Au commencement

97 6 0
                                    


Vendredi 14 mai 2004

Italie, San Gimignano
Heure locale : 23h56min

Dans le Ranch des Castelli

Une petite fille aux joues roses est effrayée. Deux couettes trônent sur sa tête. Elle a sa peluche coincée entre les bras. Elle fixe une porte en bois qui ne tarde pas à céder dans un grincement horripilant. Pendant ce temps, il pleut encore des chiens et des chats. Le tonnerre gronde. La fuite du plafond laisse une ixième goutte d'eau plouffer dans le seau métallique suranné, flanqué au milieu de la chambre d'enfant, sans dessus-dessous. Une femme apparaît dans l'embrasure. C'est une rousse. Son visage crispé en dit long sur la gravité de la situation. Derrière elle, un homme aux cheveux bruns. Un autre homme déboule. Dans une soutane noire. L'Abbé Tommaso, le père exorciste. Son crucifix pend à son cou et menace de le lui arracher. Un grimoire saint est pressé contre son cœur. La petite fille ne comprend rien. Mais eux, ils le savent... presque.

Giada court vers sa mère qui, instantanément s'abaisse pour l'enlacer. Elle lui susurre que tout ira bien. La fille dit à sa mère qu'elle a peur. Elle lui demande si  la strega ( la sorcière ) reviendrait. Mme Castelli est muette. Elle parle avec ses larmes. Le curé ordonne: « stai lontano da lei! È tempo. » ( Éloignez-vous d'elle! Il est l'heure. )
Le hou-hou de l'horloge réveille le silence mort dans la pièce. Monsieur Castelli vient tirer son épouse, arrachant sa première-née à l'étreinte de sa mère. Madame Castelli éclate en sanglots. Tout se passera bien, la réconforte-t-il.

Le prêtre tient un seau-à-eau-bénîte. Il soulève le goupillon en laiton et l'abat sur la petite Giada. Des gouttes d'eau salées perlent sur son visage. Elle tremble. Et, comme cinq minutes avant, elle ne comprend toujours rien.

- In nómine Patris et Fílii et Spíritus Sancti.

Tous exécutent le signe de la croix puis prennent en chœur un prompt amen.

- Stai dietro di me! lance le prêtre au couple. (Restez derrière moi!)
Ils obéissent. Le curé réduit à néant la distance entre Giada et lui. Il lui pose son crucifix sur la tête. Le tonnerre aboie dangereusement. Il récite le credo.
- Credo in Deum, Patrem omnipotentem...

La lampe s'étouffe et clignote. Crainte étend son territoire. Le prêtre prie avec foi mais les parents de la petite fille sont terrifiés. Un cri strident bouleverse tout. Giada ne s'arrête pas de pleurer.
- ...qui conceptus est de Spiritu Sancto, natus ex Maria Virgine...

Père Tommaso finit sa prière et s'attaque à des incantations exorcistes.
- Rogo te, spiritus nequam, qui fallis genus humanum, agnosce Spiritum veritatis et gratiae;
Qui repellit insidias tuas Et confundit mendacium tuum; Relinque hoc corpus, non tuum, hoc templum, quod est Giada, a Deo creatum. signavit desuper sigillo.
Impero tibi, ut in nomine sancti archangelorum et principis celestis milicie, sancte michaelis.
Reducet te, unde existis, in abyssum inferni, et maledic tibi in perpetuum.
(Je te conjure,esprit du mal, toi
qui trompes le genre humain
Reconnais l'Esprit de la vérité et de la grâce,

Qui repousse tes embuscades
Et embrouille tes mensonges ;
Va-t'en de ce corps qui n'est pas tien, ce temple qu'est Giada, créée par Dieu . Il l'a marquée du sceau d'en haut ;

Je t'ordonne de ceder, au nom des saints archanges et du prince de la milice céleste, Saint Michel.
Qu'il te ramène d'où tu viens, dans les abysses des enfers et qu'il te maudisse à jamais...)

La terre se met à vibrer, tout comme les cœurs des chrétiens en conjuration déchaînée. Le Seigneur les aurait probablement sermonné tout comme Simon-Pierre.

« Homme de peu de foi. Pourquoi as-tu douté? »

À l'image de la peste, la peur affecte chacune de leurs cellules et les achève par turgescence. Leurs veines explosent d'adrénaline. Ils sont tétanisés.

Les portes s'ouvrent et se referment violemment. La petite Giada grogne telle une bête sauvage.
- Chéri! frissonne Mme Castelli, réticente à l'idée de s'approcher de sa fille.
- Non chérie, n'y va pas! la retient son mari.

Les yeux de la jeune maman sont mouillés d'eau de mer. Le prêtre récite toujours ses formules. Il est de marbre face à la situation qui lui est familière.
- Chi sei? (Qui es-tu?) demande-t-il.

La petite fille ricasse. Mais ce n'est plus elle. Sa voix s'est aggravée. Et ses pupilles ont perdu de leur éclat marron. Son regard est sombre tout comme le sang qui déferle de sa bouche.

Une fois de plus, elle rit. Plus intensément. Au point d'en briser les tympans à tous.
- Apri la porta! ordonne soudain le curé, haletant. (Ouvrez la porte!)

Monsieur Castelli s'exécute.
Giada craque son cou sur le côté gauche et sourit malicieusement à sa mère.
- Mamma! Approccio! lui adresse-t-elle, mine d'avoir retrouvé ses esprits. (Maman! Approche!)

Madame Castelli hésite.
- Giada, sei davvero tu? larmoie-t-elle en fléchissant au sol. (Giada, c'est vraiment toi?)

L'expression faciale de la relai change radicalement. Sourcils froncés, elle imite la voix de sa nounou. Celle qu'elle a affreusement buté quelques jours de cela. Pourtant, elle les avait prévenus. Nanny Beatrice avait parlé des comportements étranges de leur fille au couple Castelli. Malgré cela, rien n'y fit. Seul le spectacle du cruel massacre de leur employée les a ramenés à la raison. À partir de ce moment, leurs sens se sont activés et leur instinct de survie, dédoublé.
- Fuggire! Fuggire! Fuggire! Fuggire! Fuggire! se répète-t-elle en crescendos. (Fuyez! Fuyez! Fuyez! Fuyez! Fuyez!)
- Padre Tommaso! murmure Dina, la mère de Giada, apeurée.
- Basta, forza del male! Ti comando, nel nome potente di Cristo Redentore Gesù, di consegnarmi il tuo nome. (Assez, force du mal! Je t'ordonne, par le nom puissant du Christ rédempteur Jésus de me livrer ton nom).

L'enfant amorce un pas sous lequel ploie Dina et Georgio. L'abbé arrive toujours à tenir sur ses deux pieds. Le démon assène :
- Cur hanc parvam puellam vis eripere? (Pourquoi tu veux sauver cette petite fille?)
- Nomen tuum! fait fi l'abbé Tommaso des propos du possesseur. (Ton nom!)

Lui, il ne recule pas devant la menace. D'aplomb, il est d'une rigidité nonpareille. Il est d'ailleurs connu pour être l'exorciste le plus chevronné de la région.
- Vere scire vis? avance lentement le corps de Giada vers le prêtre, réduisant le peu d'écart qui s'était imposé entre eux. (Tu veux vraiment savoir?)

Tout à coup, plus de lumière. Les respirations saccadées des parents de la petite fille prennent en force et emportent la vague de silence qui s'est installée suite à la question du démon.
- Ita! réplique l'exorciste. (Oui!)
- Astaroth nomen est mihi, (Mon nom est Astaroth).
- Gaudeo tibi in occursum! sourit narquoisement le curé. (Ravi de te connaître!)
- Mea est omnis voluptas, exorcista! pipa le démon. (Tout le plaisir est à moi, l'exorciste!)

Puis, vide.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant