xxxiv. La Triade

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Berlin, Allemagne
Heure locale : 18h12

Neres

L'aérodrome est presque désert. Un de mes hommes nous attend au loin, près d'une grosse bagnole noire. Le ciel tient office de toile artistique pour des nues tantôt roses tantôt pourpres. Un véritable festival de couleurs chaudes. J'entreprends une marche rapide derrière ma Venus et la rattrape.
- Tu sais où on est ? j'initie la discussion.

Elle secoue la tête. Négatif.
C'est à ce moment que professeur Neres entre fièrement en scène.
- En Allemagne. Plus précisément à Berlin, la capitale du pays.

Témoignant d'une énorme galanterie, je lui ouvre par moi-même la portière et la laisse s'engouffrer dans la voiture. Je fais pareil. Le véhicule démarre.
- Ça sert à quoi une capitale ? me retourne-t-elle.

Je refoule un gloussement dans ma gorge avant de lui répondre, usant d'une maîtrise presque surhumaine.
- Une capitale est une ville autour de laquelle sont centrées les plus grandes activités ou la majorité des pouvoirs d'un État. Par extension, on peut la nommer métropole. En gros, prend ça comme...le salon par exemple. Tu aimes passer du temps dans le salon et moi aussi. Alors, le salon devient notre capitale.
- Donc, c'est un endroit que tout le monde aime?
- En quelque sorte...

Quelque part...
Station XXXXXXX, Berlin

La voix dans les hauts parleurs de la station meurt à peine que les passagers, dénombrables s'empressent de grimper à bord du métro. Lui, à la carrure titanesque se faufile parmi la horde. Ses bottes géantes donnent tout l'air d'être en automne. Pourtant, l'été bat encore son plein. Il circule dans l'enceinte en creusant chaque minois sur son passage. Ses sourcils épais donnent un aspect de rigidité à son visage. Et sa présence inspire presque le silence dans le métro. Non loin, il finit par repérer sa cible. Markus Bartels. Le fameux ingénieur informatique en phase finale de master qui a réussi à détourner la banque d'informations ainsi que les comptes primaires de la Triade quatre années auparavant. Cette même année où l'outrage de la ligne 27 est survenu, avec le déroutement de la plus importante cargaison de stupéfiants de l'histoire de la famille sicilienne. Malheureusement, la marchandise n'est jamais arrivé à destination et le (les) coupable (s) de cette affaire n'ont jamais été traités. Sans quoi, ils n'auraient pas eu leur premier titre dans le texte de réglementations du Mercato.

— La Triade.
Il s'agit de la plus grande boîte de l'Europe. Elle s'inspire des trois dieux primitifs de la mythologie romaine. Mars, Jupiter et Janus. De par ses édifices agencés sous forme de trident, il serait éligible à concurrencer avec le château de glace de la Reine des neiges. Toutes ses façades sont recouvertes de baies vitrées et sont prêtes à aveugler qui les contemple excessivement. Le point le plus culminant, naturellement désigné par Jupiter est la société-mère de la Triade. Elle propose d'influents partenariats et investit dans plusieurs secteurs d'activités. Au total, le consortium fait partie du classement d'entreprises les plus huppées et florissantes de la planète. —

Il est dos à la fenêtre du métro. Il épie, toise, visualise l'étudiant crever de différentes manières, autant cruelles les unes que les autres si bien qu'il pourrait toutes les faire passer pour des accidents.

"Prochaine station : Alexanderplatz. Correspondance ici pour les trains S-Bahn, les trains régionaux et les lignes de métro U2, U5 et U8. Les portes s'ouvriront à droite. Veuillez faire attention à la marche. Merci de reculer pour laisser descendre les passagers. Prochaine station : Alexanderplatz."

L'homme s'approche de sa cible, absorbée par son bouquin. Des écouteurs transvasent des notes classiques dans ses oreilles. Par conséquent, ne lui permettent pas de percevoir son pire cauchemar venir dans sa direction. Il suffit d'une légère tapote sur son épaule pour qu'une secousse imprègne ses cellules puis par accroissement ses membres. Les yeux sombres de son bourreau le dévisagent.
- Ou...oui monsieur en qu...quoi puis-je vous aider? balbutie le jeune homme, rachitique.

La voix autoritaire du Goliath se déverse.
- Prends tes couilles et suis-moi sans faire de bruit.

Résidence titrée Di Salvo
Heure locale : 20h41

Venus

Prendre une douche m'a requinquée. Je commençais déjà à avoir sommeil et j'avoue que j'ai dormi une bonne partie du trajet. Arrivés ici, il était hors de question pour Neres que j'aille directement me coucher sans rien me mettre à la bouche. Il s'est donc mis aux fourneaux.
Je suis plutôt curieuse de voir ce que ça donnerait. Enfin, un homme aussi...égoïste comme Chanda avait l'habitude de le clamer en cuisine. Je ne l'imagine pas plus concocter un plat de ces grands chefs que j'ai tant vus à la télé que je ne pense à ma mère en train de m'attendre gentiment dans mon ancienne chambre.
J'enclenche un pas déterminé dans la pièce d'où provient un vacarme. Il est là. Sa silhouette énorme se déplie du plan de travail. J'ai le privilège de tomber sur son regard de fer qui me réduit à un rang impensable. Il me dit en ordonnant presque.
- Assieds-toi!

Aucun mot ne traverse la barrière de mes lèvres. Je m'exécute et j'observe ses allers-retours. Les arômes dansant dans l'air me chatouillent subtilement les narines. J'en ai l'eau à la bouche.
- Qu'est-ce que tu prépares? je m'enquiers, intriguée.
- Au menu, escalopes de veau et tagliatelles.

Il plonge les rouleaux de pâtes dans l'eau bouillante avant de retourner à la viande qui cuit de l'autre côté de la plaque. Ses gestes sont précis et rien n'en gâche la magie. On aurait dit qu'il s'est adonné à cette tâche toute sa vie. Contrairement à moi qui n'ait rien fait de la mienne jusqu'à présent. Juste là, à marcher dans les pattes des autres, à leur obéir, oubliant que j'ai aussi une volonté. Sauf que, je n'ai jamais su ce que je voulais vraiment. Cette question reste pour moi une bête noire.
- Qui t'as appris tout ça ? je reprends, détaillant ses larges mains affairées à la poêle.

Mes yeux remontent plus haut et découvrent les dessins noirs sur ses bras. Ils sont magnifiques.
- Ma mère.

Sa réponse se tait sur un crispement de ses mâchoires. Son visage se renfrogne et j'ai le pressentiment qu'il veut m'étrangler. Juste pour lui avoir posé cette question. L'atmosphère se noue, s'étire et frétille au crépitement des morceaux de viande sur le feu. Je prend l'initiative de la rendre moins hostile.
- Moi, on ne m'a jamais apprise à cuisiner.

Une once de tristesse a spontanément surgi dans mon ton. Je soupire, le visage déformé par mon poing niché près de mon visage. Le blanc persiste. Je crains l'avoir vexé.
- Je t'apprendrai.

Ses mots m'ôtent un prompt hochement de tête alors que sa voix se grave dans tous les poils de mon corps. Je me tais pour de bon en le scrutant minutieusement. Pour un gabarit considérable comme le sien, je me demande bien pourquoi il porte un t-shirt autant collant. Quoique, l'effet sur lui est très appréciable. Et — comment le disait Chanda déjà — sexy. Tout à coup, il m'interrompt dans mon observation.

- Ne me regarde pas de la sorte, ma Venus. Je risquerais de te sauter à défaut des pâtes.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant