Chapitre 18 : Olympe [corrigé]

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Je reste muette pendant de longues minutes après que Vladimir ait disparu derrière la porte de ma chambre. Je m'étends à nouveau sur le tapis et réfléchis à tout ce que je viens d'apprendre.

Mon regard se perd dans l'immensité du ciel que j'aperçois à travers ma fenêtre. J'ai l'impression de voir la scène que Vladimir m'a décrite : la colère des dieux provoquée par les croyants de Neart et leur sacrifice humain ; la transformation de ces êtres en créatures immortelles, bloqués dans un monde qui n'était plus adapté pour eux et condamné à subir le poids de leurs erreurs ; la nouvelle famille royale qui réinventa l'Histoire pour cacher les stigmates du passé et les faire tomber dans l'oubli.

Et dire que Vladimir est l'une de ces créatures... Tout comme Andreas et Thomas.

Un frisson d'horreur me parcourt l'échine alors que j'assimile peu à peu ces informations. Je me prends la tête entre les mains. Un début de migraine pointe le bout de son nez à cause de toutes les questions que cette mise au point a déclenchées.

Qu'est-ce que je dois faire ? Fuir ou rester ?

Je ne tiendrais pas longtemps si je pars. Comme me l'a si justement fait remarquer Vladimir, je ne connais rien de ce pays et ne suis pas armée contre le froid. Mais, si je reste, que vont-ils faire de moi ?

Je revois le loup se préparer à bondir, Rose face à lui.

Je gémis alors que mes pensées valsent dans mon crâne. J'ai l'impression qu'il pourrait exploser d'une seconde à l'autre tant c'est violent, douloureux...

— Qu'est-ce que je dois faire ?

Quand je rouvre les paupières, le soleil cogne contre ma fenêtre et ses rayons viennent réchauffer mon corps immobile. Je grogne et me frotte les yeux. La luminosité ambiante est bien trop forte pour mes pupilles habituées aux ténèbres. Mon estomac crie famine alors que je me mets à gratouiller les poils du tapis, perdue dans mes pensées. Je n'ai rien mangé la veille au soir. Il est tôt et je suis sûre de ne croiser personne dans le manoir. Mes « colocataires » dorment souvent jusqu'au milieu de la nuit.

Tous sauf un. Vladimir.

C'est un lève-tôt. Étrange pour un vampire. Dans les contes de mes grands-mères, ces êtres avides de sang et de la peur qu'ils provoquent chez leurs proies se reposent du lever au coucher du soleil. Alors pourquoi pas Vladimir ? Pourquoi est-il continuellement à mes côtés pendant la journée ? A-t-il adapté ses horaires aux miennes ?

Impossible.

Cela ne fait pas assez longtemps que j'habite au manoir... Et puis, je ne suis pas le genre de personne pour qui on se sent obligé de bouleverser ses habitudes.

A-t-il toujours été ainsi ? Si oui, cela concorderait avec son cas. Après tout, il n'accepte pas sa condition. Et cela depuis plus d'un millénaire si j'ai bien compris. Alors... Est-ce que ce rythme humain est ce qui le relie encore à son ancienne vie ? Est-ce cela qui l'empêche d'admettre ce qu'il est devenu et de tourner la page sur son passé ?

Plus j'y réfléchis et plus ma deuxième hypothèse me semble être la bonne. Mon ventre gargouille et je pose une main dessus pour le faire taire. Je soupire, car je n'ai aucune envie de me lever ou de me confronter à Vladimir. Il a quitté ma chambre dans une humeur de chien et, même si je ne connais pas cette partie de son caractère, je ne veux pas en subir les foudres.

Finalement, l'appel de la nourriture est plus fort que tout : mon estomac se contorsionne dans tous les sens au point qu'un face à face avec Vladimir me paraît tout à coup pas si... compliqué. Je me redresse, vérifie que je porte une tenue décente et m'approche de la sortie. Alors que je vais pour appuyer sur la poignée, un mauvais pressentiment me pétrifie. Quelque chose de grave va se passer, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.

— Advienne que pourra, soufflé-je après un temps en haussant les épaules.

Ma porte s'ouvre en grinçant sur ses gonds. Le bruit désagréable se répercute sur les murs du manoir silencieux comme une horrible mélodie dramatique. Je déglutis et me fais la remarque que le lieu de vie de Vladimir peut paraître vraiment sinistre, presque hanté, lorsque tous ses habitants dorment. J'espère d'ailleurs que le vacarme que j'ai fait ne les a pas réveillés...

Je souffle un bon coup, vais dans le couloir et tire le battant dans mon dos avec toute la délicatesse dont je suis capable. Malgré mes efforts, il se ferme dans un hurlement qui hérisse les poils de mes bras et claque dans son encadrement. Je serre les dents. Si je ne les avais pas sortis de leur sommeil tout à l'heure, c'est à présent chose faite ! Je tourne les talons avant que l'un d'eux ne vienne à ma rencontre.

Je m'élance vers les escaliers à pas de loup en retenant ma respiration. Une fois la première volée franchie, j'expire tout l'air que mes poumons contiennent, soulagée. Je n'espérais pas que cela se fasse aussi simplement. J'avais craint que les trois hommes ne m'aient repérée et me rejoignent. Mais, en fait, non. Je me suis débrouillée comme une cheffe ! Je me détourne du palier et de sa rambarde qui me séparent des chambres.

Je dévale le reste des marches, confiante, car je ne risque rien. Après tout, je vais seulement manger un bout pour calmer la faim qui me tenaille depuis mon réveil. J'en ai bien le droit, non ?

Lorsque je passe l'embrasure qui relie le hall et la cuisine, je suis surprise d'apercevoir une assiette dressée sur la table, au centre de la pièce. Intriguée, je m'en approche lentement et trouve un mot. Les lettres sont écrites avec soin et en majuscules pour me faciliter la lecture. Je m'attelle donc au déchiffrage et souris quand je comprends que cela m'est adressé.

COMME TU N'ES PAS DESCENDUE MANGER, NOUS T'AVONS MIS UN PLAT DE CÔTÉ. IL FAUDRA LE FAIRE RÉCHAUFFER.

EN ESPÉRANT QUE CELA TE PLAISE,

VLADIMIR.

Je pose une main sur mon cœur, touchée qu'il ait pensé à moi malgré les tensions de la veille. En dépit des répliques acerbes qu'il m'a lancées à la figure quand je lui ai proposé mon aide, Vladimir n'a pas oublié de me préparer mon repas. Émue, je m'attable après avoir fait réchauffer mon plat dans l'âtre de la cheminée comme il me l'a montré quelques jours auparavant.

Seul le bruit de mes mastications brise le silence qui règne dans la cuisine. Je replonge dans mes pensées alors que je déguste les patates sautées quand des pas légers attirent mon attention. Je relève la tête vers l'ouverture qui semble donner sur un petit salon et patiente que le nouvel arrivant se dévoile. Au vu de l'heure, je n'ai pas trop de doute quant à son identité... Malgré le repas qu'il m'a gardé de côté et le gentil mot qu'il a laissé à mon intention, j'appréhende un peu nos retrouvailles...

Après ce qui me parait être une éternité, ses cheveux platine apparaissent. Un pull en laine gris et un visage gravé dans le marbre suivent. Je retiens mon souffle quand j'aperçois ses longs cils argentés qui cachent en partie ses iris d'acier. Son regard est dans le vide. Des bruits de succion et de déglutition troublent le silence qui prend ses aises dans la cuisine. Sa peau d'albâtre met en valeur ses traits fins. Sans doute trop perdu dans ses pensées, lui aussi, il ne semble pas avoir senti ou perçu ma présence.

Je me racle la gorge pour m'annoncer, histoire qu'il ne soit pas trop surpris quand il me remarquera. Il bondit et plante son regard couleur tempête dans le mien. Il se fige, ne s'attendant pas à me trouver ici à cette heure-ci, et l'aspiration qui me titillait l'oreille disparaît. Il déglutit tandis que je le détaille de la tête aux pieds et que mes yeux s'arrêtent sur ce qu'il tient entre ses grandes mains. Des sueurs froides dévalent mon échine alors que je comprends petit à petit ce qu'il se passe en face de moi et que Vladimir cache dans derrière lui son repas.

— Hum... Bonjour, fait-il en esquissant un sourire nerveux.

Je me fige. Ses dents, ou plutôt ses crocs, sont rouges et lui donnent un air effroyable. Sa bouche, colorée d'hémoglobine, luit au rythme de ses mouvements.

— Heu... J'ai une feuille de salade coincée entre deux dents ? tente-t-il pour détendre l'atmosphère.

— J... Juste du... du s... sa... sang, bégayé-je, le cœur au bord des lèvres.

Blood & Flowers 1 - Olympe & VladimirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant