Chapitre 62 : Marius [corrigé]

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Mon instinct me hurle de bouger et je bondis sur le côté alors que Maan s'abat sur le carrelage du hall du manoir, juste à l'emplacement où je me trouvais quelques millièmes de seconde plus tôt. Ma respiration est haletante. La peur me tord les tripes quelques instants, mais disparaît bien vite quand je vois Vladimir se repositionner pour attaquer. Je claque ma langue contre mon palais et me jette sur lui pour ne pas lui laisser une autre opportunité. Je connais son don pour le maniement des armes blanches, mais je ne pensais pas qu'il mettrait au point une nouvelle botte. Serrant les dents, je dégaine enfin ma propre épée, Steer, et déséquilibre Vladimir lorsque nos lames entrent en contact.

Nous restons ainsi pendant quelque temps dans un duel de force pure et dure. Je sens tous mes muscles trembler sous le coup de l'assaut. Vladimir ne semble pas perturbé le moins du monde par cette soudaine offensive. Je tiens mon arme à deux mains, mais n'arrive pas à faire ployer son bras. Dans un hurlement de rage, je dérive mon épée vers le cou de mon adversaire pour le décapiter. En vain. Vladimir a anticipé mon attaque et a dégainé la jumelle de Maan pour me contrer. La lame sombre de Fengaïry vibre lorsque Steer se fracasse contre celle-ci. Maintenant libre, Maan fond sur moi pour me perforer de part en part. Je saute en arrière pour m'éloigner au plus vite de cette menace.

— Depuis quand tu te bats avec des armes jumelles, Vladimir ?

— Une centaine d'années.

Un silence tombe entre nous tandis que nous nous observons en chien de faïence. Je prends soudain conscience de l'écart qui me sépare de mon frère. Je déglutis en comprenant que je ne serais vainqueur de ce duel que j'ai moi-même entamé que si j'arrive à placer des coups bas, chose qui est strictement interdite en combats officiels... ou à déstabiliser Vladimir pour qu'il perde sa fortitude et ne réfléchisse plus correctement. Voire plus du tout.

Un sourire calculateur et froid étire mes lèvres alors qu'un plan vicieux et sournois prend forme dans ma tête. Je me lance sur Vladimir et me bats comme je le peux. Mais, contrairement à tout à l'heure où je restais muet, j'ajoute quelques paroles et piques qui peuvent l'ébranler, puis le faire sortir de ses gonds.

— Tu sens le sang, mon frère. Te serais-tu enfin décidé à te servir au cou de la mulâtresse que tu abrites sous ton toit ?

— Son goût est excellent.

Pardon ? D'où il se contente de juste acquiescer ? Pourquoi il ne me contredit pas et ne m'envoie pas bouler comme la fois précédente ? Je serre les dents, mais remarque que les attaques de Vladimir le trahissent et laissent deviner son énervement. Je plisse les yeux, fier de mon petit effet, car, même s'il joue la carte de l'indifférence, Vladimir ne parvient pas à totalement se maîtriser lorsqu'il est question de cette femme.

Et il est là, son point faible ! Celui que je cherchais sans relâche depuis des années et qui n'apparaît que maintenant !

Oh, Vladimir ! Tu devrais savoir depuis le temps que m'ignorer ne m'empêchera pas du tout de te lancer des remarques toutes plus acerbes ou sarcastiques les unes que les autres... Ton comportement me donne même envie de te pousser à bout pour voir jusqu'où tu pourras aller. Si c'est ce que tu veux, nous allons jouer à ça. Et que le meilleur gagne !

— Celui de son sang ou de sa... Ah ! Putain !

Maan lacère ma chair et je m'éloigne pour calmer la douleur.

— Surveille tes paroles, Marius.

Je plonge mon regard dans celui de mon frère. La colère qui y flamboie me prend de court et je ne peux m'empêcher de faire un pas en arrière. Quand je prends conscience de mon moment de faiblesse, je me ressaisis et me jette sur Vladimir.

— Pourquoi ? Tu n'as pas aimé la dévorer ?

Un wrist blow m'oblige à me baisser et Vladimir en profite pour me décocher un coup de pied retourné. Je vole sur quelques mètres avant de m'écraser contre le mur, le souffle coupé par la force de l'impact. Les tessons des vitres encore dans leurs cadres plongent vers moi et déchirent mes vêtements sans m'entailler. Je remercie ma condition vampirique, mais une douleur lancinante me fait crier à la mort.

En ouvrant les yeux, je constate qu'une dague de jet est profondément plantée dans mon poignet gauche... Celui qui me sert à manier Steer ! Les pas de Vladimir martèlent le sol carrelé du hall à un rythme lent et inquiétant. J'attrape la poignée du poignard dans un sifflement de souffrance. Je retiens ma respiration et clos les paupières pour me donner du courage. Je compte jusqu'à trois, puis tire sur la petite arme. Mon hurlement se répercute dans l'entièreté du manoir. J'ai la nausée rien qu'à la vue de mon sang qui se déverse à vive allure de mes veines tranchées. Ma tête tourne et je maudis Vladimir de ne pas avoir oublié cette faiblesse que j'ai depuis gamin. Et je me hais de ne pas avoir réussi à dépasser cette phobie de me blesser.

Je reporte mon attention sur Vladimir et observe ma fin arriver en rythme avec les pas de mon frère. Alors je tente le tout pour le tout et lance de toutes mes forces la dague dans sa direction. Elle ne le frôle même pas et Vladimir continue d'avancer, Maan et Fengaïry en main. Ainsi, il ressemble à la Mort en personne. Je comprends pourquoi notre mère tenait absolument à ce que je reste dans son ombre, lui, le virtuose des armes.

Je me redresse en m'appuyant contre le mur. Si je dois crever maintenant, ce ne sera pas face contre terre. Le regard de Vladimir est effrayant et si je n'avais ni fierté ni renforts, je me serais enfui la queue entre les jambes pour échapper au courroux de mon frère. Mais ce n'est pas le cas.



NdA : Selon la typologie des coups de taille établie par Joseph Swetman, escrimeur anglais du XVIIe et auteur de The Schoole of the Noble and Worthy Science of Defense publié en 1617, le wrist blow est un coup très rapide effectué avec un seul poignet. Il est conseillé de le porter au visage ou à la tête de façon opportuniste si l'ennemi laisse une ouverture.


Blood & Flowers 1 - Olympe & VladimirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant