xlix. Syracuse

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Vingt-sixième jour, 11ème mois

Syracuse, Italie
Heure locale : 17h

Venus

Un portail barreaudé se dresse devant. Les vantaux s'ouvrent grandement. La voiture s'enfonce dans une allée vaste et pavée, bordée de part et d'autre par de géants cyprès. Après avoir parcouru environs cinq kilomètres, le véhicule se fraie un chemin près d'une fontaine puis se cloître devant un immense château. La bâtisse paraît ancienne. Mais, elle n'en perds pas moins son esthétique et sa sophistication. Lorsque je descends, l'air frais mord mon nez ainsi que mes doigts. À ce moment, je regrette d'avoir porté une robe bustier peu longue. Je frisonne quand le gazouillement des oiseaux se mêle à l'atmosphère nébuleuse, grisâtre et humide. Mes poumons se gonflent d'une bouffée d'oxygène, se décompressant par la suite dans un soupir d'aise. Je m'attarde à contempler les détails de la construction et les murs roussâtres qui doivent sûrement avoir un tas d'histoires à relater. Des vignes grimpent et avalent tout l'édifice qui ne forme plus qu'un bloc de forteresses. Seules les fenêtres, gigantesques et indénombrables sont épargnées par les cordes de plantes. Tout cela est si exaltant, si beau.

La voix de Neres dut m'interpeller pour que je revienne à la réalité.
- Tu viens?

J'hoche la tête et le suis. Nous escaladons un perron vétuste, quand bien même solide malgré les affres du passage du temps. Brusquement, la porte principale s'éventre pour ne céder place qu'à une meute de personnes, toutes vêtues de la même manière. Une femme se distingue du lot par son costume trois pièces unique et sa coiffure impeccable. Elle s'avance vers nous.
- Monsieur! Nous ne vous attendions pas de si tôt, s'adresse-t-elle à Neres. J'espère que vous avez fait un bon voyage. Madame ! mime-t-elle un souple geste de tête à mon égard.
- Vous avez vieilli depuis le temps, Helga, lâche Neres, persifleur.
- Et vous, vous avez énormément grandi, jeune maître ! répartit la femme, avoisinant certainement la cinquantaine.

Le poker face de Neres ne fléchit point. Aucune émotion ne s'affiche sur son visage. J'entends les braves gens disposés en raie me passer leurs salutations. Il y en a tellement que je ne parviens pas à tous leur répondre.
Mes pieds foulent pour la première fois ce lieu majestueux. J'ai l'impression d'être dans un de ces palais des princesses Disney. Tout brille. Tout sent bon. Tout semble onéreux. Le carrelage à l'aspect de marbre est si bien poli que je peux voir mon reflet à travers. Et encore, des hommes et femmes se défilent comme dans une ruche. Le décor m'amène presque à croire que j'immerge dans le même manoir que celui de la Bête, m'attendant à ce que les objets prennent vie à tout moment et conversent avec moi.
Des escaliers enrobent et survolent l'entièreté d'un espace où loge un grand piano et des partitions visiblement bien ordonnées. Des portraits sont accrochés sur le papier peint blanc-cassé, projetant des souvenirs indéniables. Les mots me manquent pour décrire la beauté de cette maison de même que mes ressentis face à ses moindres précisions.
- Informez Vito qu'il aille décharger les bagages.

Les clés de la voiture planent et la dame les rattrape de justesse.
- Nous pouvons nous en charger, monsieur, se propose-t-elle.
- Ce n'est pas une tâche pour vous, emprunte-t-il une direction latérale. Ni pour aucune des domestiques d'ailleurs. Vito le fera.

Elle n'insiste pas plus.
- Autre chose, monsieur ?
- Que des domestiques fassent coucher la demoiselle qui m'accompagne. La soirée promet d'être longue.

Sans jamais se retourner, je vois son blouson marron foncé disparaître sous mes yeux. Je suis consternée. Embrouillée. Crédule.
- Mademoiselle!

~~~

Neres

- Tout est calme ici. Rien à signaler.
- Pareil de mon côté. Même lui n'a rien pisté.

Correction : Il renifle bien le danger mais investigue pas mal pour en être assuré. Et vu que tu m'as caché des informations une fois, je ne me crois plus en position de te faire confiance.

- Ce n'est jamais bon signe tout ça.
- Décline la garde sur toutes les lignes. Sans exception. S'ils veulent attaquer, ils n'auront aucune difficulté à le faire. Après tout, Di Salvo ne peut jamais se faire avoir.
Encore une chose, Dante! Ne va pas t'planter comme une salope cette fois-ci. Sinon, je te ligoterai sur le bord d'une route puis je t'anéantirai sous les roues d'un truck.
- J'ai tout compris cousin. On s'verra à Kiruna dans trois jours, pas vrai?
- Je dois admettre que je n'ai guère d'autre alternative.
- Okie dokie. Bye chéri.
- Nique ta mère, salaud!

Fin de la conversation.

Je quitte la fenêtre en apercevant Vito traîner les valises. Lorsque je descends, je le croise dans le hall.
- Ah! Monsieur! C'est un plaisir de vous revoir parmi nous, s'égaie-t-il.
- J'aimerais en dire autant, je regarde autour de moi.
- J'espère que votre séjour ici vous fera peut-être reprendre goût à Syracuse.
- En parlant de goût, que disent les œnologues des nouveaux vins sur le marché ?
- Il les trouvent exquis. Moi, bien évidemment j'ai également adoré la nouvelle recette. Ça révèle un peu plus le caractère boisé et la douceur des raisins. Rien à redire.
- Bien. Conviez tous les travailleurs chez eux. Sur les deux prochains jours, je ne veux voir personne dans l'enceinte du domaine. Et rassurez-les, ils recevront bien leurs payes pour les deux jours de congés.
- D'accord monsieur. Considérez que c'est déjà fait.

Je ne le retiens pas plus longtemps.
À présent, allons rendre une petite visite à mes chers invités. Ou devrais-je dire, prisonniers ?

En réalité, rien n'a changé dans cette maison. Chaque recoin évoque des vestiges que j'aimerais putain arracher du fond de mon être. Seulement, je n'y arrive pas. Parcourir les sentiers de cet endroit ne m'offrent pas d'autre choix que de plus m'embrouiller dans le passé. Je visualise l'enfant que j'étais se jeter aux pieds de sa mère, ici même. Elle avait un flingue dans sa main. Tout amenait à croire qu'elle s'était ôtée la vie de plein gré. Exclusivement tout.

Les battants se scellent dans mon dos. Mon flingue à l'affût, je dégaine et explose directement la cervelle à ce crétin de Ripley. Son siège s'écrase dans le foin et la mort l'emporte, autant que la détonation engloutit la quiétude dans la réserve. Moins j'en dis, plus vite les choses s'arrangeront. Une nouvelle fois, je charge mon arme et la pointe sur l'homme gras et aux cheveux blancs dont je porte le nom. Son ricanement a le don de m'irriter et l'envie de lui cribler le corps de balles se répand dans mes veines, tout comme le sang.
À pas feutrés, je m'approprie la distance entre lui et moi. Accidentellement (intentionnellement), j'élimine mes pensées meurtrières sur son crâne en y abattant âprement mon pistolet. Mais, ce n'est pas suffisant. Je le gifle, en revers, en dessous, au dessus, ne sachant plus quelle partie de sa sale gueule faire saigner. Je le hais tellement. De toutes mes forces. Et si le tuer devrait guérir le mioche en moi, satisfaire ma soif de vivre, je le ferais sans hésiter. Aujourd'hui. Demain. Toutes les secondes qu'il me reste sur cette merde de terre. Même si au fond de moi je sais que ça ne la ramènera jamais, j'aurai quand même apaisé ma conscience.
- Arrête ! peste-t-il, un ton déplaisant à l'appui.
- Tu veux que j'arrête, père ? Tu le veux vraiment ? j'attrape son cou, les dents serrées et usant d'une maitrise hors norme pour ne pas l'étrangler. Crois-moi, tu vas très vite rejoindre oncle Tommaso.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant