xiv. Humilité et dyspnée

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Venus

J'ai froid. Très froid. Pourtant, je suis sous mes draps. Ils ont encore l'odeur de Chanda. Une agréable touche de douceur et de convivialité.
Je ne sais pas quelle heure il est. Mais, j'arrive à voir le magnifique coucher de soleil depuis mon lit. Je me lève mollement. Je contemple le ciel rose et orangé. C'est spectaculaire. Je grelote toujours et mon corps est brûlant. J'ai soif. Énormément. Je descends me prendre un verre d'eau à la cuisine. Finalement, j'en ai pris deux.

Je reste debout devant la porte de verre face au plan de travail. Quelques rayons solaires irradient à travers. Les bras croisés, j'assiste au défilé du temps qui s'écoule sans jamais revenir. Je regarde la table, longue et ovale autour de laquelle plusieurs sièges tiennent place. Des géants pots de fleurs sont dressés dans les coins et droit devant, un peu plus loin, il y a un muret de palmiers dansants sur la symphonie des cantiques maritimes. Je jubile de découvrir de nouveaux paysages, de nouveaux mots, de nouvelles choses depuis mon arrivée. Tout a si vite basculé dans ma vie que je ne me rends compte que maintenant que je n'ai jamais vécu. Si là où je dors ici est une chambre, alors... Là-bas, en Italie, c'était quoi? Une moitié de chambre ?
Je me demande aussi pourquoi ma mère n'est pas venue me rendre visite jusqu'à présent. Ils m'ont tous promis qu'elle viendrait . Mais rien. J'ai espéré chaque petite nuit passée dans cette maison qu'elle serait là à mon réveil. Et quand enfin la lumière du jour se pointait, je perdais encore un peu espoir qu'elle vienne le lendemain. Je dois être loin de mon ancienne chambre depuis...trois jours? Quatre jours? Cinq peut-être? J'ai l'impression d'avoir vu mille et une fois le soleil se lever puis s'endormir.
Je n'ai plus la notion du temps quand dans les taches suaves et bienfaisantes du soleil je me noie. Tout comme maintenant. C'est si beau tout ça.
Ma maman m'en parlait souvent. Des tendres couchers de soleil. De ses zéniths festifs mais tout de même ardents. De la beauté du monde extérieur. Encore plus de sa méchanceté. Longtemps, on m'a répétée « Le dehors n'est pas bon. À l'extérieur, il n'y a que des Hommes et des Démons, tous aussi mauvais les uns que les autres. » C'est à ça que j'avais droit lorsque je demandais à ma mère pourquoi elle ne me laissait pas sortir de ma chambre. Pourtant, même si je n'ai pas la plus grande réflexion au monde, je trouve que cette réponse qui, pour moi est longtemps demeurée une vérité absolue a perdu une bonne partie de sa crédibilité depuis que j'ai foulé ce sol verdoyant, senti l'air frais et observer mon premier véritable coucher de soleil. C'en est presque devenu ma passion. L'observer teindre le ciel puis disparaître dans les nuées.

Je soupire en me retournant lorsque je me retrouve face à face avec lui. J'ai un haut-le-corps, prise au dépourvu. Il me dévisage. Il le fait tout le temps. Et ça me fait peur. Mes tripes se nouent quand il m'agresse de ses yeux ambrés. Le sentant m'approcher, mon corps s'alerte et je recule instinctivement. Il ne cesse pas de réduire la distance entre nous. Mon dos heurte brusquement la porte derrière moi et mes yeux sont levés vers l'homme qui doit faire au moins deux fois ma taille. Ses cheveux sont mouillés et ramenés vers l'arrière. Il me fixe intensément et je sens mon cœur battre la chamade. Sa main se dirige vers mon visage. Je ferme les yeux, en décalant ma tête. Il susurre :
- Toi, je ne te ferai aucun mal, ma Venus.

Je me crispe alors que ses doigts se posent délicatement sur ma joue. Il la caresse tendrement. J'en ai des frissons. J'ouvre lentement mes yeux et mes membres se décongèlent. Il se balade sur mon front, y trace des lignes avec son pouce. Ça me détend. Il sait bien s'y prendre. J'apprécie toujours ce mouvement apaisant quand il reprend sur un ton doucereux :
- Tu es brûlante.

J'acquiesce petitement. Et, à ce moment, nos regards s'entrechoquent à nouveau. Le soleil éclaire ses pupilles. Elles sont brillantes. Ses pommettes saillantes confèrent à son visage un air vigoureux. Sa mâchoire parfaite à l'allure de V encore plus.
- Attends-moi ici, je reviens.

Il s'éloigne et disparaît. Je vais m'asseoir sur l'une des chaises hautes autour de l'îlot central et attends son retour. Après quelques minutes, il revient, une énorme trousse noire en main. Il l'ouvre sous mes yeux curieux et perplexes. Il en sort une boîte de cachets.
- Mon médecin dit que ça soigne les maux de tête et aussi la fièvre. Donc, ça fera l'affaire.

Sans avoir droit à l'effort, je suis servie très humblement.
- Merci, je murmure lorsqu'il me tend le verre d'eau.

Sans me quitter du regard, il me dit de boire le médicament. Chose que je fais.
- Maintenant, va te reposer m'ordonne-t-il.

J'hoche la tête, sans broncher et je quitte la cuisine.

Neres

Je dois devenir taré punaise! Ou c'est moi qui ait plutôt la fièvre? Je touche mon cou, espérant détecter une quelconque trace de chauffage mais rien. Mon portable sonne dans ma poche. Je vois les lettres SJ s'afficher sur l'écran.
- Tout es prêt!
- Content de l'apprendre.
- Tu seras présent demain chez La gonzesse ?
- J'ai pas trop le choix, je dis en vérifiant s'il n'y a personne dans les environs.
- À ta place, je me réjouirais d'être à la tête d'une telle organisation putain. T'as le vice qui coule dans tes veines vieux. Crois pas que je vois pas ton putain de sourire narquois derrière ton écran. Enfoiré!
- On croirait presque que tu m'fais une demande en mariage là, Cortez, je souris.
- Ouais c'est ça! Je te souhaite de t'étouffer avec ton ego surdimensionné vieux. Je dois t'laisser. On a du boulot ici avec Devon. Il croit qu'il est en cloque parce qu'il a mangé un truc qui lui a filé la gerbe toute la journée. Je parie que c'est la chatte de ta copine, SJ s'adresse à Devon, sûrement avec lui.
Ce dernier lui lance un Va te faire flinguer, connard!

Je m'esclaffe puis continue:
- Vous avez vérifié les entrepôts de Saint Domingue comme je vous l'avais demandé?
- Ouais mec! Toutes les caisses sont intactes. Un coup d'brosse et la fabrique peut reprendre les affaires.
- T'oublies un détail, ajoute Devon en fond.
- Oh, le soucis... Tous les fils de pute de la sécu, on les a retrouvés morts derrière l'entrepôt. Ça puait la chiotte du coup Devon et moi on a juste brûlé les corps.
- Attends, répète un peu, j'interviens.
- Ils étaient "kick" vieux.
- Et vous ne me le dites que maintenant? je m'emporte. Et bordel! Vous allez vous bouger le cul et me brûler toutes les caisses jusqu'à la dernière. Et par la suite, l'entrepôt. Je veux que tout passe en cendre.
- Donc on y retourne encore man?
- À moins que tu veuilles que je te le grave dans la cervelle avec des balles crétin!

Je raccroche, trop furieux pour continuer cette conversation de merde.
- Fais chier! je balance le verre d'eau contre le mur.

Ma respiration s'accélère et je perds le contrôle de mon corps. Non pas ça bordel! J'ai une tachycardie incontrôlable, comme à chaque fois. Mes muscles se contractent lentement puis violemment et mes sens s'halètent. Je déglutis en étudiant les lieux du regard. Il n'y a personne pour me voir. Ni pour m'entendre même quand ma détresse ne peut pas s'extérioriser. Ma poitrine me fait un mal de chien. Fais chier! Faut que j'aille me doper.
Le tournis au visage, j'agrippe tout ce qui me tombe sous la main en sortant de la cuisine. Je maintiens fermement la rampe des escaliers pour palier à mon manque d'équilibre. Tout se met à bouger autour de moi. De violents spasmes me parcourent l'estomac. Plus que trois marches pour atteindre l'étage. Deux maintenant. Une seule. Sentant ma délivrance proche, j'arrive avec difficulté devant ma chambre où mon cerveau refuse d'appuyer la béquille de porte.

Ne me laisse pas mourir crétin!

Tremblant, suant froidement et détectant surtout ma mort galoper à pas de loup, je brise le cycle d'inaction qui me fige et mon entrée dans la pièce me paraît comme une montée au paradis. Mon corps se rue sur le plancher. Je cherche un point de contact. Ma bouche est entrouverte mais je n'arrive pas à respirer. Mes sinus ne me servent malheureusement plus à rien. Tout devient noir autour de moi. Je ne parviens plus à me situer. Mes yeux tournent dans l'immense vide de l'endroit. Et rien ne m'est familier. Je ferme les yeux et les rouvre la seconde d'après, tentant d'affiner ma vision. Il faut que je survive.

Ramper... je... ma... lit... chevet.. j'ai pris...ma table... cogner... tiens.

Deux coups de vapes dans mes poumons.
Enfin sauvé.

La Belle et le DémonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant