CHAPITRE 52 - Lyse, trois jours plus tard

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J'ai appris le décès de ma meilleure amie.

De la pire des manières.

J'ai reçu un message de John par Facebook, à peine le soleil levé, dans lequel il m'informait du suicide de celle avec qui j'ai fait les quatre cent coups auparavant. J'ai jugé bon de le relire une dizaine de fois pour être bien certaine que je n'avais pas mal interprété ses mots :

Isadoudou472 (messenger) : Bonjour, Lyse. C'est John. Je t'envoie ce message, car je ne veux pas que tu l'apprennes par quelqu'un d'autre ou dans les journaux, mais... Isadora est partie. Elle s'est donné la mort, hier soir. Je suis profondément navré de te l'annoncer ainsi, mais  je n'ai aucun moyen de te le dire en face... Je n'ai pas les mots. Nous organiserons une cérémonie dans trois jours. Tu trouveras toutes les informations dans la presse. Je t'envoie tout mon soutien. Isadora t'aimait. Ne l'oublie jamais.

Je n'ai jamais répondu à son message. C'était trop dur. Et qu'aurais-je bien pu dire ? Lui dévoiler tout mon malheur ? Il est déjà au courant. Lui demander des détails ? Cela n'aurait fait que renforcer ma souffrance. S'il l'aimait au point qu'elle, me le disait, il doit être anéanti. Autant que moi. Après avoir relu un nombre incalculable de fois cette annonce macabre, en insistant sur les termes « mort », et « cérémonie » qui faisaient ralentir drastiquement mon coeur, je me suis écroulée. Mes jambes n'ont plus été capables de me maintenir debout. J'ai hurlé, le plus fort possible, pour dégager ma gorge qui s'était resserrée comme dans un étau. J'ai maudit la vie, et surtout ses deux parents qui n'avaient pas pu la sauver, ni même anticiper son geste. J'ai maudit John, car sans lui, elle serait peut-être encore en vie. Car oui, si elle ne l'avait jamais rencontré, elle aurait certainement pu s'émanciper et ne pas dépendre d'un homme. J'ai maudit feu son père, mort d'un putain de cancer et qui a provoqué une immense vague de tristesse incurable chez elle. J'ai maudit sa mère, qui l'avait abandonnée quasiment à la naissance. J'ai tout maudit, en réalité. J'ai même maudit sa naissance, qui a fait d'elle une paria, et une jeune femme ayant grandi dans l'abandon et la désolation.

Aujourd'hui, c'est le jour de la cérémonie d'Adieu, et de son enterrement. Je me suis levée tôt, incapable de fermer l'oeil de la nuit. J'ai passé mon temps à regarder des films et des séries télévisées, tous plus insensés les uns que les autres sous la pénombre de la nuit et les rayons lunaires qui me renvoyaient à ma propre solitude. Mes larmes mouillaient l'oreiller de temps à autre, sans qu'elles n'aient le temps de sécher. J'ai fait une multitude de cauchemars, tout en restant éveillée, laissant la sueur envahir mon dos et mes tempes. J'ai maintes fois imaginé le corps de mon amie, gisant au centre d'un immense cercueil. J'ai imaginé sa peau blanche, couverte de maquillage, pour la rendre un peu plus humaine, un peu plus vivante. J'ai imaginé la texture de son épiderme lorsque je déposerais une main sur elle pour lui dire un dernier au revoir.

Quoi qu'il en soit, je n'ai plus le choix : je dois accepter le fait que je ne la reverrai plus jamais. Je dois la laisser partir. Après tout, elle est peut-être plus heureuse, là-haut. C'est difficile pour ceux qui restent, pas pour ceux qui partent. Alors, prête à être forte, rien que pour elle, j'entre dans la salle de bain et déniche ma trousse à maquillage. Au moment où j'étale mon fond de teint sur mes joues pour me donner meilleure mine et éviter de ressembler au corps inerte d'Isadora, ma mère fait irruption :

— Ça va, ma chérie ? Me demande sincèrement cette dernière, en passant la tête dans l'embrasure de la porte.

— Je survis...

— Oh... Me plaint-elle, pleine d'empathie à mon égard.

Elle ouvre complètement la porte et pénètre dans la pièce. Elle se place derrière moi, et dépose délicatement ses mains sur mes épaules en guise de soutien. Elle reste immobile, à m'observer. Je n'ai plus pleuré devant elle depuis deux jours. Je ne voulais pas l'inquiéter. Je réservais ces instants de tristesse pour les fois où je restais seule, enfermée dans ma chambre, dans le sanctuaire de mes souvenirs les plus précieux avec mon amie de toujours.

DADDY'S GIRL - TOME 2 - The GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant