est-ce pas ?" Sur ces quelques mots, la Stark sentit les larmes lui monter aux yeux.

"Ma fille, ma douce fille. Je te fais confiance comme toi tu me fais confiance. Si tu décides de n'épouser personne, je l'accepterai." 

Serena ne répondit pas, soudainement soulagée. Elle laissa sa tête tomber sur l'épaule de son père alors qu'une larme solitaire dégoulinait le long de son visage rond et pâle.

"Quel est son joli nom à celui-ci ?" demanda Eddard en aventurant une caresse sur le front de la louvette reposée sur les genoux de Serena. 

"Sansa, sous le charme, multiplie les grâces, elle se contente ainsi de Lady. Impressionné par la célérité du sien, Robb l'a appelé Vent Gris. Arya a déniché un véritable prénom de sorcière, Nymeria. Petit Rickon a choisi Broussaille sans réfléchir alors que Bran rumine encore sur le sujet. C'est pareil pour moi..." avoue Serena, les yeux attendris par la vision qui s'offre à elle, une magnifique louvette.

"Que penses-tu d'Iris ? Ça lui irait bien," propose Eddard d'un doux sourire, ce qui plaît à Serena. 

"C'est joli. Il est vrai que ses yeux sont magnifiques." Aussi jolie que les tiens, pensa Ned, car il aimait de tout son cœur sa fille aînée.

"Les Lannisters ne sont guère nos amis, n'est-ce pas ?" demanda finalement Serena avec une vilaine grimace.

"Les Lannisters de Castral Roc ne se sont ralliés à la cause de Robert qu'une fois la victoire en vue. Ce sera une véritable épidémie de Lannisters sous peu, je te prierai de rester méfiante. C'est à croire que Robert trimballe la moitié de sa cour ! Je me réjouis tout de même de voir ses enfants. La dernière fois que j'ai aperçu le dernier, il était encore pendu aux mamelles de la reine. Le prince Tommen doit bien avoir l'âge de Bran. Catelyn va prévoir un banquet, il nous faudra des chanteurs. Et puis Robert voudra chasser. Comment faire pour nourrir tout ce monde-là ?" Sur ces mots, Ned prit sa tête entre ses mains, drôlement ennuyé par la situation, même si hâtif de revoir son ami.

"L'hiver vient..." susurra Serena, sa louvette paisiblement installé sur ses genoux. Ces mots le firent grelotter.

𝐒𝐓𝐈𝐆𝐌𝐀𝐓𝐄𝐒 ࿐ 𝐒𝐀𝐍𝐃𝐎𝐑 𝐂𝐋𝐄𝐆𝐀𝐍𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant