lii. Le dîner est servi.

15 3 0
                                    


Heure locale : 02h43

Venus

Je suis blottie contre son cœur. Il bat anormalement vite. Il me porte jusqu'au château. J'ai les mains et les pieds gelés. Et cette pluie ne fait que s'accentuer. Lorsque nous débarquons à l'intérieur, je sens une étrange chaleur m'enivrer. Et l'odeur de lavande réchauffe mes sinus réfrigérés.
- Oh jeune maître! Ma parole. Que vous est-il arrivé ? s'écrie Helga.
- Cinq domestiques dans la suite de la demoiselle. Tout de suite, dit-il fermement.
- Bien entendu, jeune maître! dispose la gouvernante.

Neres m'amène à l'étage, dans la chambre qui m'a été attribuée plus tôt. Elle est tellement immense que je me demande si ce n'est plutôt pas une maison. Délicatement, il me pose sur le lit, un regard neutre et transperçant en pointe. Mon corps réclame de la chaleur, des couvertures, n'importe quoi, mais de la chaleur. Et mon corps réclame amèrement ses bras chauds.
- Les servantes ne tarderont pas, émet-il, rigide et raid telle une statue de sang et de muscles.

J'acquiesce tout simplement puis le regarde sortir. Je suis...Pathétique. Exaspérante. Idiote. Inexpérimentée. Ingrate. Mentalement exténuée. Physiquement morte. Tourmentée par des idées noires et saugrenues. Effrayée. Grise. Inutile. Je ne sers absolument à rien. D'où peut-il donc m'aimer ? C'est si étrange. Et ces baisers...
J'effleure mes lèvres et me demande si après cela, autre chose se passera. Si oui, quoi? Je ne sais même pas si je l'aime. Je ne peux pas le savoir. Je ne veux même pas le savoir. Je ne suis qu'une victime de ce sentiment égoïste. On dit aimer la pluie, pourtant, on se couvre d'un parapluie lorsqu'il pleut. On dit aimer le vent, pourtant, quand il souffle trop fort, l'on a tendance à fermer les fenêtres. On dit aimer, pourtant, on ne sait pas ce qu'aimer signifie véritablement. Et, à la quête d'explications, beaucoup s'en vont, lâches et peureux puis se perdent. Alors, je ne dirai pas cela. Je n'accepterai jamais cela. Parce que nous finissons toujours par trahir ce que l'on aime. C'est si douloureux de l'admettre mais j'aurais adoré avoir ma mère à mes côtés, ici. Hélas, elle m'aimait elle aussi...

Une flopée de domestiques entre. Elles sont debout, les unes à côté des autres. L'une prend la parole :
- Nous devons vous préparer pour le dîner, mademoiselle.

Le dîner?

~~~

- Vous êtes resplendissante, mademoiselle.
- Absolument splendide.

J'examine ma tenue d'un vert profond ainsi que les petites tresses dont les servantes m'ont munie. Je les gratifie pour leur amabilité.
- Merci.

Subitement, la porte s'ouvre et la voix de Helga jaillit

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Subitement, la porte s'ouvre et la voix de Helga jaillit.
- Le jeune maître n'attend plus que la demoiselle. Dépêchez-vous!

Les jeunes femmes se hâtent d'ajuster les derniers détails de la robe. Elles me nantissent de joaillerie extrêmement lourds et étincelants. Le rendu est magnifique.

~~~

Le couloir est émaillé de part et d'autre d'hommes en smokings bleu nuit, coltinant des bouquets de fleurs blanches. Ils s'inclinent à tour de rôle, conjointement à mon déplacement. Je suis émerveillée de voir tant de belles choses, tant de contrastes, tant de charme. Pas à pas, je descends les escaliers. Neres se tient à l'autre bout, immobile dans son costume complet noir. Son regard suit le moindre de mes gestes jusqu'à ce que j'atteigne la toute dernière marche et là, il me présente sa paume. Une réticence m'enfièvre brièvement avant que je ne me remette à lui. Ma peau se cabre de frissons à son contact. Il dégage un aura surpuissant qui me maintient dans l'inaction. Et mes yeux ne veulent rien d'autre à part fixer les siens dans le silence. Je ressens un choc électrique quand il me complimente.
- Tu es ravissante.

Mes repères s'embrouillent et j'ignore quoi répondre. Me mentirait-il? Dans le labyrinthe tout à l'heure, il disait vouloir respecter mes désirs. Me mentir. Et si c'est toujours le cas, je ne compte que m'en fier à mon instinct. Pour toute réaction, je lui concède sa remarque d'un hochement de tête forcé. Ensuite, il me traîne avec lui jusqu'à une pièce très vaste. Des hommes et des instruments de musique y logent. Ses pupilles de braise m'invitent à lui accorder une danse. De même que son langage corporel. Le hic...
- Je ne sais pas danser, je confesse.
- Je t'apprendrai.
- Je risque de tomber.
- Je te rattraperai.

Je restitue une petite part de confiance envers lui. Inspiration. Expiration.
- D'accord!

Lorsqu'il jette un coup d'œil à l'orchestre, un classique emporte le calme dans l'enceinte et répand une nouvelle brise de sérénité. Sa main se colle à mon flanc qui, malgré la couche de guipure ressent encore la flamme qui émane de sa carcasse abrupte et cruellement masculine. Son autre main glisse dans mon dos. Il me convie à en faire autant.
- Sur mon épaule.

Je m'exécute. Ma respiration se coupe lorsque nous commençons à papillonner dans la salle. D'iris percutants à iris désorientés. D'âme timide à âme insensible. D'arrières pensées inconnues à conscience tumultueuse. Il se décolle de moi.
- Tes doigts, ma Venus!

Je les lui tend. Il s'écarte de quelques pieds en arrière, m'augurant de le suivre. Le temps d'une seconde, nous nous tirons telles des cordes sous tension qui cherchent à se disjoindre.
- Maintenant, tourne gracieusement autour de moi, ma Venus.

Chaque mot qu'il me cite devient réalité d'une manière fantastique. J'ai l'impression d'être dans une autre dimension. Je bouge. Je flotte. Je me libère avec tellement de flexibilité.
Légère comme une plume, je reviens à lui. Il me fait virevolter. Sa main se dresse en parallèle à sa posture. Je la côtoie de la mienne. Encore, nous tournons, répétant le même procédé.
La cadence de la musique se mue. Et cette fois-ci, je suis dos à lui. Bras tendus. Enchantée. Fascinée. À deux, nous roulions des tours et détours inimaginables, essoufflants quand bien même impressionnants. C'est la première fois que j'ai la réelle sensation de vivre. Hors d'un monde qui n'est sans doute pas le mien. Tout compte fait, je suis comblée. Ma joie et ma reconnaissance sont grandioses.
Les dernières notes retentissent et nous ralentissons. À contrecœur, je subis la fin d'un moment épique. J'aurais aimé que ça dure un peu plus longtemps. Probablement, une éternité...

Spontanément, Neres se lie à une révérence. Je l'imite.
- Tu étais parfaite.
- Merci, je souris sans trop d'effort.

Nous sortons de la pièce suite à ces mots. Nous traversons un grand salon où une voiture rouge s'implante dans le décor. Je me demande bien comment elle s'est retrouvée là.
- C'était la voiture de course favorite de mon grand-père. Une 250 GTO. Il en faisait de grands éloges.

Sans même avoir demandé, il m'a répondue. Lirait-il dans mes pensées?
- Pourquoi la mettre ici précisément ?
- Il adorait tout juste l'exhiber.

Je vois. Son grand-père devait beaucoup aimer les automobiles.
Arrivés devant une majestueuse porte, deux valets l'ouvrent largement. Nous nous engouffrons dans la salle à manger, énorme et digne d'un palace. Chose bizarre, il n'y a aucun met. Que des couverts à blanc et du vin. Neres me tire une chaise à proximité de la sienne. Puis, il frappe dans ses mains. Trois personnes déboulent, l'un, défiguré et sanglant, maintenu par les deux autres. Je peine à le reconnaître. C'est le père de Neres. Clementino.
- Enfin. Le dîner est servi.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant