Chapitre 5 : Olympe [corrigé]

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Malgré la peur qui me tiraille, je tente d'observer mon environnement. Peut-être que j'arriverais à trouver une sortie ? Le soldat qui m'a interrogé ne m'en laisse cependant pas le temps. Il raffermit sa prise autour de mon avant-bras et me traîne sur le banc des accusés. Une fois assise et délivrée de l'emprise de mon bourreau, je déglutis et balaye la salle du regard. Mes yeux rencontrent ceux de nombreuses paires d'iris. Les visages qu'elles caractérisent sont tantôt sévères, tantôt dégoutés. Une porte dans le fond de la pièce s'ouvre et tout le monde se lève.

— Son Honneur, madame la Marquise de Dikaizosyni ! hurle un soldat en armure argentée et au casque surmonté d'une plume d'un blanc pur.

Une femme à la peau laiteuse et aux lèvres carmin entre dans la salle d'audience. Elle porte un corset noir si serré que sa poitrine opulente en déborde presque et que sa taille semble aussi fine que celle d'une guêpe. Une robe et des talons d'une couleur similaire viennent compléter sa tenue. Des broderies d'argent décorent son décolleté plongeant, la fin de ses manches et le bas de son jupon. Sa chevelure corbeau est savamment nattée et ramenée en un chignon strict. Son regard vert embrasse l'assemblée, les soldats, puis les accusés.

D'un même mouvement, toutes les personnes présentes dans la pièce font une révérence. Je les imite maladroitement, peu familière avec ce genre de pratique. Une chaise grince sur le sol et un bruit de tissus m'indique que la marquise vient de s'installer.

— Relevez-vous, ordonne une voix mature.

Nous obéissons tous comme un seul homme. Je plonge mon regard émeraude dans celui de cette femme, si belle et pourtant si dangereuse, dont dépend mon avenir. Après tout, c'est elle, et uniquement elle, qui est assise à la place du juge, porte le vêtement de ce dernier et préside à elle toute l'assemblée.

Un silence de mort règne dans la salle jusqu'à ce qu'elle fasse un signe de la main. Puis les prévenus défilent. Les jugements sont longs et les peines tombent en masse. Les seuls qui ont peuvent parler sont la marquise, les soldats et les accusés, si on leur en donne l'autorisation.

Et puis, c'est à moi. Mon bourreau me relève et m'amène au centre de la pièce, à la vue de tous. Le regard lourd de la magistrate se pose sur moi et j'ai la désagréable sensation d'être passée au crible.

— Qu'a-t-elle fait ? résonne sa voix sévère et implacable.

— Votre Honneur, cette esclave a assassiné monsieur Zacharo, son maître et bienfaiteur, et a aussi supprimé son seul et unique héritier en se faisant avorter !

Je tourne la tête en direction du soldat, horrifiée face aux propos qu'il tient. Un murmure parcourt l'assemblée et, terrifiée par le sort qui risque de me tomber dessus suite aux mensonges proférés par mon bourreau, je me concentre à nouveau sur la marquise.

Je n'ai pas tué Zacharo. Au contraire ! Mes efforts ont certes été vains, mais j'ai tout fait pour l'aider et le guérir !

C'est ce que je voudrais hurler à la juge dont les yeux verts me sondent. Je tente de lui faire passer le message par mon regard et espère de tout cœur qu'elle m'autorisera à donner ma version des faits.

— Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?

Le soldat fait signe à son acolyte. Ce dernier lui apporte un sac duquel il sort la branche de laurier à présent brune ainsi que les bandes ensanglantées tellement sèches qu'il lui est impossible de les démêler les unes des autres. Des hoquets choqués retentissent dans mon dos et je peux entendre des hommes me traiter de meurtrière.

— Êtes-vous sûr que c'est son sang, soldat ? Vous l'accusez de faits extrêmement graves...

— Votre Honneur, je n'oserai pas vous mentir...

Bah voyons ! Comme si tu ne l'avais pas déjà fait en m'imputant l'assassinat de Zacharo ! Je lui lance le regard le plus noir que je peux et me fige face au sourire sadique qui étire ses lèvres. Il s'approche de moi d'un pas sûr. Je ne le sens vraiment pas...

Arrivé à ma hauteur, il attrape mon jupon et le relève jusqu'à dévoiler mes cuisses, exhibant à la vue de tous les taches d'hémobline qui maculent encore ma peau. Je me débats pour le faire lâcher prise sous les exclamations épouvantées de la foule. Les regards noirs et terrifiés pèsent sur mon dos. Fier de son petit effet, mon bourreau consent enfin à relâcher mon vêtement avant de s'éloigner un peu de moi.

— Silence ! ordonne la marquise en frappant le bureau de son marteau en bois. Accusée, qu'avez-vous à dire pour votre défense ?

Soulagée qu'elle me laisse le droit à la parole, je lui adresse un sourire reconnaissant. Mais je me rétracte en voyant l'air fermé qu'arbore son visage.

— Votre Honneur, commencé-je en reprenant les formules de politesse qui fusent depuis le début de la séance. Je faisais partie du harem de monsieur Zacharo. Après un an à le servir, je me suis rendue compte que j'étais enceinte. Ne voulant pas de cet enfant qui a été confectionné dans les larmes et le sang... j'ai mis un terme à ma grossesse à l'aide de la branche de laurier que le soldat vous a montré à l'instant...

— Que vous avais-je dit ! me coupe ce dernier, l'air triomphant.

— Silence, siffle la juge à son encontre. Finis ton récit.

— Mais je n'ai pas tué mon maître. Au moment où il a été blessé, je me trouvais dans mon baraquement, à me faire avorter.

— Y a-t-il des témoins ?

— La seule personne qui aurait pu en parler, car elle m'a assistée, est décédée lors de notre fuite après la mort de notre maître.

— C'est bien pratique ça, souffle le militaire en me fusillant du regard.

— Encore une remarque et vous sortez, compris ?

Le soldat acquiesce, vaincu, et recule d'un bon pas.

— Continue, dit la marquise à mon intention.

— Quand j'ai entendu le cri en provenance de la villa de mon maître, j'ai tout de suite accouru avec mon ami. C'est d'ailleurs pour cela que je n'ai pas pris le temps de détruire les traces de mon avortement et de me laver.

— Tu n'étais pas fatiguée ?

— La situation exigeait que tout le monde se rassemble devant le manoir. Je n'avais pas le choix. C'est à ce moment-là que les esclaves hauts gradés ont demandé s'il y avait une personne avec des notions en médecine parmi nous. J'ai donc dû les suivre et j'ai fait tout mon possible pour sauver mon maître, en vain. Il était trop grièvement blessé.

Un silence de plomb tombe sur la salle. La Marquise de Dikaizosyni semble embêtée : d'un côté mon bourreau m'accuse de double meurtre et, de l'autre, j'avoue avoir avorté, mais nie en bloc l'assassinat de Zacharo.

— Soldat, y a-t-il eu des témoignages en faveur de la prévenue ?

— Aucun, votre Honneur.

Je me tourne vers lui, choquée. Lui qui a assuré à la marquise de ne jamais lui mentir, le fait à présent éhontément en la regardant droit dans les yeux. Ah, l'enfoiré ! Nous savons tous les deux que sa parole a plus de poids que la mienne. Tous ces témoignages qu'il a recueillis après m'avoir mise aux fers... Il n'a jamais eu pour projet de les utiliser ! Il a interrogé tous les esclaves pour faire bonne figure et montrer que les forces de l'ordre sont sérieuses, qu'elles font correctement leur travail... alors que c'est tout l'inverse et qu'ils se permettent même de ne pas dire la vérité à leur chef !

— Dans ce cas, reprit la juge, attirant mon attention sur elle, je vous déclare coupable pour le meurtre d'Oliver Zacharo et pour l'avortement de son unique héritier. Vous êtes condamnée à quarante ans de prison ferme sans possibilité de libération conditionnelle.

Ma vie est ruinée...

J'ai vingt-et-un ans. J'aurai fini de purger ma peine quand j'aurai la soixantaine – si tout se passe bien – avant de retourner à mon quotidien d'esclave.

Si je ne meurs pas avant...


Blood & Flowers 1 - Olympe & VladimirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant