li. Sors de ta cachette, ma petite agnelle!

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Labyrinthe des Flâneurs

Neres

- Ma petite agnelle?

Je traîne les pas, savourant copieusement le moment.
- Tu ne m'échapperas pas.

J'entends le bruit de ses chaînes. Automatiquement, je colle mon oreille au muret de buisson à ma gauche. Rien. Du côté opposé, je flaire sa présence.
- Nous sommes damnés, ma petite agnelle. Il ne sert absolument à rien d'essayer de me fuir.

Une once de sarcasme s'infiltre dans ma voix. Ce qui entraîne sa prise de parole.
- Tu...tu es un fou. Laisse-moi!
- Oui! Fou de toi, ma Venus. Et ce n'est que le début, je rebrousse chemin.

Elle s'éloigne. Le crépitement de ses boulets s'amoindrit dans la végétation touffue. Une goutte de pluie s'aplatît sur mon front. Le sol commence à se tacher d'une panoplie de minces gouttelettes. De plus belle, je reprends :
- Sors de ta cachette, ma petite agnelle.

À nouveau, elle s'enfuit. Un sourire endiablé se dessine sur mon visage. C'était plutôt une bonne idée les chaînes. J'avance au fur et à mesure que la pluie prend en force.

- Où que tu sois, ma petite agnelle, le loup te retrouveras.

Mes bottes claquettent sur le béton et me mènent dans l'allée X, celle que je n'ai que trop connue dans mon enfance. L'impasse de la punition. J'avais énormément l'habitude de me disputer avec mon frère pour un rien quand j'étais petit. On pouvait même en déboucher aux poings pour une simple saucisse. Bien sûr, j'étais le plus désavantagé avec mon gabarit d'épouvantail et ma sensibilité compréhensible pour mon âge. Et je remercie le moi du passé de s'être autant embrouillé avec Marc-Levy. Sans quoi, je n'aurais jamais maitrisé sur le bout des doigts cet endroit que ma mère appréciait tant, où elle pouvait flâner en toute sérénité avant de retourner à la réalité fracassante. En effet, nos disputes avec mon frère étaient réglées par la simple manière que notre mère nous conduisait dans ce labyrinthe, les yeux bandés, nous y égarait puis nous devions nous serrer les coudes pour nous en extirper. Ces moments ont fortement consolidé nos liens. Je me souviens qu'une fois, nous avons dormi ici, faute de n'avoir pas pu mettre la main sur la sortie. Alors que Aurora, notre mère connaissait ce lieu comme les lettres de l'alphabet.

Mille et une façons de débusquer ma petite agnelle crevassent mon esprit lucide et dévergondé. Mais, je préfère procéder naturellement, m'en remettre à mes autres compétences de pourfendeur. Je pourrai alors marquer d'une pierre blanche cette nuit si spéciale qui est le début d'une grande aventure dont la fin demeure une sacrée incertitude.

À jamais damnés, ma Venus!

Une lente enjambée me transporte dans ces sentiers sans issues. Je n'aurais pas pu imaginer mieux.

Tu es prise au piège, ma petite agnelle.

Je m'arrête à l'entrée d'un passage, les sens en alerte. Je passe un bout de tête au travers du feuillage et je me délecte de ma trouvaille. Doucement, j'égalise sa position tandis qu'elle est occupée à vouloir à tout prix se débarrasser des boulets de forçat. La pluie martèle le sol avec une puissance assourdissante. Lorsque ma main touche son épaule, la froideur de sa peau gèle mon cœur. Elle est si anéantie. Et si belle.
Soudainement, elle devient hystérique. Ses bras bougent dans tous les sens. Elle se jette sur moi. Ses ongles s'enfoncent follement dans ma peau. Je suis insensible. Ses poings déforment mon torse. Je reste de marbre. Elle hurle. Elle pousse des cris que je ne lui ai guère entendue. Je la retiens, saisissant violemment ses bras. Ça ne l'empêche pas de s'agiter. Par instinct, ma main attrape méchamment son cou. Mon bras libre serre son corps contre le mien. Pendant que ses grognements émanent, sa tête remue sèchement et les mèches de cheveux qui recouvrent ses yeux s'évincent. Mon pouls s'accélère sous les effets conjugués de la brusque montée d'adrénaline et de la proximité entre nous. Ses pupilles rugissent des mots que je ne déchiffre pas. Ses paroles empreintes de rage m'embrasent tel un volcan en plein cœur du Pacifique.
- Tu...tu me fais mal.
- C'est tout à fait intentionnel, ma petite agnelle, j'appuie plus fort sur sa gorge.
- L—La...lâche—moi!

Mon souffle discontinu contre le sien, il n'y a qu'une ligne étroite entre mon abstinence et les désirs qui ruissellent dans mon corps à l'exemple d'une drogue dont l'effet ne disparaîtra une fois que j'aurai assouvi ma libido. Sans avertir, je prends d'assaut ses lèvres pour y puiser mon oxygène. Je n'ai que trop résisté. Je ne suis qu'un homme. Mes envies s'enflamment sur les pulpes rosées de sa bouche au goût de litchi. Je n'y force pas l'entrée. Je peux percevoir le tambourinement de son cœur, haletant et pompant furieusement le sang. Ma langue glisse sur son menton tandis que j'harponne sa cuisse. Cette foutue robe de ménagère ne m'allège pas la tâche. Mon moment de vulnérabilité profite pleinement à ma Venus qui échappe à l'emprise de mes doigts. Elle m'éjecte de toutes ses forces. Je dus me contenir pour éviter de chuter. Mes membres sont témoins de tremblements brutaux et ma faim grandit au fur et à mesure que les secondes s'égrènent. Tout à coup, elle lance, des larmes dévalant ses joues rouges :
- Arrache-moi le cœur si tu veux. Frappe-moi! Déchire-moi! Mais, ne me dis pas que tu m'aimes. J'en ai assez vu avec l'amour de ma mère. Chanda...et...et tout le reste. Tout le monde finit par partir. Tous sans exception. Alors, mens-moi! Mais, ne me dis pas je tu m'aimes. Je t'en supplie.

Ses pleurs s'amplifient. Tout son être secoue. Le mien autant. Ma gorge se noue et la mélancolie toque à ma porte une première fois depuis si longtemps. Je suis presque dégouté, dépité et encore plus remonté. C'est insupportable de la voir pleurer pour quelque chose à quoi je ne crois même pas exhaustivement. Elle m'avait peut-être fait réaliser que j'étais humain. Et l'humanité, c'est vivre de passion. Je ne suis pas prêt à accepter une défaite. Pas aujourd'hui. Ni jamais.
- Vois autour de toi. Tout est réel. Cette pluie est réelle. Et ce que j'éprouve l'est encore plus. Je ne te demande pas ton accord. Crois-moi, ma petite agnelle. De gré ou de force, ça viendra. Et si tu veux que je te mente, je le ferai. Je dirai certainement que ma vie avant toi était un arc-en-ciel, que tu n'es pas la raison pour laquelle j'ai accepté d'être le témoin de mariage de mes connards de voisins, que tu n'es pas le marathon qui fait courir mon cœur et toute mon âme. Je te dirai aussi...que je ne suis pas éperdument épris de toi.

Nous restons inertes, là, à jauger l'autre. Puis, comme si nous nous sommes échangés des mots muets par nos respirations folles et pesantes, nous nous rencontrons à nouveau, de corps à corps et de bouche à bouche. Le baiser est si délicieux et fougueux que je m'en mords la lèvre. Quand je descends dans son cou, le creux dans mon ventre s'élargit. Ma bite s'éveille. Mes mains s'enflamment de parcourir son corps de nymphe. Aussi vite que les doux gémissements de ma Venus m'enchantent, dans la seconde qui suit, ils se dissipent.
- Ar—rête...s...te plaît, mâchonne-t-elle.
- C'est ce que tu veux? je grommelle contre sa clavicule.
- Ou...oui!

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant