liv. Perdu en elle

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Syracuse, Italie
Heure locale : 11h03

Venus

[...]
Cinq cent quatre-vingt-dix-sept moutons. Cinq cent quatre-vingt-dix-huit moutons. Cinq cent quatre-vingt-dix-neuf moutons. Six cents moutons. Six cent un moutons. Six cent deux moutons. Six cent trois moutons...

Je compte inlassablement les moutons sans que Morphée n'intervienne. M'aurait-il oubliée? J'en doute fortement, Ou le fait que mon attention soit depuis un long moment porté sur le mur couvert de papier peint bleu-gris le troublerait? Je crois pourtant que la seule déstabilisée ici, c'est moi. Raide depuis des heures, les yeux brûlants de fatigue, j'y pense itérativement. Je tente de me persuader que ce n'était qu'un cauchemar. Un affreux cauchemar. À force, je n'y parviens plus. Des clichés voyagent dans mon esprit. Ils sont exécrables. Je ne peux pas me contenir. Je ne peux pas retenir mes sanglots. Je ne peux pas me refuser ce tourment. Je ne peux tout simplement pas.

La porte s'ouvre. Je mitraille toujours le mur face au lit à baldaquin. Un millier de pas s'emmêlent puis s'étanchent tout près.
- Bonjour mademoiselle!
- Nous devons vous préparer pour la randonnée équestre.
- Sur ordre de monsieur.

Je n'ai pas la force de leur répondre. Considérant mon silence tel un consentement (car justement, qui ne dit rien consent), les domestiques me sortent du lit. J'arrive à peine à tenir sur mes jambes, ramollies par le peu de conscience que je tiens et qui s'amenuise à tire-d'aile. J'ai deux options : jouer un rôle ou défaillir ma santé mentale— ce qu'il m'en reste.

Quand les femmes de chambre s'apprêtent à m'enlever mon vêtement, je leur fais signe de suffisance. Elles se stagnent.
- Je vais le faire, j'exprime à mi-voix.

Petit à petit, je déficelle la robe souple et crème qui me drape de sa tendre soie. Elle roule sur mes épaules, mes hanches puis tombent sur la moquette. Il est temps d'affronter la réalité.
- Ça y est!

~~~

Combinaison noire. Ceinture concho. Bottes d'équitation . Queue de cheval. Eau de toilette à je ne sais quoi. Bref, voilà tout ce qui me décrit dans les impasses du temps me conduisant vers le démon qui m'attend en bas des escaliers. Il me faut une grande assurance quitte à m'écrouler devant lui ou m'enfuir aussi loin que je peux. Ce serait bien fâcheux de me retrouver dans une telle situation. Et mon envie de lui montrer qu'il n'a aucune influence sur moi s'aiguise de plus en plus. Nonobstant que ce soit tout l'inverse. Sa présence est dérangeante et suffocante.

Je l'étudie de la tête au pieds. Il n'a pas l'air d'être perturbé par les derniers événements. Au contraire, il s'avère que cette tragédie a délibérément poussé son sens de la mode dans les précipices d'un style qui ne lui est nullement commun : une chemise d'aristocrate (J'ai appris le mot grâce à Chanda. Elle est passionnée de ce qui a lien à la noblesse et aux royaumes. Techniquement, c'est pour cela qu'on passait toutes nos journées à regarder des Disney ou des films comme Affaire royale ou La folie du roi George.), un pantalon de costume, des bottes et la cerise sur le gâteau, il a attaché ses cheveux en une demi chignon. Je le décrirais probablement en des termes insipides. Odieux. Méprisable. Diablement majestueux à l'image d'un séquoia. Il faut bien croire que le premier pas vers la guérison m'incombe d'affronter mes problèmes, le tout réuni en un seul individu : Neres Di Salvo.
- Tu as passé une agréable nuit?
- Le matelas était inconfortable, je rétorque face à son effronterie.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant