xix. Neres ou un démon?

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Venus

L'oxygène se raréfie. Mes yeux sont devenus douloureux à force d'avoir versé trop de larmes. Quant à mes oreilles, ils ne cessent de bourdonner. La boule dans mon ventre se creuse infiniment. Et, je me sens vide. Je pense au coucher de soleil. Chanda...Agostina... Où êtes-vous? Maman... Où es-tu? J'évacue un sanglot alors que la femme qui m'accompagne me couvre sous son voile noir. Elle m'emmène quelque part. Un endroit que je ne connais pas.

Je veux ma maman.

- Reste ici, ne sors sous aucun prétexte. Pas avant que je ne revienne te chercher!

Grelottante, j'hoche la tête. Elle ferme la porte de la cabine en m'intimant de verrouiller à l'intérieur. J'obéis. Mon corps se laisse choir sur la cuvette. J'ai l'impression de vivre un cauchemar. Aux échos de la fusillade manifestement sempiternelle, mon cerveau me renvoie cette image en boucle— celle des hommes qui nagent dans leur sang. J'espère de tout cœur qu'ils s'en sortiront. Je l'espère.
Et si tout le monde mourrait ?
Un petit "non" se volatilise au moment où mes ongles s'enlisent dans mes cheveux.

À proximité, une porte s'ouvre. Le grondement troublant des armes déstabilise la quiétude ambiante. J'entends quelque chose tomber au sol. Pendant ce temps, ma respiration erratique m'épuise. J'essaie d'étouffer mes gémissements en scellant mes paumes à mes lèvres. Des sabots martèlent le carrelage blanc puis les pas s'atténuent. Un liquide rouge ne tarde pas à noyer le sol. C'est du sang. Il se propage dans ma cabine. Un hurlement s'engendre dans ma gorge puis s'y avorte. Mon angoisse s'amplifie. Elle me rend muette. Mais pas insensible. D'autant que mon visage est baigné dans des vagues de larmes qui embrasent mes joues puis tachent inévitablement mes vêtements.

- M—mam...man, je chuchote en bougeant nerveusement mes pieds.

« Je t'aime ma chérie. »

- Viens, s'il...s'il te plaît, je geins, entre deux hoquets. Viens...

Soudainement, une voix me consterne sur place. Je ne l'identifie pas.
- Sors de ta cachette, petite fée!

Mon cœur entonne un chant brutal dans ma cage thoracique. Mes nerfs y joignent plus vite que prévu leurs pulsations déchaînées.
- Je t'ai vue rentrer ici, siffle l'inconnu.

Ses pas s'annoncent retardés et feutrés. Je sue froidement.
- Dis moi, petite fée, t'aimes bien qu'on te prenne doucement ou avec violence?... Parce que moi... Ça m'excite les nanas torrides.

Les mots de l'homme sont trainants. Ils me filent la chaire de poule. Même si je ne les cerne pas exhaustivement, l'unique certitude que je détiens est qu'il n'est pas mon messie. Je presse davantage mes paumes contre ma bouche et tente du mieux que je peux d'amoindrir les répercussions trop bruyantes de ma respiration. La voix bourrue de l'inconnu se fait plus étroite, plus proche. J'observe ses chaussures teintées de rouge. Aucun signe. Aucun bruit. Aucun geste. Brusquement, je rencontre avec effroi deux yeux qui me fusillent par l'ouverture basse de la porte.
- Trouvée!

Un cri d'épouvante s'échappe de mes lèvres et je sens mon rythme cardiaque exploser. Mon souffle saccadé embaume l'espace. Je ne m'arrête pas d'hurler. Tous mes membres remuent violemment. Ils menacent de ployer. Je plaque mes mains sur mon cou, espérant empêcher l'activité suraiguë de mes cordes vocales.
- Ouvre-moi, petite fée! toque l'homme, balourd. J'ai très envie de me vider les couilles.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant