lxxviii. Capri-Sun

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Mois de mai

Capri, Italie
Heure locale : 07h11

Neres

L'odeur de l'accablement et de l'excès forme un nuage sombre autour de nous. J'amorce un coup de bastone en tournant habilement mon bras. Les sueurs chaudes qui dégoulinent sur ma peau me donnent l'impression d'être immersif, plongé dans un espace inter dimensionnel où je suis le seul humain en proie à des tentacules — si on peut appeler toutes autres choses ressemblant à des mains sauf qu'elles en sont loin — qui me pelotent de toutes parts. Malgré que mes cheveux soient attachés, quelques mèches se détachent quand même sur mon visage. Elles me collent affreusement à la peau. Je pousse un grognement en esquivant l'attaque de Dante. Je dois avouer qu'il s'est amélioré depuis notre dernier entraînement.

Lui et moi pratiquons depuis notre jeune âge le liu-bo. C'est un sport ancestral, typiquement originaire de Sicile. À neuf ans, nous savions à peine tenir ces bâtons, de la même façon que cet art martial n'est qu'une histoire de fluidité et de discipline. Et justement, c'étaient ce qui nous manquaient à mon cousin et moi.

Nous avions plutôt tout autre goût en matière de divertissement. Un peu comme castrer les animaux au refuge de tante Missy, la sœur d'Antonella, la mère de Dante. C'est une grande vétérinaire. Elle possède plusieurs centres animaliers à travers le monde entier mais la majorité s'agglutine sur l'ensemble du territoire italien.

À l'époque, Dante et moi feignions l'amour des bêtes poilues. Comme quoi, elles étaient les meilleures amies de l'Homme, donc logiquement, les nôtres. Et puis, vu que nous avions un cercle d'ami assez restreint en raison des règles de notre famille, cela nous arrangeait de jouer à cette comédie. Lorsque tante Missy avait le dos tourné ou la bénévole permanente, Mme Leone, une vieille peau qui n'avait pas toujours les yeux ouverts, nous nous faufilions dans le bureau et dénichions les trousseaux de clés dans le seul but d'ouvrir les cages et de couper au petit ciseau le pénis des pauvres bêtes. C'était jouissif, je dois l'avouer. Hélas, toute bonne chose a une fin. Un beau jour, nous avons été pris la main dans le sac. Nos parents en ont été informé. La sentence avait été lancée et l'épée de Damoclès avait tranché. Ils savaient à quel point nous détestions les sports, qui plus encore d'armes. Un an plus tôt, nous avions été inscrits à des cours d'escrime mais ce n'était qu'un coup d'épée dans l'eau — belle nuance, ceci dit. Alors, le chantage était soit nous commencions à suivre des cours de liu-bo pour occuper notre temps ailleurs qu'en stérilisant des animaux, soit nous ne nous reverrions plus jamais. Je rappelle que nous avions neuf ans. Nous étions trop cons et attachés l'un à l'autre. Inutile de vous raconter la suite.

- Tu te surpasses, princesse! taquine Dante.

Un muscle pulse sur ma tempe et ma mâchoire se contracte violemment. De base, je n'ai continué à pratiquer le liu-bo au fil des ans que pour canaliser mes chakras, la plupart du temps obscurs et féroces. Je n'ai que très peu eu l'occasion de m'exercer depuis le début du Mercato. En même temps, j'avais énormément de choses à gérer. Mais aussi improbable que cela sonne dans mon propre cerveau, j'en ai rudement eu besoin tout ce putain de temps pour ressasser mes choix de vie — atroces, faire le tri entre les bonnes et mauvaises ondes qui m'entourent et savoir quelle satanée abeille m'a piqué pour que l'image de ma Venus me procure autant de rage et de plaisir à la fois. Ça me met à vif.

Je reconnais que c'est dans ces moments que je m'autorise à libérer la colère que je garde soigneusement cachée dans tous les autres domaines de ma vie. Là, je réalise que le liu-bo n'est plus un art martial pour moi. Il est devenu ma carthasis, mon sanctuaire.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant