J'enfonce un peu plus la lame.
De quelques centimètres.
Tout en froissant les paupières.
Je sens la douce caresse aiguisée de cette amie qu'Isadora m'a présentée aujourd'hui. Cette amie qui me tend la main pour m'emmener en des lieux plus apaisés, là où la souffrance n'existe pas. Là où la méchanceté n'existe pas. Là où rien n'existe, à part l'amour, la paix, la sérénité. Là où rien d'autre ne se dessine, à part sa silhouette merveilleuse et brillant de mille feux, portant dans ses bras la chair de notre chair et le sang de notre sang.
Je devrais certainement avoir mal, ressentir de la douleur, mais je suis vide. Comme si mon cerveau était passé en mode off. Comme si mon âme avait déjà déployé ses ailes pour rejoindre cette unique étoile qui commence à tracer son chemin dans le ciel. En fait, je dirais même que la sensation de ce corps étranger qui pénètre mon corps, qui passe au travers de mes muscles détendus, de ma chair anesthésiée par la lassitude d'une vie qui devient trop difficile à porter et à supporter, est plaisante. Elle est jouissive. Elle provoque des frissons de ma nuque à la plante de mes pieds. Je balance alors la tête en arrière en la laissant se balancer au-dessus du vide. C'est dans cette position, deux amants enlacés jusqu'à la mort, que je souhaite que l'on nous retrouve.
Avec un peu de chance, ce sera Constance.
Un traumatisme, ça n'est pas trop demandé.
Constance...
PUTAIN !
Tout à coup, sans même que cela n'ait été prévu, je relève la tête en direction de la fenêtre ouverte qui me donne une vue imprenable sur l'horizon. J'aperçois quelques nuages qui ondulent dans le vent, au loin, quand une nouvelle pensée me saute au visage.
— Non.
Je l'affirme. Haut et fort. Mes membres semblent reprendre vie, faisant onduler l'eau du bain qui avait déjà partiellement débordé sur le sol. Et dans le même temps, je jette la lame scintillante et maculée de mon hémoglobine sur le carrelage, au loin. Je ramène alors mon poignet ensanglanté devant mes yeux, et l'affirme de nouveau :
— Non, tu ne mérites pas le bonheur.
J'imagine ma femme récupérer tous mes biens, une fois nos deux corps enterrés. Je la vois se remarier avec un homme encore plus riche, amasser les richesses sans penser à tout ce qu'elle aura provoqué. Pourquoi y aurait-elle droit, au juste ? Pourquoi ?
Je me redresse légèrement, en prenant le temps de remonter également le corps d'Isadora pour ne pas la lâcher, lui qui devient réellement difficile à manipuler. Ses muscles se raidissent de minute en minute sans que je ne puisse absorber l'écoulement du temps. Son corps s'adapte peu à peu à la température de la pièce. Moi aussi, j'ai froid.
— Pas après tout ce que tu as osé faire, continué-je.
Ma respiration devient erratique. Jusqu'à présent, heureux de savoir que mes souffrances allaient bientôt s'achever, mon corps devenait aussi calme que la surface d'un lac en hiver. Aussi silencieux que les peluches enneigées tombant d'un ciel opaque qui ne laisse entrevoir aucune lumière.
— Tu m'as enlevé la femme de ma vie. Tu as provoqué sa mort ! Tonitrué-je.
Comment pourrait-elle mériter de vivre, si Isadora doit mourir ? Rien que l'idée m'est insupportable. Obnubilé par la perspective de la rejoindre dans son long voyage, j'ai failli oublier cette énergumène. Ce poison. Ce démon. Cette créature encore pire que le Léviathan lui-même.
— Tu m'as enlevé mon enfant, continué-je d'une voix encore plus bestiale et rauque.
Instinctivement, mes bras se resserrent autour du buste d'Isadora. Comme si je pouvais encore la protéger et fortifier les remparts qui se dressent déjà autour de notre enfant. Oui, en la tuant, elle m'a aussi privé de la vie qui grandissait dans le corps d'Isadora et qui, dès à présent, a dû être chaleureusement accueillie par les anges.
— Mes deux enfants...
S'il s'avère qu'Isadora est réellement ma fille, alors tu auras double peine.
Tu vas souffrir au-delà de l'imaginable.
Je le jure mille fois devant l'horizon qui se rit de la situation. Devant les derniers rayons qui disparaissent pour laisser l'obscurité nous envahir. Oui, je le jure devant Dieu :
— TU VAS LE PAYER !
Ni une ni deux, je me redresse et sors de la baignoire, le corps dégoulinant du sang vermeil d'Isadora, et le poignet endolori par la coupure profonde que j'ai osé provoquer sans penser à Constance, à cette infamie qui aurait dû mourir à la place de mes deux enfants. Comme si je reprenais vie entre deux respirations, la douleur devient fulgurante. Seulement, je n'en ai absolument rien à foutre.
Je me tourne de nouveau en direction du cadavre de la jeune femme, qui n'aura même pas fêté son dix-neuvième anniversaire, et caresse sa joue du bout des doigts :
— J'arrive, mon amour... Mais avant cela, je vais te venger, je te le jure. Elle va payer. Elle va souffrir. Elle va me supplier de l'achever.
Même si je n'ai pas autant d'imagination que mon frangin...
Mais j'aviserai.
Mon reflet dans le miroir d'en face est sans équivoque : si j'étais un personnage de roman, nul doute qu'on aurait placé deux trous béants à la place de mes orbes, et qu'on aurait dessiné d'immenses cascades rougeoyantes coulant le long de mes joues, symboles de toute la rage qui se dégage de moi.. J'aurais eu de longues griffes acérées pour lui arracher le cœur à mains nues. Des crocs aiguisés, pour croquer dans sa carotide et faire jaillir son hémoglobine que je boirais comme un vampire. J'aurais eu des ailes démesurées que le Diable m'aurait attribuées.
J'aurais possiblement été le Diable en personne.
La Grande Faucheuse.
Celui qui offre le jugement dernier.
Et finalement, je le suis peut-être.
Ou du moins, je l'étais.
En attendant, je prends une douche rapide, en occultant le fait que le cadavre d'Isadora se trouve seulement à quelques mètres. Je garde cela dit les yeux grand ouverts, pour bien m'imprégner de la réalité. Je me savonne pour faire disparaître tout ce sang qu'il ne faudra pas que Constance voit. Sinon, mes stratégies pour la faire plier, quelles qu'elles soient, tomberont à l'eau. Une fois qu'il ne reste plus une seule tâche d'hémoglobine sur mon corps, je sors de la douche, je me sèche, et remets mes vêtements, avant de passer un coup de peigne sur mes cheveux pour bien les plaquer, et de me brosser les dents. J'en profite, en dernier lieu pour passer un coup d'eau gelée sur mon visage pour atténuer un tant soit peu les signes de ma déchéance, et mettre un peu de ce parfum envoûtant que Constance m'avait un jour offert, lorsque nous faisions un voyage en plein coeur de Paris, au tout début de notre relation. Je ne le mets que très rarement. Elle comprendra le message lorsqu'elle débarquera pour me récupérer.
J'embrasse encore une fois les lèvres froides et sèches de mon amour, avant de sortir de la pièce en refermant la porte à clé derrière moi, comme si cette salle de bain devenait un sanctuaire impénétrable. Le tombeau de celle qui fait toujours battre mon cœur et qui, à cet instant, guide mes pas jusqu'au rez-de-chaussée. Au fur et à mesure que je dévale les marches, je réfléchis. J'invente différentes stratégies pour faire payer à Constance tout le malheur qu'elle a provoqué, mais aucune ne me satisfait réellement. Finalement, je crois que cela doit se dérouler de la manière la plus simple possible.
J'approche du salon et ouvre lentement le tiroir qui se trouve sous le meuble qui soutient la télévision à écran plat. Sous les couvertures, je déniche mon arme. Celle qui ne m'a plus servie depuis tant d'années mais qui, pour une fois, aura une utilité certaine. Celle que j'ai un jour sortie de sa cachette, lorsque Constance a débarqué ici au beau milieu de la nuit. C'était ce soir-là, où ma vie a basculé. Ce soir-là où Constance m'a appris qu'Isadora était ma fille. Je n'ai pas voulu le croire. J'ai seulement cherché à éradiquer le moindre doute.
Je me suis fourvoyé...
— Dammi un po' di tempo, amore mio. Ho un mostro da mandare all'Inferno prima di raggiungerti in Paradiso (Laisse-moi un peu de temps, mon amour. J'ai un monstre à envoyer en Enfer avant de te rejoindre au Paradis).
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TOUJOURS PAS FINI MDR
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DADDY'S GIRL - TOME 2 - The Girl
RomanceIsadora et John continuent de vivre leur amour passionnel dans le dos de Constance, en se laissant doucement ronger par les remords de ce secret trop lourd à porter, sans se douter que cette dernière est déjà au courant. Sa vengeance menace de les...