― Chapitre 32.

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Un océan de pierreries, de fourrures et de tissus somptueux. Les dames et les seigneurs qui emplissaient le fond de la salle du Trône ou en tapissaient les bas-côtés sous les grandes baies bousculaient comme des poissardes à la criée.

À la table du conseil, flamboyaient les brocarts d'or à crevé de velours grenat de la reine Cersei tout contre les moires clinquantes et les chichis lilas de Varys.

Et, planant là-dessus sous le faix de sa couronne d'or parmi les barbelures agressives du Trône de Fer, Sa Majesté Joffrey, tout lampas écarlate et taffetas noir constellé de rubis.

Se faufilant dans une cohue d'écuyers, chevaliers, bourgeois, Sansa parvenait enfin sur le devant de la tribune quand une sonnerie de trompettes annonça l'entrée de lord Tywin Lannister.

Celui-ci remonta toute l'allée centrale sur son destrier pour ne démonter qu'au pied de son neveu. Jamais Sansa n'avait vu d'amure comparable à celle qu'il portait : toute d'acier, tout incrustée de filigranes et de rinceaux d'or.

Le roi prit sa mine la plus théâtrale pour prier lord Tywin d'assumer la gouvernance du royaume, charge qu'il accepta d'un ton solennel jusqu'à la majorité de Sa Majesté.

On lui apporta alors la broche de la Main du Roi. Sitôt fait, il prit place à la table du conseil auprès de sa fille. Une fois ramené le destrier, la cérémonie se poursuivit.

Chacun des héros qui franchissait les immenses portes de chêne se vit dès lors saluer par une fanfare éclatante.

Les hérauts proclamaient hautement, que nul n'en ignore, les patronymes et les prouesses qui avaient abouti à la victoire des Lannister contre Stannis Baratheon.

En premier lieu fut honoré Mace Tyrell, sire de Haujardin. Le suivait son fils, ser Loras, vêtue de velours vert soutaché de martre.

"Les roses, soutien du lion, comme la puissance de Hautjardin soutien le royaume. S'il est la moindre faveur que vous désiriez requérir de moi, requerrez, et vous l'obtiendrez." Loras s'inclina avec respect.

"Il n'est plus grand plaisir de servir le bon plaisir du roi. Sire, j'ai une sœur, Margaery, qui fait les délices de notre maison. Elle était, ainsi que vous le savez, l'épouse de Renly Baratheon, mais son départ pour la guerre empêcha celui-ci de consommer le mariage, de sorte qu'elle a conservé son innocence. Or, à force de s'entendre vanter votre sagesse, votre bravoure et vos manières chevaleresques, elle s'est éprise à distance de votre personne. Je vous prie de daigner prendre sa main pour unir à jamais nos Maisons."

Joffrey fixa l'homme un instant avant de se tourner vers la concernée qui se trouvait non loin de là. Les regards étaient suspendus aux lèvres du jeune roi, attendant sa réponse avec impatience et appréhension.

Margaery Tyrell, la grâce incarnée, avançait avec assurance vers le trône où siégeait Joffrey. Ses longues boucles brunes cascadaient gracieusement sur ses épaules, encadrant un visage délicat où brillaient des yeux d'un bleu profond, empreints d'une intelligence vive et d'une certaine malice voilée. Son sourire, doux et charmeur, captivait tous ceux qui avaient le privilège de le voir.

La robe bleu céleste qu'elle portait, finement travaillée, mettait en valeur sa silhouette gracile tout en laissant entrevoir le galbe de ses épaules délicates.

Son décolleté, à la fois audacieux et raffiné, attirait tous les regards sans pour autant dérober à la dignité qui émanait d'elle. "Est-ce ce que vous désirez, lady Margaery ?" demanda le roi d'un ton presque indifférent.

Margaery répondit avec grâce : "Oui, Votre Grâce. C'est ce que je souhaite. Je crois en l'importance de l'union entre Mos maisons pour le bien-être du royaume. Et je dois avouer que mes sentiments pour vous évoluent de jour en jour." Le roi Joffrey joua les étonnés.

"Malgré la beauté de votre sœur, ser Loras, je me trouve engagé à une autre. Un roi se doit de tenir parole." 

La reine Cersei se dressa dans ses froufrous soyeux. "Votre conseil, Sire, opine qu'il ne serait point judicieux ni séant à vous d'épouser non seulement la fille d'un homme exécuté pour forfaiture mais la sœur d'un homme toujours en rébellion ouverte contre le trône. D'en plus que sa sœur, lady Serena, ait pris la fuite lors de la bataille de la Néra, faisant d'elle aussi une félonne. Aussi, conjure-t-il Votre Majesté de renoncer, pour le bien du royaume, à Sansa Stark. Lady Margaery vous sera une reine incomparablement mieux assortie."

Telles une bande de toutous savants, dames et seigneurs de l'assistance clabaudèrent instantanément leur enthousiasme.

"Margaery !" jappaient-ils à l'envi,
"Donnez-nous Margaery !"
et "Point de reine félonne !"

"Je serais trop heureux de combler les vœux de mon peuple, Mère, mais j'ai juré une foi que je ne saurais violer." 

Mestre Pycelle s'avança. "Si les fiançailles sont effectivement sacrées, Sire, au regard des dieux, il n'en est pas moins vrai que le roi Robert, bénie soit sa mémoire, avait conclu cette alliance avant que les Stark de Winterfell ne révélassent leur duplicité. Leurs crimes contre le royaume vous ont délié de tous les engagements que vous aviez pu prendre précédemment. D'un point de vue strictement religieux, le contrat de mariage entre votre auguste personne et Sansa Stark est d'évidence non avenu."

Des acclamations emplirent la salle et, tout autour de Sansa, fusèrent des "Margaery ! Margaery !" Les doigts crispés, elle se pencha pour mieux voir.

Tout en sachant ce qui allait venir, elle redoutait les paroles que proférerait Joffrey, craignant qu'il ne refusât de la libérer, même à présent qu'en dépendait le sort du royaume entier. Pitié, pria-t-elle de toute son âme, pitié, faites qu'il le dise.

"Par un effet de la bonté divine, me voici libre d'écouter mon cœur. J'épouserai votre chère sœur, et de grands grés, ser." Se tournant vers Margaery, il ajouta : "Et je vous jure de vous aimer et de vous chérir jusqu'à mon dernier jour."

Tandis que Margaery souriait de toutes ses dents, Sansa en éprouvait pour sa part une sensation bizarrement vertigineuse. Délivrée, je suis délivrée.

Les yeux s'attachaient sur elles tandis qu'elle essayait de se garder de sourire.

Je n'aurais pas à l'embrasser ni à lui donner ma virginité ni à lui faire des enfants. À Margaery Tyrell, la pauvre, toutes ces corvées.

Quand le tapage se fut éteint, le sire de Hautjardin siégeait à la table du conseil. Sansa s'efforça de feindre une désolation de répudiées tandis qu'elle s'éloignait de la foule.

Cependant, elle était libre du mariage avec Joffrey, mais elle était loin d'être libre de ce qui la liait à Port-Réal. Continuerait-il de lui faire du mal ?

Si seulement Serena se trouvait ici... La nuit de la bataille, elle était venu dans sa chambre lui proposer de fuir en compagnie du Limier. Sansa se demandait parfois, durant ses insomnies, si ç'avait été judicieux d'avoir décliné l'offre.

On murmurait que Serena avait trahi leur famille, qu'elle était une félonne prête à trahir pour ses propres intérêts. Quant au Limier, les ragots allaient bon train, alimentant des spéculations aussi cruelles que déplacées sur sa relation avec Serena.

Mais Sansa comprenait. Car elle aussi voulait fuir, et elle aussi, si elle avait la figure calcinée, aurait pris peur devant le feu.

La faute en était au grégeois qui, cette nuit-là, se transformait en fournaise jusqu'à la rivière et peuplait l'atmosphère elle-même de flammes vertes. Un spectacle terrifiant, même du château. L'imagination peinait à concevoir la réalité.

Elle priait pour que Serena et le Limier trouvent la paix et la sécurité, où qu'ils soient, et qu'un jour, leurs chemins se croisent à nouveau dans un avenir plus clément.

𝐒𝐓𝐈𝐆𝐌𝐀𝐓𝐄𝐒 ࿐ 𝐒𝐀𝐍𝐃𝐎𝐑 𝐂𝐋𝐄𝐆𝐀𝐍𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant