xv. L'île du danger

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Vieux port de Santorin, Grèce
Heure locale : 20h04

Neres

- Je n'ai toujours pas compris pourquoi toutes nos réunions doivent se faire sur mon trawler, râle Maxim.
- Ferme-la Strachan! je maugrée en jetant mon mégot par dessus bord.
- Il faut croire que t'es le plus chanceux d'entre nous, La gonzesse, glousse Goran en posant ses pieds sur la table.
- Dégage tes gros sabots de merde, se plaint Shelagh, aussi irritable que mon oncle depuis que j'ai éclaté sa caméra sur le quai.
- T'as d'la chance de vivre en mer Max', l'adule Gail, comme si c'était la première fois qu'elle abritait ce putain de bateau.
- Tu parles. À ma place, tu te réjouirais pas bébé Gail. Je nettoie des fiantes de mouettes chaque jour et je suis même pas rémunéré.

La blonde pouffe. Goran l'accompagne. Qu'ils sont cons!
- Gunther, tu n'dis rien? je l'active.
- Mec, j'ai dégoté une sale engine, me répond-t-il en ingurgitant son verre de whisky.

Le vent soulève ses cheveux et les ramène devant ses yeux. Strachan vient s'immiscer entre les sœurs Morris. Ce qui lui vaut toutes sortes d'injures.
- On se calme mes poupées. Vous êtes dans ma maison et vous ne faites pas comme chez vous, assure-t-il en étendant ses bras dans les dos respectifs des jumelles.
- Pitié Neres dis nous c'que t'as à nous dire qu'on s'barre d'ici, s'agace Shelagh.
- D'ailleurs, j'ai jamais compris pourquoi on n'a pas de QG, ajoute Goran.
- Tu l'sauras quand t'auras des poils sur les couilles, me devance Cox.

J'acquiesce un petit sourire facétieux et regarde Pitt fulminer contre Cox.
- Tu ferais mieux de ravaler tes mots, gamin, l'attrape-t-il par le col.

Gunther se moque en le dévisageant. Je juge bon qu'il est tant de ramener ces connards à l'ordre.
- Dis Strachan, n'y aurait-il pas par hasard une hache sur ton bateau? Parce que j'ai sacrément envie d'abattre deux gros cons.

Leurs regards virent sur moi et Goran finit par lâcher la chemise de Cox. Gail feint une toux et Strachan balaie du regard tous les visages.
- Quoi? il demande, perdu.
- Rien, je souffle. Commençons par une activité simple histoire de voir qui doit retourner à la crèche parmi vous.
- On va faire du coloriage? m'interroge Strachan.
- C'est ce que j'en déduis de ta conclusion. Merci grand génie, j'émets sarcastiquement en me pinçant l'arrête du nez.
- On va vraiment faire du coloriage mec? se scandalise Cox.
- Bien sûr que non, gros bêtard, peste Shelagh.
- Bon, silence. Laissez le chef parler, s'impatiente Goran.

Je m'éclaircis la voix puis prends la parole.
- On va procéder à l'exercice de l'île du danger.
- J'ai entendu parler de l'exercice de l'île déserte mais jamais de ça, s'offusque Gail.
- Moi non plus, c'est étrange, la rejoint sa sœur.
- Vous la fermez les femelles Morris, lâche Cox.
- Un peu misogyne, le gamin? fait Goran.
- Il n'y a pas qu'elles qui m'irritent, si tu vois bien de quoi je parle, le toise-t-il.
- Tu ferais mieux de te taire, le remballe le chauve.
- Vous faites fuir les sirènes les mecs, s'incruste Strachan, complètement à l'ouest.
- Il y en a pas un pour rattraper l'autre, s'exaspère Gail.
- C'est pas possible, se lève Shelagh, prête à quitter l'espace réunion. Allez, vous m'faites chier!
- Exercice terminé! j'annonce fermement.

Ils se taisent tous, stoïques.
- Vous venez de me prouver que vous êtes incapables de coopérer et de vous entendre. Déjà que vous vous insupportez, je ne crois pas que vous ayez la carrure pour m'accompagner dans cette aventure périlleuse. Vous y laisserez vos vies au premier coup de feu.
- Me dis pas que t'es sérieux ?
- Il n'y a que lui pour paraître crédible même en situation critique Max', souffle Gunther. Il est très sérieux.
- Je voudrais avant tout vous féliciter pour vos différentes tâches accomplies avec succès. Même si vous n'êtes pas tous au complet.
- Ouhhh! Ça s'applaudit ça, pas vrai? s'écrie Strachan tout excité, en acclamant.
- J'imagine que les rumeurs selon lesquelles les lignes fantômes vont être réanimées font énormément de bruit et que vous n'y êtes pas restés indifférents.
- Ouais, prend Gail en croisant les bras.
- Eh bien, je poursuis. Ce n'est qu'un traître détail du projet. Le Mercato, c'est comme ça que ça s'appelle. Sortez vos carnets et vos stylos.
- Ahh, donc c'était ça les emojis dans le groupe hier, s'étonne Goran.
- Bah oui. Si vous l'avez pas encore compris, notre recruteur ne sait que communiquer avec ça, se fout ouvertement Gail de ma gueule.
- Ouais c'est ça, la naine, j'avance sur un ton acrimonieux.
- Prête! s'enthousiasme soudain Shelagh, un stylo logé entre ses doigts.
- À l'école, j'étais plutôt bon à mémoriser tout ce que j'entendais. Donc, pas besoin de ça, se défend Goran.
- Moi j'étais plutôt école buissonnière mais j'ai toujours été le meilleur de ma classe, se vante Gunther.
- Et toi Strachan? je me tourne vers lui.
- Mec, j'ai été traumatisé par l'école. Surtout par ma mère. Dès que je vois des feuilles de papier, ça me file la chaire de poule.

Tout le monde explose de rire et je me mords l'intérieur des joues pour ne pas les rejoindre.
- Courage! je le réconforte brièvement. Maintenant, alinea. Astérix, stylo de couleur. Comment ne pas se dégonfler pendant une période cruciale. Deux points à la ligne.
- Woah woah woah woah, mec, tu vas trop vite. Même pour un mec qui garde tout en tête comme moi, m'interrompt Goran.
- Imite alors les sœurs Morris, Pitt, j'assène entre les dents.
- Mec, mec, comment ne pas quoi tu disais? s'emballe Strachan, les yeux rivés sur l'écran de son téléphone.
- Comment ne pas se dégonfler pendant une période cruciale, lit Shelagh.

Merci Morris!

- Ok. C'est bon!

Et c'est parti pour de longues minutes autant saignantes que douloureuses pour mes oreilles... À quoi m'attendais-je en réalité?

~~~

En ce temps...

Perché à faible hauteur sur l'une des falaises, le guetteur observe le yoat flotter sur la grande Egée. Il capture des images avec son appareil photo. En même temps, il alterne entre ses jumelles noires et les objectifs précis de son hybride dernier cri. Trop absorbé par ses observations, il n'entend pas s'approcher l'homme. Celui-ci dégage les jumelles en un coup de pied, telle une balle de football. Et, elles chutent à des mètres dans le vide. Le photographe hoquette de surprise lorsque son regard se pose sur lui. L'homme grogne et fait trembler sa proie en sueur. Visiblement, le guetteur est tout sauf armé.
- Quel beau ciel en perspective, n'est-ce pas? prend la voix grave de l'homme.
- O...oui...oui, recule le photographe, jonché sur le sol vertigineux.
- Fais moi voir tes photos.
- M–m–mes photos?
- Tu veux que je me répète?

Il secoue la tête et tend l'appareil photo à l'individu aussi intimidant qu'un golem.
- Quel talent! On voit pile poil la tête de Zeus, jette-t-il l'appareil au sol avant de l'écrabouiller de son pied de géant.

Le photographe est terrifié. Ses yeux sont grand écarquillés et étudient tous les gestes de son bourreau. Ce dernier l'attrape violemment et écrase son poing dans son estomac. Il geint de douleur. Pourtant, l'homme continue sa besogne. Il est indifférent aux supplications de son souffre-douleur. Deuxième frappe. Troisième. Ixième. Bientôt, le sang afflue de sa bouche.
- Pi...pitié, agonise le photographe. Je n'y... (tousse des caillots de sang)... j'y suis pour rien, parvient-il à balbutier.
- Qui t'envoie?
- D...D...j...je..peux pas...
- Je vois.

Sans rien ajouter, il lui craque le cou et l'achève définitivement. L'homme balance ensuite son corps dans la mer.
Sa clope calée entre les lèvres, il en grille l'extrémité avant de pomper consécutivement la nicotine qui imprègne commodément ses poumons. Il finit par éteindre son mégot sur le sol, tachant de récupérer la carte SD de l'hybride. Puis, il s'en va, abandonnant derrière lui les echos d'une vie anéantie.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant