xxxiii. Une lessive sanglante

18 3 0
                                    


Prague, République tchèque
Heure locale : 11h03

Neres

- Ils sont combien à l'intérieur? interroge Dante le binoclard de service.
- Je vois trois hommes, chuchote-t-il. Ils sont autour de la table.
- Debout ou assis?
- Debout...Je crois qu'ils ne seront pas longs.
- Tu parviens à entendre ce qu'ils disent ?
- À peu près... Ils parlent de la fluctuation du prix du pétrole.
- Et toi vieux, t'es là?

Je reste silencieux. J'effrite mon joint dans le vent puis siffle une taffe en baladant mes pieds par dessus bord le balcon du 34ème. Mes yeux sont concentrés dans les bâtiments qui s'érigent si bien que j'ai l'impression de les voir bouger. En même temps, parler à ce sale connard ne me faisait fantasmer le moindre du monde.
- Allez quoi, tu ne vas pas me bouder à cause de ça mec.
- À cause de ça tu dis, crétin? À CAUSE DE ÇA?
Mon ton monte d'un cran à chaque mot au point où je termine ma phrase en hurlant.

- J'suis désolé mec. Je l'ai fait parc...
- Tu sais quoi? Boucle-la! On en reparlera après la mission. Et toi, Timothy, j'espère que tu fais bien ton boulot? J'n'ai pas envie de flinguer ta gueule de puceau pour si peu.
- Oui oui, patron! J'ai un œil sur eux.
- Implique aussi tes oreilles.
- Tous mes sens leur sont consacrés, patron.
- Y a intérêt! j'aspire une bouffée de ma clope.
- Rassure-moi, Tim', ils sont bien autour d'une table métallique? questionne Dante.
- Affirmatif. Elle occupe presque toute la pièce qui je dois l'admettre est loin d'être spacieuse. Apparemment, personne n'en connaît l'existence dans ce bâtiment.
- Ok, c'est bon!
- J'ai fait l'inventaire du mobilier de l'entreprise. Selon mes enquêtes, les anciens meubles auraient été déplacés dans le sous-sol et d'autres auraient servi à des conservations environnementales. Les matériaux de constitution n'étaient que des métaux usuels ou parfois du bois blanc, intervient Cedric.
- Parfait! s'exclame Dante. Les réservoirs sont pleins?
- À ras bords même! Mais je pense qu'on doit s'dépêcher. Rien ne dit que le PTFE est aussi résistant qu'on le prétend.
- Aussi longtemps que la théorie du Big Bang est notoire, sache que les lois de la chimie ou encore de la physique sont les plus grandes révolutions que le monde n'ai jamais connues. Alors crois-moi, tout se passera bien, réplique Dante, le génie des sciences.
- Un homme vient de les rejoindre, déclare Timothy.
- Ça s'voit que tu t'y connais bien.
- T'as devant toi un diplômé d'Oxford mon pote.
- Sans dec' mec!
- Fermez vos gueules bordel, je maugrée.

Un grand calme se fait. Bien.

- Ils parlent du Mercato, lâche Timothy.
- Et ils disent quoi à propos?
- D'après eux, c'est un projet voué à l'échec.
- Quoi? Répète un peu!
- C'est un projet voué à l'échec. Enfin, d'après leurs dires.

Un immense rire se déploie dans ma gorge et je n'arrive pas à le retenir.
- Quels andouilles!
- Apparemment, l'ego du Zeus en a pris un coup, glousse Cedric.
- Je parie que tu n'aimerais pas avoir une enveloppe en ton nom, Hansen ! j'assene froidement.
- Calmos mon vieux. Même pas en cauchemar.
- Tant mieux.
- Je crois qu'on peut y aller, reprend Timothy.
- On attend que le feu vert du patron, continue Dante.
- Lessivez-moi ces vermines! j'accorde mon approbation.
- Depuis le temps que j'attendais cela, se réjouit Cedric.

J'entends à travers l'oreillette un sifflement aigu, signe que Timothy a déjà déclenché le système de gaz.
- Désolé les gars, mais je vais devoir vous laisser, dit Cedric.
- On s'retrouve dans cinq minutes sur le parking.

La communication se coupe suite au discours de mon imbécile de cousin.
Les brouilleurs d'ondes prennent en force...

En ce temps...

Aplati contre la paroi du conduit d'aération, Timothy, cheveux noirs, longs attrapés en un chignon a le visage recouvert d'un masque à gaz. Ses mains gantées retiennent fermement une colonie de bombes lacrymogènes qui diffusent à foison par la grille de ventilation.
- Vous sentez ça?
- Qu'est-ce que c'est ? s'inquiète l'un des hommes dans la chambre secrète.
- Fais chier! Ça vient des tuyaux d'aération, toussote un autre.

Le gaz devient maître des lieux. Ils se précipitent vers la sortie et découvrent que la porte est verrouillée.
- Bon sang! peste l'un, en cachant son nez dans le creux de son bras.

Les yeux plissés, le souffle retenu, le plus élancé tente sa chance.
- Poussez-vous! sort-il son flingue.
- J'appelle mon garde, brême l'homme aux cheveux gris...Ça ne marche pas.

Abandonnant les bombes à leur poste, Timothy rampe. Il fait demi-tour. Tout se passe comme prévu. Aussitôt, une alarme incendie s'active.
- Vous entendez ce bruit? désigne l'un des individus le plafond.
- ¡Joder! Me arden los ojos, peste le fossile. (Putain! Mes yeux me brûlent.)

Un liquide pleut des sprinklers suspendus aux poutres de la construction. Il jaillit abondamment.
- Ahh! geint de douleur quelqu'un.
- C'est de l'acide !
- Putain!

Il frappe sauvagement la porte en métal. Les tentatives de tir de l'autre homme n'ont eu aucune portée sur la porte en raison du gaz qui siège dans l'atmosphère. Il ne s'en est planté que plus d'une fois. Nul ne parvient à se localiser. Leurs peaux se décapent. Leurs chaires sont visibles. Le contact entre l'acide sulfurique et la table provoque un dégagement gazeux qui se mêle au gaz ambiant. Les plaintes des hommes dédouble lorsqu'un troisième sprinkler s'actionne. Les méandres du liquide s'éparpillent partout. Personne n'y échappe. L'étroitesse de la pièce en constitue un atout. Ces gens sont damnés.
Une fois de plus, le Marchand de vie vient de signer son passage.

~~~

Neres

Timothy finit par se présenter. Il monte dans la caisse et s'installe sur la banquette arrière avec Cedric.
- T'en as mis du temps, râle Dante.
- J'ai dû aller au p'tit coin, mec.
- Pour un fumeur, t'as la pisse facile, s'esclaffe Cedric. Vous avez compris la blague ?

Tiens! Strachan a un rival.

- Elle était nulle.
- Archi! appuie Dante.

Il démarre la voiture et nous quittons le parking de la société...

~~~

- Tu rentres quand? Ramène nous des gâteaux. On crève la dalle ici. Y a rien à bouffer, se plaint Gunther.
- Sors et va en payer. Ou passe une commande. Je sais pas moi. De toute façon, je suis déjà arrivé.

L'ascenseur s'ouvre puis une femme en sort, son mioche cloîtré dans une poussette. Je m'y engouffre.
- Ah oui. J'y avais pas pensé. À plus mec!

Il raccroche. De pire en pire.
Pour mon plus grand bonheur, l'ascenseur me conduit directement à mon étage, le 18 ème sans effectuer de détour. En un clin d'œil, je me retrouve devant la porte de l'appartement. Des rires s'accentuent dans mes tympans. Je reconnais celui de ma Venus. Dites-moi que c'est pas cet enfoiré de Cox qui... Bordel!

J'appuie la sonnerie et l'espace d'une seconde me suffit pour le réaliser une seconde fois, plus intensément.

Je vais le fusiller ce minable.

La porte cède finalement et la gueule de Cox m'apparaît trop heureuse.
- Du balai! Je n'ai plus besoin de toi Cox.
- Attends mec, on devrait pas partir à Berlin ensemble ?
- Changement de programme, se dessine sans raison un sourire sournois sur mes lèvres,
- Oh non! Par pitié vieux! Je t'en supplie.
- Les archives.
- Pas les archives !
- Oh que si... J'aurais besoin du dossier Cleveland. Et d'urgence.
En attendant, déserte le plancher !

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant