Chapitre 48 : Olympe [corrigé]

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Lorsque j'entre dans la grande pièce à double hauteur, je ferme les paupières et profite de la douce lumière crépusculaire qui filtre à travers les vitraux. La chaleur me caresse comme un amant le ferait avec sa dulcinée et je me sens instantanément plus sereine. Un raclement de gorge me fait revenir sur terre et je pose mes yeux émeraude sur le métamorphe qui arpente le terrain de long en large.

— Sais-tu te battre ?

— Avec des mots, oui. Et le minimum syndical avec mes poings.

Aussitôt dit, Thomas disparait et se trouve devant moi. Nos regards se croisent et l'étincelle qui brille pendant un millième de seconde dans ses iris de me déplait au plus haut point. Je me mets maladroitement en garde, essayant de me rappeler ce que mon père m'a appris quand j'étais petite, et supporte comme je le peux le crochet du droit de Thomas. Je remercie intérieurement Phényo de m'avoir montré quelques techniques qui me permettent de moins ressentir la douleur lors de tels échanges.

— Hum..., se contente-t-il de dire en observant mes mouvements. Tu ne pourras pas toujours encaisser mes offensives, Olympe. Il faudra bien que tu me frappes à un moment donné.

Il se précipite vers moi et enchaîne des coups simples. Plus ils pleuvent sur moi et plus je comprends où il veut en venir. Je vais finir couverte de bleus parce que je refuse d'utiliser mes poings. Une pression sur ma cheville coupe le fil de mes pensées et je pousse un cri alors que je chute. Je me retrouve le nez dans la poussière à cause d'un bête croche-patte... Trop concentrée sur le haut de son corps, j'ai totalement occulté qu'il est aussi possible de se battre avec les jambes et les pieds.

— Tu serais morte en combat réel. N'oublie jamais que tous les coups sont permis.

Je hoche la tête. Il me tend sa main pour m'aider à me relever. Je l'accepte et tire de toutes mes forces. Déséquilibré par mon poids et la surprise, Thomas n'arrive pas à se retenir et atterrit à son tour face contre terre. Il grogne quand je me jette sur son dos, un genou entre ses omoplates.

— Un partout ! déclaré-je fière de moi.

Il tourne la tête et un sourire amusé étire ses lèvres.

— Nous serions deux à être hors d'état de nuire à présent.

Un rire rauque lui échappe et il se redresse sans grand effort. D'un bond, je m'éloigne et me remets en garde.

— Qui t'a appris à encaisser ?

— Celui que tu as tué et dévoré.

C'est un vilain coup bas. Je le sais, mais je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir pour ce qu'il a fait, même si ça commence à remonter. C'est encore une blessure à vif dans mon esprit... La lueur de peine qui traverse les yeux noisette du loup me fait me sentir minable d'être autant en colère à son égard. Surtout qu'il m'a assuré ne plus être maître de lui-même au moment où cela s'est passé. Mais je n'y peux rien : je suis rancunière et la perte de mon frère de cœur m'a anéantie.

— Je t'ai déjà expliqué que...

— Je me fous de tes excuses ! lui craché-je à la figure en me jetant sur lui pour le rouer de coups maladroits et faiblards. Elles ne feront pas revenir Phényo !

Mes enchaînements sont si enragés que Thomas ne parvient pas à les stopper. Ou alors, peut-être qu'il n'en a pas envie. Peut-être qu'il considère que j'ai tout à fait le droit de le frapper pour me venger et que c'est une juste punition pour ce qu'il m'a fait ?

Je n'en sais rien, mais je ne vais pas m'attarder sur la question ! J'ai besoin d'extérioriser ma rancœur et ma tristesse pour réussir à faire mon deuil. Chose que je n'ai pas pu faire depuis ce tragique jour, depuis que Phényo est mort à cause de ses crocs. Il me laisse me défouler sur lui, se contentant d'éviter certains coups, de les parer ou les esquiver sans me faire mal. Son regard perçant scrute chacun de mes mouvements alors que je ne me retiens pas et que je le frappe sans discontinuer. Mes poings me brûlent à force. Et mes yeux aussi... Mais je m'en moque. Cet excès de violence me fait du bien et me donne des ailes malgré la faiblesse de mes horions. J'ai l'impression de n'être qu'un pauvre nourrisson en plein caprice...

Ma respiration est hachée et je tiens à peine debout alors que la lune frôle le sol. Ma fureur m'apporte l'énergie nécessaire pour continuer de frapper Thomas. Sans doute à bout de patience, il me repousse d'un geste sec. Je chancèle et tente à nouveau de m'approcher de lui. En vain. Il me maintient à distance grâce à de légers coups de poing. Puis, quand il comprend que je ne cesserai pas ce combat inutile et stérile, il soupire. Avant que je ne puisse dire « ouf », il passe derrière moi et me fait une clef de bras. Des sanglots secouent mes épaules et mes joues s'humidifient en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Mais ce n'est pas à cause de la douleur physique, mais plutôt de celle qui tiraille mon cœur depuis l'assassinat de mon ami.

Je tombe à genoux sur le sable du terrain d'entraînement et pleure toutes les larmes de mon corps. Je n'arrive plus à empêcher ma tristesse de se matérialiser sous forme de perles d'eau salée. Et je me déteste pour cela. Paraître si faible devant la personne qui a tué Phényo... Cette même personne que je commence à apprécier pour sa gentillesse et sa prévenance. La même qui a sauvagement assassiné mon frère de cœur. Mon dilemme est si fort que ma main se porte à ma poitrine. Ma douleur est si intense que j'ignore si elle passera un jour. Une étreinte chaleureuse m'enveloppe et une litanie d'excuses résonne en boucle à mes oreilles.

— Je te déteste tellement, soufflé-je entre deux sanglots. Mais tu es si gentil et prévenant que je commence à t'apprécier. Je suis partagée... Déchirée. Toi aussi tu as dû souffrir cette nuit-là. Et pourtant tu avais l'air de tant te régaler. Je ne sais pas... Je ne sais plus si je dois me lier d'amitié avec toi ou te haïr.

Il déglutit face à mon aveu et se contente de se taire, comme s'il ignorait quoi dire de peur de me blesser. Le temps s'étire et je décide de l'interroger, car je veux avoir son point de vue sur les évènements.

— Pourquoi t'étais là-bas cette nuit-là ?

— Je..., hésite-t-il, peu enclin à partager cette partie de son passé avec moi. Je cherchais quelqu'un.

— Tu l'as trouvé au moins ?

Histoire que Phényo ne soit pas mort en vain...

— Il m'a échappé... et j'étais tellement en colère que ça a déteint sur mon loup.

Super...

— C'est toi qui as blessé Zacharo ?

— Peut-être... Il me semble que j'étais à moitié transformé quand je l'ai perdu de vue. On était dans une grande villa.

— Donc c'est bien toi, soufflé-je, au moins satisfaite que Thomas n'ait pas tué que mon ami, mais aussi cette pourriture.

Le silence prend ses aises sur le terrain d'entraînement. Je sens bien que Thomas ne me dit pas tout, mais je n'ai pas envie de creuser plus en profondeur. Savoir que c'était la colère du loup qui a provoqué la mort de Phényo me met hors de moi. Et pourtant, cette même haine m'a permis d'échapper aux griffes de Zacharo.

Qu'est-ce que je dois faire ?

Des larmes recommencent à perler sur mes joues. Je suis perdue, partagée, déchirée. Dois-je lui pardonner ou continuer de lui en vouloir, lui qui est à la fois le bourreau de mon ancien tortionnaire et celui de mon frère de cœur ?

Comme s'il était conscient du dilemme qui fait tourner mes méninges à plein régime, Thomas m'enlace plus fort et me caresse les cheveux dans l'espoir de me rassurer. Dans l'espoir de me consoler. Et peut-être aussi, d'une certaine manière, de se racheter.



Blood & Flowers 1 - Olympe & VladimirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant