lxxxv. Retour à la maison

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San Gimignano, Italie

Venus

Le trajet paraît durer une éternité. Serait-ce parce que je suis impatiente? Possible.

Sans le vouloir, mes doigts se triturent et je n'arrive pas à me concentrer sur une seule idée à la fois. En observant le paysage défiler autour de moi, je pense à toutes ces questions auxquelles je suis prête à obtenir des réponses. Je me demande si ma mère sera heureuse de me revoir, si elle m'a cherchée pendant tout ce temps, si j'ai occupé son esprit comme elle occupe constamment le mien.

« Je t'aime, ma chérie. »
Je soupire une énième fois à ce souvenir qui ressurgit inévitablement dans ma mémoire. Était-elle sincère? Reste à savoir. Quoique, l'on peut aimer de différentes manières, je tente de me convaincre dans mon for intérieur. Peut-être que finalement, je suis dans le déni. Mais, qui d'autre qu'elle pourra m'éclairer sur la situation? Ça a dû être bien difficile pour elle de vivre toute seule, tout ce temps, sans moi, son unique famille.

Un frisson se répand dans mon corps à la seconde où je sens la main de Geagte se poser sur ma cuisse. Immédiatement, mon attention se cale sur lui, au volant de sa berline.

- Si tu y réfléchis trop, je risque de te tuer avant qu'on arrive.

Irrépressiblement, un sourire narquois étire mes lèvres puis, je pose ma main sur la sienne afin de la retirer.

- Manifestement, tu montes sur tes grands chevaux, rit-il doucement.
- C'est toi qui m'a tout apprise, je le nargue, oubliant presque que nous nous rendons à la propriété où j'ai passé le plus clair de mon existence, enfermée.

Soudain, une question me tombe dessus à l'image d'une douche froide en plein hiver. Ma peau se hérisse au simple fait d'imaginer la réponse de Neres.

- Dis-moi...
- Je t'écoute, ma Venus!

J'inspire suffisamment d'air pour me gonfler de courage. Parce que cette fameuse interrogation en requiert. Et pas qu'un peu.

- Si...si ce soir, je n'étais jamais venue dans la maison de Don Clementino, si je...si mon regard terrifié n'avait jamais croisé le tien dans ce salon, et...je veux dire, nous serions-nous quand même rencontrés?

Un blanc insoutenable s'installe dans l'habitacle tandis que le moteur du véhicule bourdonne dans mes oreilles. Il accélère. Je ne comprends pas pourquoi. Tout à coup, l'écran au milieu de la console centrale se mue, engageant une brève sonnerie. Neres décroche rapidement.

- J'ai le produit, proclame une voix caverneuse à l'autre bout du fil.
- Parfait! réplique Neres avant de raccrocher.

Cette voix m'est quelque peu familière. Vaguement, j'y associe un visage donné, anguleux, une carrure appropriée, titanesque. La voiture continue de prendre en vitesse alors que mon cœur se resserre dans ma poitrine. Je me demande si nous sommes encore loin; si Geagte va me laisser en suspens encore longtemps.

- Si deux êtres sont prédestinés, forcément, le destin les réunit, débute-t-il à l'improviste, ses doigts étranglant le volant en cuir. Personnellement, je n'ai jamais cru au hasard...si bien que si ce soir, je ne t'avais pas rencontrée, une autre circonstance m'y aurait acculé. Un songe peut-être, la légende qui se raconte à ton propos ici, peu importe. Je t'aurais trouvée. Je t'aurais drainée de la misère vers mon petit enfer personnel. Je t'en aurais fait ma reine. Et...

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant