vi. L'eau bleue

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Venus

Mon corps ne peut plus bouger. Il me détaille comme s'il allait creuser dans le fond de mon âme. J'évite de croiser son regard et mes jambes tremblent. Je serre ma robe contre moi. Je ne peux pas m'en empêcher. Je le vois se lever. Il plonge sa main dans ses cheveux bruns foncés, fendus par une raie centrale. Un rire effrayant lui échappe.
- Je venais voir si tu ne t'étais pas noyée dans la salle de bain. Mais apparemment...

Il me scrute de la tête au pieds. Je presse davantage mon vêtement contre moi.
- Apparemment, continue-t-il, tu es encore bien vivante.

Son corps se rapproche du mien et je n'ose bouger, tétanisée par sa carrure angoissante. Mes yeux, craintifs, suivent ses gestes puis se perdent inintentionnellement dans le torrent de ses pupilles kaki et glaciales. Ils sont figés et ne parviennent pas à se délivrer de son emprise. Mon cœur vacille, saute et tambourine dans mon sein — il danse le tango. Mes dents claquent et les mots qui se forment dans ma gorge meurent sur mes lèvres. Je veux lui demander de reculer mais je n'y arrive pas.
- Finis de t'habiller. Nous allons faire les boutiques, m'informe-t-il.

J'hoche la tête et le surprends à quitter la pièce. Un souffle de soulagement fuit mes poumons et se dissout dans l'air ambiant. Je m'oriente vers la porte et la ferme dans la plus grande des discrétions. Mon dos rase le bout de bois géant et j'ai l'impression d'avoir les jambes engourdies. Très vite, je reprends mes esprits et l'estomac noué, j'enfile ma robe qui a perdu de son éclat d'hier. Je me chausse de mes souliers, ceux que ma mère m'a offerte pour mon dernier anniversaire. Elle me manque beaucoup. Et puis, elle doit également se sentir tellement triste sans moi.

Je sors de la chambre et directement, mes yeux sont attirés par la grande étendue d'eau au loin. Là encore, une vitre immense la sépare de moi. Le bruit d'une porte me fait détourner le regard. Neres pointe son nez hors d'une pièce opposée au fond du couloir qui s'estompe sur ma droite. Il m'invite à le suivre. J'exécute mais une question brûle ma langue.
- Comment s'appelle l'eau bleue?

Sans s'arrêter, il me retourne:
- Tu parles de l'océan?

Donc c'est ça. Océan.
C'est magnifique.
Je lâche un hmm en guise d'approbation.
- Depuis, la vitre de la chambre, j'ai vu deux étendues d'eau, je poursuis en descendant la dernière marche. L'océan et une plus petite.
- Ça s'appelle piscine, soupire-t-il, l'air agacé.

Je suis toujours en train d'assimiler mes nouvelles connaissances quand la porte d'entrée s'ouvre dans une sonorisation assourdissante et une femme apparaît dans l'embrasure. Elle a une peau différente de la mienne. Je n'en avais jamais vu une telle auparavant. Son teint est halé. Il est très brillant. Elle vêt une petite robe à col licou, sans manches et aux tons vert olive et gris dégradés qui lui arrive à peine aux genoux et qui laisse voir toutes les courbes de son corps. Elle porte de drôles de chaussures hautes et des lacets entourent ses mollets. Ses cheveux sont de jais, courts et ondulés. Et, de grosses boucles d'oreilles rondes pendent à ses oreilles. Je la trouve belle. Énormément.
- Di Salvo! grogne-t-elle en se dirigeant vers Neres.

Ce dernier reste stoïque et divulgue son désenchantement à la vue de  la jeune femme en fulminant des mots inintelligibles.
- Je n'aurais jamais cru t'entendre me le demander un jour, s'arrête-t-elle devant lui, mais je suis si fière de toi.

Elle l'enlace alors que ce dernier semble tout sauf apprécier cette étreinte à sens unique.
- Tu pourras plus cacher longtemps que tu as un cœur, jeune criquet, articule la jeune femme contre la chemise pêche de Neres.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant