l. "Tu es le poison de ma guérison."

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Labyrinthe Des Flâneurs

Syracuse, Italie
Heure locale : 01h27

Neres

Je ne compte plus le nombre de cigarettes que j'ai fumé. Six? Dix peut-être? Qu'en sais-je? Tout ce dont je suis persuadé, c'est qu'il ne m'en reste plus assez. Je prie pour que ma Venus se réveille vite pour m'éviter de terminer mon paquet. Elle ne devrait sans doute pas tarder. J'écrabouille mon mégot sur la pointe de ma botte puis j'allume une autre clope. La fumée toxique me gonfle les poumons et je me sens si vivant.

Des chênes s'entrechoquent au contact du sol. Le son se prolonge et en devient quasiment infernal. Elle doit sûrement reprendre conscience. J'enclenche rapidement la conversation.

- Ça va de l'autre côté ?

Je n'ai droit qu'à des geignements en guise de réponse.
- Ma Venus ?
- Où...où suis-je?
- Dans ton pire cauchemar, ma Venus.
- Pourquoi...pourquoi tu m'as emmenée ici? Où es-tu ?

Le frisson dans sa voix se déverse dans mes oreilles qui ne peuvent le traduire que de la sorte : chasse-moi!
Un sourire narquois s'immisce dans le coin de mes lèvres alors que mon amusement se fait de plus en plus ressentir dans mon timbre.
- Je m'ennuyais. Du coup, j'ai voulu qu'on joue à un petit jeu toi et moi.
- Qu'est-ce que tu... C'est quoi ces chaînes...ces boules à mes pieds... où es-tu?

Par le biais de la petite ouverture dans le muret de buisson, je l'épie. Les boulets de forçat à ses pieds braillent péniblement à chacun de ses mouvements désorientés et frénétiques. Sa tachycardie est irrécusable, bien qu'à des mètres.
- Tu ne m'as pas l'air très joueuse, ma Venus.
- Sors-moi d'ici.
- Tu me donnes des ordres maintenant, hein ma Venus?

L'inflexion de ma voix sur les deux derniers mots semble la réduire à un vulgaire objet. En même temps, elle n'en est pas loin, flanquée là à attendre que je vienne la sauver.
- Je te vois. Je t'entends. Je te sens. Mais tu ne pourras pas me repérer. Tu sais pourquoi?

Aucune réaction.

- Parce que tu as peur. Et j'aime quand je te fais vriller d'épouvante.

Sa respiration devient très bruyante. Sans succès, ses yeux me cherchent et ne me trouvent pas. Je l'observe tourner en rond, boiteuse et alourdie par les chaînes qu'elle se trimballe.
- N...ne...Neres. Aide-moi! Sors-moi d'ici. S'il te plaît.

Impossible que je retienne le rire endiablé qui tord mes cordes vocales. Ma tête remue sourdement puis je virevolte, ma cigarette brûlant toujours entre mes doigts. J'en tire une taffe avant de me récrier.
- Tu me demandes l'impossible, ma Venus.
- I...il...fait noir. Je ne veux pas rester ici. Neres...où est-ce que tu es ? J'ai peur. S'il te plaît...viens...Neres.
- Tu as vraiment peur, ma Venus? Vraiment? je glousse, mes membres frémissant tels des ondulations à la surface d'une rivière. Pourtant, je ne t'ai jamais demandé de t'intrure dans ma tête. Je ne t'ai jamais demandé d'exciter mon cœur, je ne t'ai jamais demandé de m'enchaîner dans mon propre esprit. Et tout ça, tu ne t'en es pas rendue compte, ma Venus. Comme tu peux être naïve et bordel de parfaite.

Mes maxillaires se contractent. Une montée d'adrénaline surcharge mes vaisseaux sanguins et même mon joint ne m'apaise pas à ce moment précis.
- Non! crie-t-elle. Je n'ai pas peur d'être ici...non. Enfin...j...je pense. C'est toi...toi, uniquement toi qui me fait peur.
- Tu ne comprends donc rien, ma Venus? je tonne coléreusement. PUTAIN, TU NE VOIS PAS QUE DANS MA TÊTE C'EST UNE VÉRITABLE CONFUSION ? TU RENDS MES PENSÉES INVIVABLES. C'EST SI COMPLIQUÉ D'AIMER...MAIS C'EST SI ACCABLANT DE T'AIMER, SI JOUISSIF ET MALSAIN DE NE VOULOIR QUE TOI, MA VENUS.

Je déglutis et ma salive a un goût amer, une saveur de bile et de frustration. Un méli-mélo d'émotions inexpliquées m'inonde. Je suis entrain de nager dans un océan de chaos, dans l'incapacité de retenir mes ressentis tant refoulés et niés.
- T'aimer...t'aimer, ma Venus, c'est comme être pris dans un labyrinthe sombre et tortueux. Chaque couloir me conduit plus profondément dans les abysses de mon âme. Chaque mur semble prendre vie et m'aligner mes démons qui m'oppressent, me traquent, me torturent, m'étranglent. Chaque intersection, ma Venus, devient un choix difficile entre la folie et l'extase. C'est une errance désespérée. Non. ( tire une latte et se confond dans un rictus ) Plutôt une descente vertigineuse dans les enfers où je ne peux me soustraire à l'emprise de ton regard, de ta chaleur, de ton odeur. Mes désirs. Même mes tourments dansent autour de toi mais n'arrivent pas à t'atteindre. C'est une obsession dévorante qui me consume, me déchire et me reconstruit dans une forme que je ne me connais pas. Tu dévoile le bon en moi. Encore plus le pire. Car, à partir du moment où j'ai posé les yeux sur toi, tu m'as appartenu et j'ai arrêté de penser pour moi pour ne penser qu'à toi, chaque jour, chaque nuit. ( Pause ) Et, quand dans ce labyrinthe cauchemardesque je crois avoir enfin trouvé une issue, je réalise que ce n'est qu'une illusion. Encore et davantage, je me retrouve captif de mon esprit détraqué dont la muse de tous ses fantasmes est toi.

Un silence glacial poursuit la résonance de mes propos désormais lointains. L'odeur d'une prochaine pluie pollue l'atmosphère et la vie me parait soudain irréelle. Je jette ma clope, excédé par la situation. Lorsque je me passe les mains sur le visage, je réalise que je n'ai jamais été aussi effrayé de toute ma vie.
- T—tu m...m'aimes ?
- Tu me tourmentes, j'aboie incontrôlablement. Et je ne peux pas m'empêcher de te respirer. Je suis obnubilé par toi. Toi. Toi, ma Venus. Je t'ai dans la peau. Et je n'ai jamais connu un tel sentiment auparavant, qui me tenaille à tout instant et qui me décontenance à chaque fois que je suis près de toi. Je te désire de toute ma misérable et abominable personne. Tu es le poison de ma guérison.

Une fois de plus, je carbonise de cette sensation nocive qui anesthésie tout mon corps en épargnant mon cœur. Je perçois ses battements crus et irréguliers. Ils me tapent sur le système.

- Neres...
- Souviens-toi, ma Venus. Je t'avais promis de te traiter de la même manière dont tu me fais me sentir. Alors, je le ferai. Je t'oppresserai. Je te traquerai. Je te torturerai. Je t'asphyxierai. À ta place, je me bougerais le cul pour retrouver la sortie. Je suis proche. Très proche.
- Je ne te vois pas. Où es-tu?
- Le but n'est pas de me voir, ma Venus. L'objectif est plutôt de tenter de t'échapper. De m'échapper pour être franc. Enfin, si tu y arrives.

J'avance d'un pas.

- D'où tu es, tu as la possibilité d'emprunter trois chemins. Un seul débouche sur une allée. Moi par contre, je suis dans l'embarras du choix. Tu a le droit de courir, sauter, voler. Ce sera comme tu veux. Moi, je me contenterai de marcher. Gare à toi si je t'attrape, ma petite agnelle. Le loup n'hésitera pas à te broyer à pleins crocs.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant