xxvi. Un boucher en liberté

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- Et voilà mon histoire! termine Gunther, faussement abattu.

[...]

Sur le parking, les membres du club d'AA se passent le bonsoir, se souhaitant vivement de prochaines retrouvailles.
- Au revoir, Barbe à papa! salue Ourson avant de détaler.
- Bye! mime Nolan.

Les voitures qui vivaient autrefois sur le parking s'envolent, ne laissant derrière elles que des traces de pneus. Gunther roule lentement dans sa Mini Cooper rouge. Un joint perché sur le coin de sa bouche, il klaxonne à Nolan en ralentissant.
- Tu montes? lui propose-t-il.
- Euh, c'est gentil mais je vais y aller à pieds.
- J'fais pas d'la charité tous les jours, expire Cox une grosse bouffée de fumée.

Son cigare est emprisonné entre ses doigts. Il poursuit :
- Alors, tu viens?

L'air réticent, Nolan finit par céder à sa proposition. La voiture quitte définitivement le parking.
- Tout à l'heure, commence Gunther. Ton histoire. Ça m'a laissé sans voix.
- Ah oui? Enfin, vous l'pensez vraiment?
- Tutoies moi par pitié, crache Gunther en empruntant un virage.
- D'accord.
- T'habites où?
- Euh...en fait... tu peux me déposer ici?
- Tu délires mec? C'est une salle de gym, rigole Gunther.
- En fait, bafouille Nolan, j'habite pas loin.
- Ça ne me dérange pas de te déposer pile-poil devant chez toi. À ta place, j'aurais direct accepté mon offre.

Un blanc froissant s'installe soudain dans l'habitacle. Gunther jette par temps des regards furtifs à Nolan.

- J'habite dans un parc. Je sais. Je suis désespérant. J'ai personne. Même pas un pauvre chien. Ce t-shirt je l'ai sur moi depuis deux s'maines et lorsque je passe devant les vitrines de magasin, je n'ose pas affronter mon propre reflet. Je suis décevant. Je ne me mérite pas. Je ne mérite même pas ta charité.

Il soupire en se passant les mains dans les cheveux, sa conscience enfin soulagée.
- Une clope ? lui tend Gunther.

~~~

Sur la rive du lac Michigan

Du monoxyde de carbone qui plane dans l'atmosphère. Deux cigarillos qui consument et qui ravivent des espoirs morts dans les âmes. Deux hommes adossés à la carrosserie d'une décapotable. Deux rires francs qui voltigent au rythme du doux vent qui berce la ville éclairée de milles feux. La circulation est toujours active derrière. Les voitures n'ont pas le temps de s'arrêter. Tout comme Gunther qui est prêt à tout mettre en œuvre pour recruter Nolan.
- Tu sais, moi aussi j'ai perdu mes parents quand j'étais jeune, avoue Cox.

Ses yeux sont rivés sur la lune. Il la contemple en crachant de la fumée.
- Je suis désolé, s'attendrit Nolan.
- C'est rien. À force de grandir, j'ai même fini par oublier leurs visages.

Il aspire sa clope puis rejette le gaz qui en résulte.
- Pourquoi un mec comme toi traite avec un mec comme moi?
- Un mec comme moi? s'esclaffe Gunther.
- Je ne suis peut-être pas Megamind mais je sais lire les gens.
- T'as fait des études de psychologie?
- Oui. Mais j'ai arrêté après avoir décroché mon bachelor. Et toi, j'imagine que tu es un hors-la-loi. Crois pas que je ne m'en suis pas rendu compte, jette-t-il son mégot par terre avant de l'écraser.
- À ma connaissance, aucune affiche de recherche ne circule avec ma tronche de mannequin flanquée dessus. Ou n'ai-je pas raison, le psy?
- En psychologie, ce que tu viens de faire s'appelle inversion de la charge.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant