v. Santorin

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Archipel de Santorin, Grèce
Heure locale : 04h02

Neres

Je sors de mon boeing privé et mes pieds foulent le sol grec. Les effluves d'air marin m'accueillent et je me sens chez moi. Je fais volte-face. Elle hésite à marcher. Son regard traumatisé analyse les alentours. Elle n'a jamais pris l'avion de toute sa vie. Ses pieds tremblent sur la passerelle. J'enfouis mes mains dans mes poches et l'observe, un sourire en coin.
- Dario!

Mon homme de main s'empresse d'aller l'aider. Il la conduit jusqu'à moi. Ses yeux sont baissés. Je la détaille. Je dois me l'avouer, elle ressemble à un ange. J'attrape son menton et l'oblige à me regarder droit dans les yeux. Elle fuit mon regard. J'appuie davantage sa mâchoire. Elle pleure.

Ne gaspille pas encore tes larmes, ma Venus. Le pire reste à venir.

Mes doigts pelotent son cou. Ils sont indécis. Ça les démange de le brutaliser. Mais, je m'en abstiens. Ses iris affolés m'en empêchent. D'un geste délicat, je nettoie l'échelle de larmes dessinée sur sa joue gauche. Elle retient sa respiration et recule d'un pas.
- J...je veux ma maman, sanglote-t-elle.
- Désolée mais ce ne sera pas possible. Saisissez-la! j'ordonne.

Dario la porte sur son épaule et elle pousse des cris hystériques. Je me dirige vers la Mercedes G 63 et un garde m'ouvre la portière. J'y monte. La rouquine me succède. Elle s'enfonce dans son coin. Elle ne supporte pas la proximité avec un inconnu. Elle a bien raison. Des fois, je ne me supporte pas non plus.

Au bout de quelques minutes, nous arrivons dans ma demeure. Dès que la voiture se stationne, je descends en trombe. Il me faut un verre. Ou toute la bouteille. Et vite. Je grimpe sur les marches qui s'alignent en créneaux et qui zigzaguent jusqu'à la porte principale à effet marbre anthracite. Des lumières orangées et tamisées plafonnent le hall. J'engage un pas rapide vers le salon où, sans réfléchir je me rue sur la table d'appoint près de la baie vitrée. Je retire le couvercle de la bouteille de vodka et m'abreuve du liquide qui me brûle l'œsophage. J'entends la porte d'entrée se refermer et je repose la bouteille à sa place initiale. C'est elle. Elle reste plantée au loin et scrute les environs comme si elle venait d'atterrir au Louvre. Je l'aborde.
- Tu vas rester plantée là encore longtemps?

Elle sursaute et ses minuscules yeux en amande bruns se jettent sur moi. Des larmes sont séchées sur ses joues et d'autres font l'interim le temps qu'elle s'apaise. Je décide de m'approcher d'elle. Elle recule. On dirait bien que ses réflexes me perçoivent comme une menace. Tant mieux.
- Tu auras ta maman demain, contente?

Bien sûr que je ne vais pas m'attarder à jouer les psychologues. Encore moins les nounous. Je la laisse reprendre ses esprits. C'est le moindre que je puisse faire. Elle nettoie son visage et me demande:
- Pourquoi tu m'as emmenée ici?

Pour une fille qui a vécu à l'abri du monde pendant des années, elle en a du vocabulaire — dis donc. (Elle n'est pas juste censée connaître son prénom et rien d plus ?)

Tu es un gros bêta, Di Salvo!

- J'aimerais bien aussi le savoir, je lui confesse.

Elle se tait.
- Suis-moi!

À l'étage, je lui attribue une chambre. Au moment de m'en aller, mon portable vibre dans la poche de ma veste. C'est mon père.
- Qu'est-ce qu'il me veux ce vieux? je maugrée entre les dent avant de décrocher.

- Oui?
- Vous êtes bien arrivés?
- Si c'est pour me demander cela que tu m'appelles, sache que oui. Même si nous avons eu deux ou trois pannes en plein vol, on s'en est sortis.
- Tu me rappelles ta mère. Avec tout ce sarcasme, ricane-t-il, tu ne tarderas pas à aller lui passer le bonjour de ma part, fiston.

Je me pince l'arrête du nez dans la traître espérance qu'il déverse ce pourquoi il m'appelle à une heure pareille. Mon regard se tourne vers la baie vitrée en face de la nouvelle chambre de la rousse. J'aperçois l'océan coloré d'encre et luisant qui ne laisse connaître ni son commencement ni sa fin dans l'horizon. La voix de mon paternel m'enlève de ma contemplation abstraite.
- La ligne 666. C'est de ça que je voulais te parler. Je n'ai pas cessé de penser à ton idée. Même si cela va constituer un grand changement au sein de l'entreprise...je prends le risque avec toi.
- Content de le savoir.

Je raccroche, sans plus tarder. Lorsque je me retourne, je la surprends à me fixer, cachée derrière la porte vernie de blanc.
- Va te reposer! j'enjoins.

Suite à cela, je redescends dans le salon.

~~~

Venus

Ma nuit a été très longue. Mes yeux n'ont pas cessé de fuiter. Et mes membres n'ont pas pu contenir leur bougeotte. Je pense que j'ai la fièvre. Ou peut-être j'ai les symptômes de la mort. Je suis plantée devant une énorme vitre. J'observe le soleil qui se lève sur les maisons blanches et immaculées. Mes yeux n'ont jamais vu rien de tel. Ma main se pose sur le verre devant moi. Il est froid. Je sens qu'il balance. Ça me surprend et je retire ma main. Le soleil transperce ma peau de ses rayons lumineux et bienfaisants. Mais, j'ai envie d'aller de l'autre côté de la vitre. Dans la vague de choses qu'il m'est donnée de voir, je remarque une grande étendue d'eau bleue. Elle est particulière. Son bleu ne correspond pas à celui d'une eau normale. Il m'attire et il oscille. Et plus loin, une autre surface d'eau infinie submerge. Je pose encore ma main sur le grand verre et il bouge. J'observe une petite entrée à l'autre bout. Je ne pourrai pas m'y faufiler. Tant pis. J'abandonne.
Je retourne sur mes talons et refais mes draps chamboulés par mon sommeil court et tumultueux.
Maintenant, je me perds dans le paysage de la chambre. Elle est énorme. Et le lit, gigantesque. À peine je suis arrivée à tenir sur le quart. Une douce tapisserie git en dessous et à ses alentours. Les tons écrus des murs s'accordent parfaitement aux couleurs des meubles beiges aux détails dorés. Une porte blanche s'érige en face du lit à baldaquin. Lentement, je rencontre sa béquille ocre puis je l'actionne. Mes yeux sont aussitôt accueillis par une pièce plus ou moins étroite ou des portants à vêtement immergent. Il n'y a rien. Mais là-bas, au fond, si. Je me dirige vers l'insoupçonné qui me révèle une pièce absolument incroyable. Une vitre, plus grande que celle dans la chambre se dresse sous mes yeux — en même temps, il y en a énormément dans cet endroit. Elle laisse pénétrer les radiations du soleil. Au milieu, là, un objet blanc, presque rond occupe un espace non négligeable. À gauche, je reconnais immédiatement des jets d'eau italiens de même que des cuvettes de toilettes puis à droite, un canapé siège derrière une table d'appoint basse. Des serviettes sont suspendues le long des parcelles de murs que soutient la pièce. Je fraie l'îlot blanc forgé au centre et mes pieds me guident jusqu'à l'observatoire aux milles lueurs qui s'impose à mes yeux. Des verres sectionnés. Ceux-ci sillonnent l'étendue d'eau, turquoise et stupéfiante. Qu'est-ce?

— Qu'est ce que c'est beau! je monologue.

Des frissons me parcourent lorsque je tâte la baie vitrée, hésitante. L'envie de m'y baigner gravit en moi. Je pense toutefois m'en tenir aux jets d'eau italiens. Ma main se glisse dans mon dos et dézippe ma robe. Je m'en débarrasse et je saute sous l'une des douches-pluies. L'eau ruisselle dans mes cheveux, sur mon visage, le long de mon corps. Elle n'est ni trop froide, ni trop chaude. Elle est juste parfaite.

« Je t'aime ma chérie »

Cette phrase résonne encore dans ma tête. Je souris à ce courant de pensée qui a surgi dans mon esprit au moment où j'en avais le plus besoin.

Après une bonne douche, je me sèche et enroule la serviette autour de ma poitrine. J'emporte avec moi ma robe et regagne la chambre. Mon cœur pompe violemment lorsque je le vois, assis sur le bord du matelas.

- T'en as mis du temps, ma Venus!

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant